• Aucun résultat trouvé

LISTE DES ABBRÉVIATIONS BE : Bas estran

1.1. Contexte et problématique

Dans le contexte des changements climatiques, l’augmentation des températures de l’air provoquera une diminution de la couverture et du volume de glace de mer. À l’échelle de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent, une diminution de 67 % de la couverture et de 69 % du volume de glace de mer est attendue pour l’horizon 2055 (2041-2070) par rapport aux conditions du passé récent (1981-2010) (Senneville et al. 2014). Déjà, à la lumière du suivi effectué par le Service canadien des glaces (SCG), on observe que le pourcentage de couverture de glace pour le total cumulé (TAC) est passé de 14,16 % durant la période 1968-1997 (29 ans) à 8,55 % durant la période 1998-2017 (20 ans). Les conditions climatiques futures menacent le développement du complexe glaciel côtier (pied de glace de haut et de bas estran et banquise côtière) jusqu’à le réduire à la zone de haut estran ou à l’éliminer complètement. En l’absence des autres composantes du complexe glaciel côtier, le pied de glace de haut estran est la dernière entité glacielle à se développer. Les résultats du projet X012.1 « Modélisation des glaces dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent dans la perspective des changements climatiques » obtenus sur des sites d’étude de la Côte-Nord et des Îles-de-la-Madeleine indiquent que le nombre de jours où le pied de glace sera complet subira une diminution de l’ordre de 38 à 53 jours (Senneville et al. 2014).

Or la glace de mer comme l’ensemble du complexe glaciel côtier assure un rôle de protection des côtes contre l’assaut des agents hydrodynamiques.

D’une part, la glace de mer limite l’étendue du fetch et donc la formation de vagues par le vent. De plus, l’énergie des vagues est dissipée lorsque celles-ci entrent en contact avec la glace de mer. D’autre part, le rôle de protection du pied de glace de haut estran plus spécifiquement fait l’objet d’un consensus dans la littérature et apparaît, peu importe les caractéristiques de la côte (Barnes et al. 1993 ; Croasdale et Marcellus 1978 ; Davies et al. 1976;

Dionne 1973, 1976 ; Forbes et Taylor 1994 ; Forbes et al. 2004, 2002 ; Hume et Schalk 1976 ; Joyce 1950 ; Marsh et al. 1973; Mccann et Taylor 1975 ; Moign 1976 ; Nielson 1988 ; Owens 1976; Wiseman et al. 1981 ; Zumberge et Wilson 1953). En effet, la présence du pied de glace limite ou inhibe presque complètement l’emprise des processus hydrodynamiques (vagues) qui sont souvent plus puissants durant la saison froide. Cette protection hivernale permet aussi de réduire la période de transfert de sédiment durant l’année comparativement aux côtes qui ne sont pas affectées par les phénomènes

glaciels (BaMasoud et Byrne 2012 ; Hume et Schalk 1976 ; Marsh et al. 1973 ; Nielson 1988 ; Owens 1976; Wiseman et al. 1981). La diminution partielle ou totale des effets des processus hydrodynamiques et notamment des tempêtes d’automne et d’hiver par les glaces réduit la période de transfert de sédiment durant l’année. Hume et Schalk (1976), qui étudient le secteur de Pointe Barrow en Alaska, indiquent que le transport littoral n’équivaut qu’à 3 % de celui des régions tempérées dont les caractéristiques topographiques sont comparables. Une proportion inférieure qui s’explique par l’inhibition ou le ralentissement des processus propres à l’interglaciel. La réduction du transport sédimentaire associée à la présence de glace de rive est également mise en lumière par Marsh et al. (1973) sur les rives du Lac-Supérieur : « the net sediment transport along the south-eastern shore of Lake Superior is on the order of 11 times greater than that along selected segments of the Arctic shoreline where icefoot formation is known to occur but is much less than that along comparable ice-free coasts ».

Les côtes basses sablonneuses et les côtes à falaises meubles et consolidées, spécifiquement celles constituées de grès, qui évoluent principalement sous l’effet des agents hydrodynamiques sont particulièrement sensibles aux modifications attendues de l’état d’englacement du littoral. Ces types de côtes présentent des valeurs de déplacements négatifs de la ligne de rivage parmi les plus élevées et sont les plus sensibles aux vagues de tempête et aux modifications du régime hydrosédimentaire des plages. Plus spécifiquement, l’évolution des côtes basses sablonneuses est directement liée à la variabilité du bilan sédimentaire des plages et donc aux processus et agents, tels que la glace, qui peuvent modifier les apports sédimentaires ou favoriser l’accumulation ou l’érosion des sédiments.

À la lumière de ces affirmations, de nouvelles connaissances scientifiques doivent être acquises afin d’assurer une gestion des infrastructures et des territoires côtiers de même qu’un développement de solutions d’adaptation qui tiennent compte des modifications climatiques futures anticipées.

D’une part, les solutions d’adaptation conçues pour protéger les infrastructures côtières sont développées en grande partie en fonction du climat de vagues pouvant atteindre la côte ainsi que la durée de la période à laquelle la côte et les infrastructures seront exposées aux agents hydrodynamiques. Or, comme mentionné plus haut, on prévoit un allongement de la période où le haut estran sera libre de glace ce qui pourrait se traduire par une plus grande exposition des côtes aux vagues hivernales et aux vagues de tempêtes ce qui implique des conséquences sur la dynamique côtière, notamment sur le bilan sédimentaire et l’évolution du trait de côte (Bernatchez et Dubois 2004, 2008).

Actuellement, on ne retrouve dans la littérature aucun outil permettant d’estimer la période future d’expositions des côtes dans ce contexte de changements. Seuls les travaux effectués dans le cadre du projet X012.1

« Modélisation des glaces dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent dans la perspective des changements climatiques » ont permis le développement de relations empiriques permettant de prévoir l’état d’englacement du haut estran.

Ces relations, étant basées sur un nombre restreint de saisons et de sites de suivi (entre 1 et 4 saisons), seront améliorées grâce à l’intégration de nouvelles saisons et de nouveaux sites de suivi dans le cadre du présent projet. Les résultats des premiers travaux ont permis de constater que certaines caractéristiques morphologiques de l’estran et le type de côte influencent la durée, l’extension et la stabilité du pied de glace. Or l’influence des caractéristiques morphologiques de la zone côtière sur la dynamique du pied de glace est peu connue et souvent qualitative. Il est donc actuellement hasardeux de généraliser ces résultats préliminaires à l’ensemble de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent et des secteurs où les infrastructures routières sont vulnérables.

D’autre part, la compréhension des conséquences de l’état d’englacement du haut estran sur l’évolution de la ligne de rivage est extrêmement limitée. En effet, les études réalisées sur le pied de glace ont surtout porté sur les processus et modes d’englacement et de déglacement des plages en milieu arctique, subarctique ou tempéré, sur l’effet de la glace dans les milieux de sédimentation fine (surtout dans les marais) et sur les caractéristiques morphologiques du pied de glace en fonction des conditions hydrologiques et météorologiques de mise en place. À l’échelle de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent, les travaux qui ont porté directement ou indirectement sur le complexe glaciel côtier ou le pied de glace sont ceux de Dionne (1973, 1993), Lessard et Dubois (1984), Troude et Sérodes (1988), Bouchard (1997), Bernatchez et Leblanc (2000), Bernatchez et Dubois (2004), Moign (1972) et Manson et al. (2002). À notre connaissance, seuls les travaux de Bernatchez et al. (2008) et de BaMasoud et Byrne (2012) ont permis de mettre en relation les conditions de glace avec l’évolution du trait de côte. Les travaux de Bernatchez et al. (2008) ont permis de comparer des périodes d’évolution du trait de côte (intervalles pluriannuels tributaires des dates d’acquisition des orthophotographies) avec les conditions climatiques prévalant durant celles-ci.

Les résultats obtenus indiquent qu’aux Îles-de-la-Madeleine, les périodes de faible englacement correspondent à des périodes marquées par la réduction des largeurs de plage et subséquemment au recul du trait de côte. Les travaux de BaMasoud et Byrne (2012), aussi réalisés à partir d’orthophotographies aériennes, ont permis de mesurer l’effet d’une année de faible englacement

sur l’évolution de la ligne de rivage d’un site d’étude situé dans les Grands Lacs.

Les conséquences de la réduction de la couverture de glace sur la vitesse d’érosion de la côte et sur le bilan sédimentaire des plages n’ont donc pratiquement jamais fait l’objet de quantification. Seuls quelques chercheurs ont réalisé des profils topographiques de plage (Bouchard 1997 ; Ross 1988) et particulièrement dans la région de Sept-Îles (Lessard et Dubois 1984 ; Moign 1972). Toutefois, la faible résolution temporelle et spatiale fait en sorte qu’il est difficile de faire le lien quantitatif entre l’évolution de la plage et l’évolution de la côte et d’identifier les causes de la variabilité morphologique de la plage. En l’absence de ces connaissances, les projections d’érosion côtière ne tiennent pas compte de la réduction appréhendée de la couverture de glace.