• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2: La Turquie déchirée entre deux courants nationalistes

3. Le contexte urbain

Au cours du XXe siècle, la Turquie vit une urbanisation rapide où les grandes villes voient leur proportion de la population passer de 25% en 1950 à 75% en 2015 (World Bank 2015), en partie à cause de la concentration industrielle dans certains grands centres urbains comme Istanbul. Les zones urbaines n’étaient pas préparées pour un tel afflux de population, une sorte de structure double émerge: en marge, des habitations illégales de faible qualité tandis que d’autres sections sont développées selon des principes modernes de planifications urbaines. L’émergence de ces habitations illégales doit être conçue en fonction des politiques de logements historiques

du pays, qui divergent des pays de l’Europe de l’Ouest, et qui ne sont pas favorables aux populations à faibles revenus. Ces types d’habitations apparaissent ainsi comme la seule opportunité d’habitations possibles et, malgré les tentatives législatives pour favoriser les opportunités d’habitations formelles, le problème persiste. Selon Türkün, même si l’aménagement informel est considéré comme problématique par le politique, il y avait dans les faits une acceptation officielle du processus, car permettant de maintenir de faibles coûts de main-d’oeuvre en raison du faible coût du logement. Dans les années 1970, la proportion de la population vivant dans ces logements environne le tiers (2011, 63).

En parallèle, le terme gecekondu va émerger dans les années 1950 pour désigner les hébergements rapidement construits sans permis et sans souci technique et hygiénique. Les habitants de ceux-ci sont fréquemment la proie de mafias locales ce qui engendre de nombreux incidents criminels reliés. Si l’on considère la forme des gecekondu de l’époque, bâtis rapidement en tôle, alors ils seraient désormais peu nombreux dans les centres urbains et surtout situés en marges (Pérouse 2004; Türkün 2011).

Le terme se voit désormais attribuer une variété de significations. Ce statut d’illégalité, mentionné plus haut, s’est déplacé au statut de la construction pour signifier qu’il ne suit pas les règlementations architecturales et urbanistiques. Il vient à être associé non pas à un bâtiment particulier, mais aussi à un quartier entier et ce synonyme d’illégalité peut aussi être transféré à un processus de stigmatisation et de politisation. Pour parler de populations pauvres, il est alors possible de référer aux populations des gecekondu et d’y associer une forme d’altérité sociale, dangereuse pour la société (Pérouse 2004).

La reconfiguration urbaine mise en place par l’AKP bénéficie de ces interprétations pour légitimer la destruction de force de ces habitations, hébergeant souvent des populations moins nanties et moins à même de pouvoir se défendre (Karaman, 2016; Pérouse 2004), d’autant plus dans les villages conservateurs où l’action collective prend une forme particulière. Bref, afin de mieux définir le symbolisme des espaces, la destruction et la reconstruction sont une des tactiques envisagées, cette restructuration de l’espace permettant en même temps de le bâtir d’une manière où le contrôle comportemental des individus est plus favorable et régi. Pensons par exemple à un espace où la visibilité de ses occupants est maximisée pour assurer qu’aucun comportement prohibé, comme défini par le gouvernement, ne prend place.

Le nombre de sièges remporté par l’AKP lors des élections dès les années 2000 lui a permis d’effectuer des changements dans les lois sans nécessairement avoir à faire des concessions, tant auprès des autres partis qu’auprès de la population. Or, plusieurs de ces changements législatifs touchent le domaine urbain, notamment le retrait de clauses qui pourraient restreindre l’agenda néo-libéral et cibler les organismes gouvernementaux comme TOKİ (administration du développement du logement) chargé d’effectuer les projets de développement urbain. Il faut aussi soulever que TOKİ opère depuis 2011 sous le cabinet du premier ministre et est devenu un des joueurs majeurs du développement urbain, possédant par exemple le pouvoir de confisquer des terrains publics (Dogan et Stupar 2017, 283). D’ailleurs, comme vu dans la justification de cas, le système fait en sorte que les membres de l’AKP ne sont pas seulement au parlement, mais dans le système administratif ainsi que dans les municipalités. Ce sont tous des éléments qui permettent au parti de diffuser et d’appliquer un unique discours hégémonique et, dans une ville comme Istanbul où le potentiel de rente urbaine est grand,

d’exercer une pression importante sur les espaces à faibles revenus comme les gecekondu (Türkün 2011, 62).

Chapitre 3: Le musée

Il est maintenant temps de passer à la partie pratique de cette recherche et de concrètement observer si l’idéologie néo-ottomane de l’AKP se manifeste à travers les espaces publics. Comme nous allons le voir, ce musée comporte divers marqueurs identitaires qui réfèrent à des éléments religieux, tant dans sa structure interne que dans sa structure interne. Par contre, l’espace sert aussi à remettre en question le moment fondateur de la nation turque comme promu par les kémalistes et accentue le passé ottoman comme référent historique.

Ce chapitre concernant l’analyse du musée Panorama 1453 s’érige en quatre parties. La première partie concerne l’emplacement géographique avec un accent porté sur l’évolution historique depuis les années 1990 du parc Topkapı Kültür où il est situé. La deuxième partie, plus brève, concerne le bâtiment et ses structures immédiates. La troisième partie sert de brève transition à la dernière partie et concerne la relation entre le visiteur et le musée. Finalement, la dernière et quatrième partie concerne l’intérieur du musée en deux temps: d’abord, les fiches d’informations et ensuite, la fresque, les deux sections du musée étant physiquement séparées lors de la visite, même s’il faut passer par la première partie pour accéder à la fresque panoramique.