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tyran est un corps malade contaminé par des infections qui touchent essentiellement ses organes génitaux. La référence au bas du corps se substitue à la référence faite à la tête et

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sacralisé, c’est un corps sain, placé au rang de la divinité. Selon Nicole Vaschalde, la

cohésion sociale dépend du respect de la symbolique de la hiérarchie représentée par un

corps désormais « laïcisé », mais étant l’élément moteur qui structure la société :

Toute société hiérarchisée est assimilée à un corps bien agencé. Ce corps est dit mystique lorsque l’informent des forces naturelles. L’expression désignait à l’époque l’Eglise universelle qui avait pour corps la communauté des fidèles et pour tête, le Christ. L’analogie s’est progressivement laïcisée et banalisée, la tête représentant le souverain et le corps la société civile44.

Dans la fiction sonyenne, le roman procède à une subversion des symboles liés au

corps politique. Alors que dans la tradition chrétienne, la tête placée au dessus du corps

représente l’esprit du roi, chez Sony Labou Tansi, la caricature du Guide subvertit

l’ordre des symboles chrétiens du corps. Elle fait du bas du corps la référence du corps

politique : le corps politique est démystifié et rabaissé au rang du grotesque et du

scatologique.

Les corps des dictateurs Martimilli Lopez, Matella Pene alias Cézama 1

er

,

Wallante, L’Espèce d’homme, respectivement Guides suprêmes de l’Etat de la

Katamalanasia dans La Vie et demie, de Zambatown dans L’Etat honteux, de la

République de Zambatown dans Une chouette petite vie bien osée et dans Qui a mangé

madame D’Avoine Bergotha ? représentent ainsi un pouvoir défectueux. Le corps du

tyran est un corps malade contaminé par des infections qui touchent essentiellement ses

organes génitaux. La référence au bas du corps se substitue à la référence faite à la tête et

aux forces spirituelles. Ainsi les sociétés représentées sont des sociétés maladives,

puisque le corps politique est lui-même infecté et marche, littéralement la tête en bas.

Le corps du président est alors assimilé à l’Etat, il est indissociable de l’autorité

d’Etat. Théodore Holo affirme que dans les Etats africains en général, le Président de la

république est confondu avec l’Etat. Il apparait, dans son étude, qu’aucun cadre légal,

juridique, constitutionnel ou de droit coutumier n’ordonne la relation entre le Président et

les citoyens. Le monarque jouit des biens publics à sa guise et de la subordination de

l’ensemble des organes institutionnels à sa personne physique :

En Afrique noire francophone, le chef de l’Etat est toujours qualifié de « cœur du système ». Cette situation s’inscrit dans une dynamique de la prépondérance du chef de

36 l’exécutif observée dans les différents types de régime politique qu’ils soient présidentiels, semi présidentiels, parlementaires…

Sur le continent africain, cette évolution a abouti à un présidentialisme négro-africain caractérisé par la concentration de tous les pouvoirs au profit du Président de la République, transformé, malgré l’affirmation de la forme républicaine de l’Etat, en un monarque par le mécanisme du parti unique qui lui assure l’intangibilité dans ses fonctions, le contrôle voire la subordination à son autorité de tous les organes attributaires des fonctions politiques essentielles de l’Etat. Cette mutation fondée sur le monolithisme est en vogue de 1960 à 199045.

Ainsi, la focalisation du récit sur le bas du corps s’explique par l’absence des lois

et des forces spirituelles intermédiaires entre le peuple et son prince. Toute relation entre

les hommes repose sur un rapport direct avec le corps du Guide. Ce corps prend de

multiples fonctions, il est un outil d’oppression et de pouvoir. Mais il ne fonctionne en

général que dans l’usage excessif de ses orifices à travers la mise en contribution des

organes digestifs et des organes génitaux (orifices anaux et sexes). L’autorité exercée va

dans le sens de la prise de possession des êtres humains et des objets. La prééminence du

bas du corps impose un règne de consommation phallique et digestive de telle sorte que

toute relation de pouvoir passe par le sexe mâle.

I.2- SEXUALITÉ ET VIOLENCE

Dans l’univers fictif, la relation à l’autre est sous-jacente à l’enjeu de

l’assujettissement, de la consommation ou de la résistance. Le rapport du président et de

son sujet correspond à la dialectique de la synecdoque ou à l’image du corps morcelé

pour être consommé. Celle-ci use du lexique de la scatologie pour désigner l’autorité de

l’Etat ou le sujet soumis. Par conséquent, le portrait caricatural du Père emploie

abondamment les substantifs très réducteurs de « hernie » et de «palipalie » pour désigner

le sexe comme objet de pouvoir.

La « hernie » contamine l’ensemble du récit, elle se fait le lieu d’autorité puisque

le Guide n’existe qu’à travers elle. Nous nous intéressons à la relation entre la sexualité et

le pouvoir et à la manière dont elle organise les rapports humains basés sur une relation

de prédation sexuelle et cannibale.

Les paires pouvoir/sexe, pouvoir/consommation tiennent leur logique du fait que

ce sont des lieux de jouissance. Cette idée est développée par Michel Cornatan qui définit

45

Théodore Holo, Le Président de la République en Afrique noire francophone, Paris, L’Harmattan, 2007, p. 21.

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le pouvoir comme étant aussi un lieu de plaisir autant que la sexualité et la consommation

des aliments. Selon lui, le rapport direct de l’autorité politique et de la sexualité est lié au

fait qu’il existe « un sentiment de jouissance » qui, dans les deux cas, est motivé par un

enjeu de domination.

Le pouvoir est aussi un lieu de plaisir et la sexualité le domaine de pouvoir sur l’autre et sur soi-même. Pour s’en convaincre, il suffit de mettre en parallèle les expressions nombreuses désignant la conquête d’un pouvoir ou d’un partenaire sexuel (le plus souvent une femme). En matière de sexualité et de pouvoir, il y a ceux qui « en ont » et ceux qui « n’en ont pas ». L’autorité est mâle, elle est un attribut […]46.

L’Etat-Honteux est l’évocation des parties intimes du Président. Ces parties

cachées situées au bas du corps sont des atouts de gouvernance. Ainsi, le narrateur de

L’Etat-Honteux introduit son récit en attirant d’emblée l’attention du lecteur sur la hernie

du Président. Tout semble exister uniquement à travers cette partie intime du corps ainsi

que l’indique le narrateur dans les premières pages du roman :

« Voici l’histoire de mon colonel Martimilli Lopez fils de Maman nationale, venu au monde en se tenant la hernie, parti de ce monde toujours en se la tenant, Lopez national, frère cadet de mon-lieutenant-colonel Gaspare Mansi, ah pauvre Gaspard Mansi, chef suprême des Armées, ex-président à vie, ex-fondateur du Rassemblement pour la démocratie, ex-commandant en chef de la Liberté des peuples, feu Gaspard Mansi… » 47.

L’évocation permanente des besoins naturels que sont l’alimentation, la

défécation et l’accouplement fait du corps politique un corps grotesque. Les parties

génitales se substituent à l’ensemble des autres organes, toute existence est liée aux

parties du bas du corps.

L’Etat honteux décrit une scène d’orgie durant laquelle Martimilli Lopez

s’entretient des affaires de l’Etat. Le lieu d’énonciation de son discours est son lit, lieu

associé à l’accouplement. Il y a une confusion entre le discours politique et le désir

érotique. L’usage des images de la déjection anale et jouissive « eau pourrie » (désigne le

sperme), le néologisme « Amerdiens » est composé du vocable merde. Le cri de

jouissance est également une forme de déjection buccale, dans l’imitation faite à travers

l’onomatopée, « bonnnnnne». Par conséquent, la haute fonction et le rôle si important du

46

Michel Cornatan, Pouvoir et sexualité dans le roman africain, Paris, L’Harmattan, 1991, p. 40. 47 Sony Labou tansi, L’Etat honteux,op. cit., p. 7.

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Président sont réduits aux actes grossiers et vulgaires des déjections jouissives du bas du

corps du Président :

Il lui fait cadeau de son eau de père de la nation, son eau pourrie qui ne veut pas me donner un fils : je ne comprends pas. Il lui parle de Jacqueline Daras que les Français ont envoyé me couper la hernie mais moi j’ai pardonné. […] Pendant qu’il lui met l’eau de ma mère, il lui explique comment les Amerdiens ont voulu jeter le pouvoir dans les bras de feu mon colonel Vanzio-Pablo et ma fille sois bonne sois booonnnnne48.

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