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Dans ce double contexte — de production scientifique sur les impacts des barrages et de multiplication des mouvements d’opposition à l’échelle mondiale —, la Banque

Mondiale lance en 1997 laWorld Commission on Dams(WCD). L’anthropologue Thayer

SCUDDER(2006) relate son expérience au sein de laWorld Commission on Dams,

l’his-toire de cette organisation et de la“large dam dispute”dans son ouvrageThe Future of

Large Dams. Selon lui, la première étape du débat se situe dans la sphère scientifique,

avec la tenue à laRoyal Geographical Societyde Londres, en 1965, d’une conférence

sur la thématique des“man-made lakes”. En s’appuyant sur les travaux réalisés dans

la continuité de la conférence de Londres, des ONG et des environnementalistes

dé-noncent les impacts pluriels des barrages. D’après lui, le débat entre dans une seconde

E

NCADRÉ

2.6–« Du paradigme techniciste au paradigme environnementaliste »

selon Sylvain R

ODE

(2010, p. 13)

À partir de l’exemple des barrages du bassin versant de la Loire, Sylvain R

ODE

(2010)

montre comment l’aménagement des cours d’eau, marqué d’abord par une« idéologie

prométhéenne, [. . .] c[ède] le pas à une nouvelle vision des cours d’eau comme milieu et

patrimoine à préserver, [une vision] icarienne donc »(p. 2). Mais cette évolution n’est pas

seulement idéologique, elle est aussi paradigmatique. Selon cet auteur, l’abandon d’une

partie du projet de l’Epala se traduit par l’évolution vers trois nouvelles « équations » :

— En ce qui concerne l’« équation fondamentale de la gestion de l’eau », une

transi-tion se fait du cours d’eau comme une« ressource à exploiter »par

l’aménage-ment à un cours d’eau comme ensemble de« milieux naturels à préserver »et à

valoriser aussi d’un point de vue paysager.

— La deuxième équation concerne la gestion du risque d’inondation. Alors qu’avec

le paradigme techniciste le risque d’inondation était géré,« supprimé », par la

construction de barrages (rendant ainsi la construction en zone inondable

pos-sible), l’évolution vers un paradigme environnementaliste amène à la« définition

de nouveaux modes d’aménagement des territoires ».

— Enfin, la troisième équation traite des rapports entre aménagement et

environ-nement : dans le cas du paradigme techniciste,« le milieu naturel doit se plier

aux exigences des activités humaines »alors que dans le cas de celui

environne-mentaliste le « milieu naturel » est considéré dans une acception plus systémique

et comme devant être protégé des activités humaines (p. 13).

phase à l’initiative de l’Union internationale pour la conservation de la nature et de la

Banque mondiale. Celles-ci décident de réunir lors d’unworkshopà Gland, en Suisse,

des chercheurs, des acteurs politiques et des constructeurs de barrages autour de la

question des conséquences des grands barrages. C’est à l’issue de ce workshop qu’est

formée une commission indépendante, la WCD, dont le but premier est d’évaluer les

implications des barrages en termes de développement ainsi que les alternatives

pos-sibles pour l’approvisionnement en eau et la production d’électricité. Un groupe de

douze commissaires a été constitué. La diversité des acteurs impliqués dans cette WCD

a d’ailleurs été saluée aussi bien par les environnementalistes que par la sphère

scien-tifique (BAGHELet NÜSSER2010). Les commissaires réalisent de nombreuses études

sur des grands barrages, bâtissent une base de données et cataloguent toutes leurs

données sur un site dédié (www.dams.org). Après avoir été rédigé dans la plus grande

confidentialité, le rapport final est rendu public le 16 novembre 2000. La conclusion

principale réside dans l’affirmation selon laquelle les grands barrages présentent un

certain nombre de problèmes — leurs conséquences devraient être atténuées (une liste

de vingt-six recommandations est établie dans le rapport) —, mais qu’ils sont parfois la

seule option en termes de développement. Pour Thayer SCUDDER(2006), la troisième

phase du débat sur les barrages est liée aux réactions que suscite le rapport final de

la WCD. Ce dernier a fait l’objet d’études et d’évaluations, mais il suscite aussi des

réactions de la part d’acteurs politiques. Ses conclusions ont été rejetés par la Chine

et par l’Inde ; l’Espagne et la Turquie ont formulé de nombreuses critiques ainsi que

l’Icold. Les agences des Nations Unies et certains pays européens ont été plus réceptifs.

Les associations environnementalistes et humanitaires en ont été plutôt satisfaites.

Enfin, la position de la Banque mondiale a été plus ambiguë : en 2001, elle a déclaré

qu’elle ne suivrait pas l’ensemble des préconisations formulées dans le rapport final de

la WCD (BAGHELet NÜSSER2010). Plus récemment, Ravi BAGHELet Marcus NÜSSER

(ibid.) montrent que la WCD a proposé une évaluation en profondeur du

fonctionne-ment des barrages mais n’a pas cherché à critiquer, à analyser l’idée même des grands

barrages ; elle n’aurait pas donc pu remettre en question le discours qui présente les

grands barrages comme une nécessité pour répondre à des besoins spécifiques en eau.

C’est notamment la raison pour laquelle ces auteurs appellent à initier des études en

political ecologypour questionner les modèles de développement des barrages et les

conflits autour de ces ouvrages en prenant en compte l’ensemble du jeu d’acteurs ;

ils reprennent pour ce faire un schéma d’acteurs établi par Marcus NÜSSER(2003)

(Figure2.11).

FIGURE2.11– Les acteurs des conflits liés aux barrages selon Marcus NÜSSER(2003).

Marcus NÜSSER(2003) propose ce schéma pour inviter ses lecteurs à avoir une lecture

guidée par l’analyse du jeu d’acteur lorsqu’il s’agit d’étudier, dans une approche de

political ecologyles débats autour des grands barrages.

2.3 Conclusion

Cette recension bibliographique laisse entrevoir qu’un changement

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