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Autour de l’esp` ece baba¸cu

4.3 Contexte socio-´ economique autour du baba¸cu

Le contexte socio-´economique, au sein duquel le baba¸cu ´emerge comme une

res-source extractiviste4, est un construit complexe associant des acteurs agissant `a des

´echelons diff´erents : du niveau local au niveau international. Il est fort de consta-ter que les acteurs sont divers et que les relations qu’ils entretiennent entre eux ne sont pas toujours r´egies par des sentiments positifs. C’est pourquoi `a pr´esent nous souhaitons examiner plus en d´etail les probl´ematiques r´egies par un contexte socio-´economique boulevers´e.

4.3.1 Le baba¸cu : une ressource extractiviste disput´ee

4.3.1.1 Historique

Le contexte socio-politique du Br´esil a largement contribu´e `a l’utilisation massive

de ce palmier comme une ressource extractiviste. Depuis la moiti´e du xxe si`ecle `a

nos jours nous distinguons trois grandes ´etapes dans la construction intellectuelle

autour de cette esp`ece (Nasuti, 2010).

Les ann´ees 1950 jusqu’`a mi-1970 sont le symbole d’un essor de la ressource

lar-gement exploit´ee par lescaboclo et les petites unit´es familiales. Durant cette p´eriode

le baba¸cu symbolisait la grandeur de la nature au Br´esil et v´ehiculait le message de fiert´e nationale. Cette p´eriode est marqu´ee par la cr´eation d’un parc industriel

d’huileries destin´e au march´e national (Nasuti, 2010).

Les ann´ees mi-1970 `a mi-1990 sont marqu´ees par le d´eveloppement de l’´elevage

bovin en Amazonie. Les activit´es autour du palmier baba¸cu constituent, petit `a petit, une gˆene pour les ´eleveurs et suscitent les pr´emices de ce qui deviendra, au fur et `a mesure, un important conflit d’usages d’ampleur nationale autour de la ressource baba¸cu. Cette p´eriode marque le d´eclin du march´e de l’huile de baba¸cu qui est fortement concurrenc´e par l’introduction et l’essor de la mise en culture du soja. N´eanmoins durant cette p´eriode est enregistr´e un fort essor (pic) dans la production

d’amandes issues du baba¸cu (Nasuti,2010). D’apr`es les estimations, dans les ann´ees

1980, l’extractivisme concernait 450 000 familles, pour un total de 2 millions de

personnes5 parmi les plus d´emunies du pays6 (May et al.,1985).

La derni`ere p´eriode s’´etale de mi-1990 `a nos jours. Cette p´eriode s’inscrit dans le

contexte national de re-d´emocratisation et de volont´e nationale de soutien `a

l’agricul-ture familiale (Nasuti,2010). Durant ces ann´ees le baba¸cu est tr`es peu concurrentiel

sur le march´e des huiles lauriques. Le fait marquant de cette p´eriode est l’essor d’une toute nouvelle organisation autour de l’extractivisme avec l’´emergence de pe-4. En portugais«extrativismo» signifie au Br´esil une activit´e de cueillette suivie de commer-cialisation de produits non ligneux de la forˆet (Pinton et Emperaire, 1992). Ce terme donne la priorit´e `a l’aspect marchand.

5. La population totale du Br´esil ´etait de191millions de personnes en2010(source :Instituto Brasileiro de Geografia e Estat´ıstica(IBGE))

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tits producteurs et surtout des «Quebradeiras de coco baba¸cu7

». Ces populations

majoritairement f´eminines sont de plus en plus confront´ees `a des probl`emes d’ordres

socio-´economique et g´eo-politique (Almeida et al.,2005).

4.3.1.2 Acteurs et produits

Le palmier baba¸cu est une esp`ece utilis´ee de la racine jusqu’`a l’extr´emit´e des

feuilles avec plus de60utilit´es r´epertori´ees (Ara´ujo et Lopes,2012).Mayet al.(1985)

en citent une quarantaine dont les principales ont ´et´e repr´esent´ees sur laFigure4.3

et sont d´etaill´ees dans les paragraphes suivants. Certaines utilit´es de la fili`ere baba¸cu d´ecoulent soit de collectes directes (produit brut) soit de transformations plus ou moins ´elabor´ees (produits d´eriv´es).

Les individus adultes du palmier baba¸cu font l’objet de la plupart des collectes pour les diverses utilisations, seules les feuilles des individus les plus jeunes sont utilis´ees. Le tressage des folioles des feuilles permet de r´ealiser divers objets d’ar-tisanat comme des paniers pour le transport et le stockage, des portes, fenˆetres et tapis, des ´eventails, des pi`eges pour la chasse, des nids pour les poules. Les feuilles enti`eres, limbe et p´etiole servent de mat´eriel de construction pour la r´ealisation de toits, de murs, ou d’encadrement de portes et de fenˆetres. Les feuilles ont aussi un usage agricole ; leur ombre dans les pˆaturages est appr´eci´ee du b´etail aux heures les plus chaudes de la journ´ee et une fois s´ech´ees et d´ecompos´ees, elles servent de ferti-lisant. Les jeunes feuilles des individus acaules servent de fourrage pour le b´etail et

les chevaux. Chez les indiens Kayap´o les feuilles sont utilis´ees pour la confection de

masques (m´ascaras) qui repr´esentent des animaux comme les singes (macacos) pour

diff´erentes fˆetes traditionnelles et aussi pour s’asseoir au cours de ces fˆetes, ou dans la vie courante lors de d´eplacements dans la forˆet et dans la savane. Les p´etioles des feuilles permettent de construire des barri`eres pour s´eparer les parcelles ou isoler le

jardin de case du reste de l’exploitation ; les indiens Kayap´o les utilisent aussi pour

barrer les petits cours d’eau lors d’une pˆeche traditionnelle. Le p´etiole est pourvu

d’une s`eve antiseptique utilis´ee pour soigner de petites blessures (Mitja et al., sous

presse).

Le stipe ou faux tronc sert pour r´ealiser les fondations des maisons, les ponts et

certains meubles comme des bancs. Le cœur de palmier de 2 `a 3 kg est comestible

et est utilis´e tant pour l’alimentation humaine que pour l’alimentation animale. Ce cœur de palmier produit ´egalement un gaz qui favorise la maturation des bananes. La s`eve du stipe peut ˆetre transform´ee en une boisson ferment´ee et elle est attractive pour des insectes dont les larves sont comestibles. Le stipe en d´ecomposition fournit ´egalement un engrais tr`es appr´eci´e pour les jardins suspendus. Certaines tribus

indi-g`enes comme les Kayap´o brˆulent le stipe et utilisent cette cendre comme succ´edan´e

du sel (Posey, 1987).

Les spathes qui prot`egent les infrutescences peuvent servir de corbeille `a fruits et certaines d’entre elles sp´ecialement grandes sont utilis´ees par les enfants comme

Figure 4.3 – Produits et Acteurs au sein du syst`eme baba¸cu (formalisme UML,

adapt´e de Mitjaet al. (sous presse))

luge sur pˆaturage. Les semences des fruits sont comestibles et on en extrait un lait qui est utilis´e dans la pr´eparation de recettes locales. On peut ´egalement extraire de l’huile qui sert non seulement dans l’alimentation, et dans la cosm´etique (sa-vons, savonnettes), mais qui est ´egalement test´ee comme biodiesel. Les tourteaux de r´esidus obtenus apr`es extraction de l’huile servent `a l’alimentation animale, mais

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peuvent aussi ˆetre utilis´es comme appˆat pour la pˆeche aux crevettes et comme sub-stitut du caf´e. Les amandes sont ins´er´ees dans un endocarpe ligneux qui une fois

brˆul´e se transforme en un charbon de tr`es bonne qualit´e. La fum´ee r´esultant de ce

proc´ed´e est insecticide. Cet endocarpe peut ´egalement produire des gaz condens´es anesth´esiants pour le mal de dents. Une fois d´ecoup´e transversalement cet endocarpe peut ˆetre utilis´e pour divers artisanats (bijoux, coupelles `a fruit. . .). Le m´esocarpe farineux peut ˆetre transform´e en farine alimentaire qui sert `a faire des gˆateaux et qui est aussi un rem`ede m´edicinal contre les probl`emes gastro-intestinaux. Il peut ˆetre ´egalement utilis´e pour l’alimentation animale. Il est, de plus, attractif pour les

animaux sauvages : agouti et paca (Smith, 1974, 2015) et dans ce cas favorise la

chasse. Le fruit entier (´epicarpe, m´esocarpe, endocarpe et semences) peut ´egalement ˆetre utilis´e pour la production de charbon par des entreprises qui envoient des col-lecteurs de fruits dans les campagnes entrant alors en concurrence avec les femmes

«casseuses de fruit» pour la ressource baba¸cu. La production de charbon `a partir

du fruit entier a aussi ´et´e enregistr´ee chez les Kayap´os du petit village «Las

Ca-sas» (Gonz´alez-P´erez et al., 2012). Le fruit entier r´eduit en poudre et additionn´e `a quelques nutriments (sel et poudre de ma¨ıs) est utilis´e comme aliment pour le

b´etail (Macedo,2015). Parfois les fruits sont parasit´es par des insectes comme le

Pa-chymerus nuclearum (Fabr.) ou le Carybruchus lipismatus (Bridwel), Col´eopt`eres

Brunchidae, appel´es «gongos»(Andersonet al., 1991), qui sont consomm´es par les

populations.

Figure 4.4 – Quebradeiras ramassant les noix du baba¸cu

En ce qui concerne les activit´es, les femmes ont la responsabilit´e de celles li´ees aux fruits (mˆeme si les hommes interviennent parfois dans leur transport). La collecte des feuilles est effectu´ee par les hommes et femmes, mˆeme si la construction des toits est plutˆot r´eserv´ee aux hommes, et peut parfois donner lieu `a un commerce local.

Alors que la plupart des activit´es locales sont non commerciales et li´ees aux usages de la vie courante en milieu rural, l’extraction des graines peut donner lieu `a une commercialisation initialement locale par les femmes qui ont comme profession

de casser les fruits de baba¸cu («Quebradeiras de coco baba¸cu»). Elles peuvent alors

produire elles mˆemes cette huile de mani`ere artisanale, ou mˆeme produire des savons et savonnettes qu’elles vendront sur les march´es ou dans des magasins sp´ecialis´es. Ces derni`eres peuvent aussi vendre les graines `a des interm´ediaires et/ou `a des en-treprises priv´ees qui en extrairont la pr´ecieuse huile. Certaines d’entre elles exercent cette activit´e de mani`ere isol´ee et ont leurs propres circuits de commercialisation avec une client`ele locale plus ou moins fid´elis´ee. D’autres sont regroup´ees en associations,

comme l’Associa¸c˜ao em ´areas de assentamento no estado do Maranh˜ao (ASSEMA)

ou le Movimento interestadual das quebradeiras de coco baba¸cu (MIQCB), qui leur

offrent de nombreux avantages tels que la possibilit´e de b´en´eficier de mat´eriel pour moudre les semences ou pour extraire l’huile, et de tirer parti de circuits de com-mercialisation plus r´egionaux voire internationaux.

Figure 4.5 – Quebradeiras cassant les noix du baba¸cu

Clich´e : D. Mitja

Le travail des Quebradeiras se structure principalement autour du ramassage

des noix du baba¸cu (cf. Figure 4.4), suivi par la casse de celles-ci et l’extraction

des amandes (cf.Figure 4.5) destin´ees `a la fili`ere huile-amande du baba¸cu (Nasuti,

Chapitre 5

Projet Open Science, th`ese et