• Aucun résultat trouvé

Cette thèse s’intègre dans le projet scientifique du Laboratoire d’Excellence (LabEx)

Ressources 21 « Métaux stratégiques du 21

ème

siècle » dont le but est tracer le cycle des métaux

stratégiques depuis leur extraction mantellique jusqu’aux processus de surface et leurs impacts

environementaux. Plus spécifiquement cette étude s’intègre dans l’axe « Terres Rares » du

LabEx et se focalise sur l’étude d’occurrences de terres rares magmatiques associées à des

dykes de granite pegmatitique de la Province de Grenville central.

1.1. Importance économique des terres rares

Les terres rares correspondent à quinze éléments chimiques du groupe des lanthanides,

du Lanthane au Lutétium (La-Lu) de la classification périodique. Elles ont de nombreuses

applications et sont disséminées dans les objets de la vie courante, dans chaque ordinateur,

écran de télévision, téléphone portable, etc. (par exemple Chakhmouradian et Wall, 2012 ;

Hatch, 2012 ; Massari et Ruberti, 2013). Ces métaux sont également utilisés dans les « énergies

vertes » avec près de 25% du marché des terres rares dédiés à la fabrication d’aimants à NdFeB

pour les éoliennes ou encore les véhicules hybrides, électriques et les batteries (par exemple

Rapport du BGS, 2011 ; Chakhmouradian et Wall, 2012 ; Hatch, 2012 ; Massari et Ruberti,

2013). Les prédictions récentes de la demande des terres rares suggèrent qu’elle sera dominée

par ces utilisations ainsi que par la demande en fibre optique à Erbium (Goodenough et al.,

2017).

Bien que de nombreuses occurrences de terres rares soient recensées en Europe,

suffisamment pour que l’Union Européenne assure sa propre demande dans un futur

relativement proche, leur valorisation reste à développer pour garantir une exploitation viable

(Goodenough et al., 2016). Ainsi, à l’heure actuelle l’Union Européenne est totalement

dépendante de l’importation de terres rares étrangères (Commission Européenne, 2017;

Guyonnet et al., 2015). En plus de la quasi-absence de recyclage (8% pour les légères, 3% pour

les lourdes) et la difficulté de les substituer, la Commission Européenne a défini les terres rares

comme « matières premières critiques » sur la base d’un risque de pénurie d’approvisionnement

et de leur impact sur l’économie (Fig. 0-1) (Commission Européenne, 2014, 2017). En effet, la

Chine est à l’heure actuelle le principal producteur mondial et représente 95% de la production

avec le gisement de Bayan Obo (Kynicky et al., 2012). C’est le fournisseur le plus important

de l’Union Européenne (40%), suivi de près par les États-Unis (34%) et la Russie (25%)

(Commission Européenne, 2017).

Introduction – F. Turlin – 2017

30

Figure 0-1 : Matrice de criticité publiée par la Commission Européenne (2014), mise à jour en 2017.

1.2. Propriétés physico-chimiques des terres rares

Le rapport entre la charge d’un élément (Z) et son rayon ionique (r) sont définis comme

le potentiel ionique (Z/r) (Cartledge, 1928 ; Goldschmidt, 1937). Celui-ci contrôle le

comportement géochimique des éléments et permet en particulier la distinction de deux groupes

que sont les LILEs (large-ion lithophile elements) et les HFSEs (high-field strength elements)

(Goldschmidt, 1937 ; Rollinson, 1993). Les LILEs comprennent entre autres Cs

+

, Rb

+

, K

+

, Pb

2+

,

Sr

2+

, et Eu

2+

, et les HFSEs Ln

3+

(La

3+

à Lu

3+

), Y

3+

, Sc

3+

, U

4+

, U

6+

, Th

4+

, Hf

4+

, Zr

4+

, Ta

5+

et Nb

5+

.

Ces deux groupes d’éléments étant incompatibles (concentrés dans les phases liquides au cours

de la cristallisation fractionnée) dans les processus magmatiques mafiques, ils sont

essentiellement concentrés dans la croûte où leur comportement diffère essentiellement dans

les processus magmatiques plus différenciés. Les LILEs sont compatibles dans les phases

silicatées telles que les feldspaths ou les micas, contrairement aux HFSEs qui, en raison de leur

charge élevée, ne peuvent se substituer dans ces minéraux. Ainsi, au cours de la cristallisation

fractionnée de magmas évolués, la concentration des LILEs dans le liquide a tendance à

diminuer (compatibles) alors que celle des HFSEs a tendance à augmenter, ces derniers se

concentrant donc en général dans les magmas les plus évolués.

Les terres rares sont composées des quinze éléments chimiques constituant les

lanthanides, du La au Lu (numéro atomique 57 à 71), auxquelles sont généralement ajoutés le

Sc et l’Y (par exemple Chakhmouradian et Wall, 2012 ; Goodenough et al., 2017). Leur

abondance décroit avec leur numéro atomique dans la croûte terrestre, suivant l’effet «

Oddo-Harkins », lequel décrit une abondance des éléments chimiques de numéro atomique pair

supérieure à celle des éléments de numéro impair. Les terres rares appartiennent toutes au

groupe des HFSEs, à l’exception de l’Eu dans son état d’oxydation 2+, appartenant aux LILEs

(Rollinson, 1993). Elles ont donc des propriétés et des comportements géochimiques proches

avec en particulier un état d’oxydation de 3+ (parfois de 2+ (Eu) ou de 4+ (Ce)). Cependant, la

réduction du rayon ionique, ou « contraction des lanthanides », induit une augmentation de la

compatibilité du La au Lu à l’origine des spectres de terres rares normalisés au manteau primitif

miroirs entre un manteau appauvri et une croûte continentale (par exemple Chakhmouradian et

Wall, 2012). Avec cette normalisation, le manteau primitif présente une pente positive dans les

terres rares légères et la croûte continentale une pente négative. Ces différences

physico-chimiques (rayons ioniques et d’état d’oxydation, principalement) sont à l’origine du

fractionnement des terres rares dans les environnements géologiques, ce qui en fait des traceurs

des processus géologiques de premier ordre.

1.3. Problématique de la thèse

Les premières exploitations de terres rares se sont concentrées sur les placers à monazite,

des gisements faciles d’accès et à faible coût d’exploitation (Chakhmouradian et Wall, 2012).

Depuis les années 1950s, les exploitations de terres rares associées à des complexes ignés ont

fourni les principales ressources avec l’exploitation de la carbonatite de Mountains Pass

(Californie, États-Unis), du complexe alcalin de Lovozero (Russie) et du gisement Fe-terres

rares-Nb de Bayan Obo fournissant à lui seul près de la moitié des terres rares chinoises (Castor

et Hedrick, 2006 ; Chakhmouradian et Wall, 2012 ; Kynicky et al., 2012). Depuis cet intérêt

porté aux gisements de terres rares associées à des roches ignées (±hydrothermales), une grande

partie de la recherche sur la métallogénie des terres rares a été focalisée sur ces cas très

spécifiques (Castor, 2008 ; Kynicky et al., 2012 ; Mariano et Mariano, 2012) ou sur des

synthèses géographiques par exemple en Amérique du Nord (Mariano et Mariano, 2012) et en

Chine (Kynicky et al., 2012). Ainsi, la synthèse de Chakhmouradian et Wall (2012) propose

une coupe géologique des environnements tectoniques des principaux gisements de terres rares,

dans laquelle un environnement correspond globalement à un gisement et inversement (Fig.

0-2).

Introduction – F. Turlin – 2017

32

Ainsi, aucune étude scientifique ne s’est attachée à la caractérisation du cycle

métallogénique des terres rares à l’échelle d’une province orogénique en intégrant l’évolution

spatio-temporelle d’occurrences de terres rares dans un cadre géodynamique.

L’intégration des gisements dans leur contexte géodynamique à grande échelle

temporelle a été proposée par de nombreux auteurs (par exemple Barley and Groves, 1992 ;

Bierlein et al., 2002 ; Cawood et Hawkesworth, 2015 ; Groves et Bierlein, 2007 ; Kerrich et al.,

2000, 2005 ; Meyer, 1981, 1988). Peu d’études zooment cependant à l’échelle d’un cycle

orogénique (Eglinger, 2013 ; Eglinger et al., 2016 ; Toé, 2012 ; Turlin et al., 2016). Ce travail

de thèse se propose donc d’utiliser des occurrences de terres rares magmatiques comme traceurs

de processus de croissance et différenciation de la croûte.

1.4. Choix de la cible géologique

La Province de Grenville est la partie affleurant essentiellement au Québec et en Ontario

(Canada) d’une ceinture orogénique s’étendant du Texas au bouclier Svécofennien (par

exemple Rivers et al., 2012). Elle s’est formée à la suite d’une longue histoire d’accrétion

tectono-magmatique d’arcs à la marge Sud-Est de Laurentia, suivie par une collision

continentale entre Laurentia et Amazonia entre 1090 et 980 Ma (par exemple Li et al., 2008 ;

Rivers et al., 2012 ; Tohver et al., 2006). Cette ceinture orogénique, décrite comme le climax

orogénique de la Terre (Van Kranendonk and Kirkland, 2013), est un équivalent protérozoïque

de la ceinture Himalaya-Tibet actuelle (par exemple Rivers, 2008). Particulièrement riche en

occurrences de terres rares associées à un large spectre de roches magmatiques (Fig. 0-3), elle

expose sa racine orogénique composée de roches de haut-grade métamorphique et permet donc

l’étude de processus magmatiques profonds (Rivers, 2008 ; Rivers et al., 2012). Cette cible

représente ainsi un laboratoire naturel idéal pour l’intégration de ces occurrences dans un cycle

orogénique.

Figure 0-2 : Principaux gisements de terres rares dans leur contexte géodynamique (d’après Chakhmouradian et Wall, 2012). Abréviations : AU = Australie ; CA = Canada ; CH = Chine ; KR = Kyrgyzstan ; KZ = Kazakhstan ; RU = Russie ; SA = Afrique du Sud ; SW = Suède ; USA = États-Unis.

Parmi les occurrences de terres rares magmatiques de la Province de Grenville, les

granites pegmatitiques sont particulièrement représentés (Fig. 0-3) et les moins étudiés. Suite à

des travaux de cartographie dans le Grenville central, à proximité de l’impact météoritique de

Manicouagan, Moukhsil et al. (2014) ont identifié sept occurrences de terres rares associées des

granites pegmatitiques. Ce travail de thèse porte sur ces occurrences de terres rares avec pour

objectifs de répondre aux questions suivantes :

- Quelles sont les caractéristiques minéralogiques et géochimiques de ces granites

pegmatitiques, et notamment quels sont les porteurs des terres rares ?

- Quelle est la source de ces magmas ? Ces magmas sont-ils issus de la fusion partielle

d’un manteau dont la nature est à déterminer ? Ou bien ces magmas proviennent-ils de

la remobilisation d’une croûte préexistante dont l’héritage archéen à

mésoprotérozoique sont à identifier ?

Figure 0-3 : Carte géologique simplifiée de la Province de Grenville au Québec et au Sud du Labrador (Canada) sur laquelle sont repositionnées une partie des occurrences de terres rares recensées dans cette province et associées à un large spectre de composition magmatique (compilé d’après Bergeron, 1980 ; Černý, 1990 ; Corriveau et al., 2007 ; Currie et Breemen, 1996 ; Dymek et Owens, 2001 ; Groulier, 2013 ; Hébert, 1995 ; Lentz, 1996 ; Moukhsil et al., 2014 ; Moukhsil et Solgadi, 2013 ; Nantel, 2008 ; Sangster et al., 1992 ; Turlin et al., 2017 ; van Breemen et Currie, 2004) (modifiée d’après Moukhsil et Solgadi, 2013).

Introduction – F. Turlin – 2017

34

- Quel est le contexte géodynamique favorable à la pétrogénèse et à la mise en place de

ces magmas en référence à l’évolution orogénique grenvillienne ? Les magmas sont-ils

plutôt générés lors de la période d’accrétion tectonique-magmatique le long d’une

marge active marquée par une subduction, ou bien lors de la collision, ou encore en lien

avec l’évolution tardi- à post-orogénique ?

Documents relatifs