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La construction d’un sens par les principes des vies interreliées et de l’agentivité

Chapitre 4 Exposition à la violence conjugale : regards de jeunes adultes sur leur parcours

5.1 Construction du sens donné à la violence conjugale

5.1.2 La construction d’un sens par les principes des vies interreliées et de l’agentivité

recherche de sens observent que des processus d’assimilation et d’accommodation sont utilisés afin de rétablir une certaine cohérence entre la signification globale de l’individu et la signification situationnelle d’un événement vécu (Steger & Park, 2012). Dans ce que décrivent les participants, ces processus sont intimement liés à deux des principes de la théorie du parcours de vie que sont les vies interreliées et l’agentivité.

Le processus d’assimilation

Les participants, dans ce qu’ils racontent, ont modifié, au fil du temps, la signification situationnelle qu’ils donnent à la dynamique de VC et à ce qu’elle entraine comme conséquences et enjeux au sein de leur famille. Christian et Mathilde le verbalisent d’ailleurs dans le chapitre trois lorsqu’ils décrivent qu’ils ont compris avec le temps le caractère inacceptable de la VC. Pour en arriver à ce raffinement de la signification situationnelle, plusieurs des participants mentionnent s’être ouverts à quelqu’un de leur entourage sur la situation familiale, leur permettant ainsi de mettre des mots sur leur vécu et de le comparer avec celui d’autres familles. Ces actions, qui font partie d’un processus d’assimilation (Figure 5.3), impliquent à la fois que le développement de la signification situationnelle donnée à la VC soit influencé par les actions et les paroles de l’entourage autant que par le rôle d’acteur du jeune adulte au sein de sa propre vie.

Figure 5.3. Processus d’assimilation et d’accommodation à travers les vies interreliées et l’agentivité Buts, valeurs, croyances Signification donnée à l'événement PROCESSUS D’ASSIMILATION Vies interreliées

- Avoir des points de comparaison

- Avoir l'avis de quelqu'un sur sa situation

Agentivité pragmatique

- Mettre des mots sur son vécu, prendre conscience de la violence

- S'ouvrir, partager son vécu

PROCESSUS D’ACCOMODATION Vies interreliées

- Aider à reconnaitre sa valeur personnelle

- Observation du parcours des autres pour définir ses objectifs personnels

Agentivité du parcours de vie

- Prendre des décisions pour soi, reprendre du pouvoir sur sa vie

- Refuser la violence, la rejeter

Signification donné à l'événement

Buts, valeurs, croyances

À titre d’exemple, Noémie nous confie, à la page 53, que d’avoir discuté avec sa mère des événements de violence vécue dans la famille lui a fait ajouter à sa définition le fait qu’une dynamique de pouvoir peut être présente dans le contexte de la VC. Houda nous mentionne quant à elle que le fait de comparer sa situation familiale avec celle de ses amis l'a aidée à mieux comprendre ses émotions en lien avec la violence à laquelle elle a été exposée. Les propos de Noémie et de Houda sont de bons exemples de l’application concrète du principe des vies interreliées dans le processus d’assimilation. C’est également parce que le parcours de vie des jeunes exposés à la VC est intimement lié à celui de leurs parents que la VC les affecte autant. Ils ont à vivre, au quotidien, en étant des témoins directs et indirects des gestes de violence, mais également des conséquences sur la victime et des impacts que la violence a sur toute la dynamique familiale. La signification situationnelle donnée à la VC par les participants s’appuie ainsi sur le contexte spécifique auquel ils sont exposés. À titre d’exemple, les participants à l’étude décrivent les causes de la VC en s’appuyant sur ce qu’ils ont observé et déduit de leur propre contexte familial. Pour Léa, la violence est intimement liée à la consommation d’alcool, tel qu’elle l’a vue avec son père, alors que Simon met plutôt l'accent sur le fait que la victime qui demeure dans le contexte de violence en favorise la pérennité, selon lui. Sa mère étant toujours en couple avec le beau-père violent, cette signification donnée aux causes de la violence fait du sens pour lui.

Par ailleurs, à l’intérieur du processus d’assimilation, ce principe des vies interreliées agit en symbiose avec le principe d’agentivité. En effet, pour avoir une rétroaction de l’entourage concernant la violence, les participants ont dû prendre la décision de s’ouvrir à certaines personnes alors que la comparaison avec ce qui est vécu dans les autres familles leur a demandé de poser un regard critique et réfléchi sur leur vécu personnel. On parle donc ici davantage d’une agentivité pragmatique, puisque ces décisions sont prises de façon consciente par les participants, face à une situation à laquelle leurs réflexes habituels ne permettaient pas de répondre (Hitlin & Elder, 2007).

Le processus d’accommodation

Le processus d’accommodation se produit, lui aussi, par l’entremise des principes des vies interreliés et de l’agentivité (Figure 5.3). D’abord, c’est à travers les relations que chaque personne a avec les autres qu’elle apprend à se connaitre, à se définir et à savoir ce qu’elle veut pour la suite de son parcours de vie (Settersten, 2015). Ceci laisse donc à penser que la signification globale se développe à travers les vies des personnes qui gravitent autour de ce parcours. D’ailleurs, certains des participants, comme il a été mentionné plus haut dans le cas de Pascale, mentionnent que les personnes faisant partie de leur trajectoire d’amitié ou amoureuse les aident à voir ce qu’ils valent et à changer le regard qu’ils portent sur eux- mêmes. C’est aussi en observant le parcours de vie de leurs parents qu’ils arrivent à se fixer des buts et à définir ce qu’ils souhaitent ou non reproduire dans leur propre trajectoire familiale.

Dans le processus d’accommodation, c’est davantage l’agentivité du parcours de vie (life course agency), tel que défini par Hitlin et Elder (2007), qui ressort des propos des participants. En effet, en voulant se fixer des buts et se définir des valeurs qui concorderaient avec la signification situationnelle donnée à la VC, ils se sont projetés dans l’avenir et ont posé des actions concrètes visant un but précis. Par exemple, l’entrevue faite avec Stella l’amène à identifier, de façon rétrospective, qu’elle a décidé, à 18 ans, de prendre des décisions pour elle et de prendre soin d’elle. D’ailleurs, comme mentionné précédemment, plusieurs participants expriment aussi avoir posé des actions leur permettant de s’assurer de ne plus vivre de violence, de devenir une meilleure version d’eux-mêmes ou de reprendre du pouvoir sur leur vie.

En bref, avec le temps, l’influence de l’entourage et de leur propre agentivité, les participants en viennent à une définition de la VC et à des buts, des valeurs et des croyances qui présentent une meilleure cohérence. Par l’entremise des processus d’assimilation et d’accommodation, la majorité des participants rencontrés semblent avoir trouvé un équilibre relatif entre la signification situationnelle donnée à la VC et leur signification globale. Alors que plusieurs en sont venus à considérer la VC comme un phénomène inacceptable ayant des

signification globale rejetant la violence dans leur vie. Autre exemple, certains participants ont associé la VC au contrôle qui peut y être vécu, ce qui pourrait expliquer que plusieurs d’entre eux ont maintenant une signification globale mettant de l’avant la reprise de pouvoir sur leur vie. Il faut par contre mentionner que des éléments d’incompréhension semblent encore présents dans les significations que les participants donnent à la VC, qui laissent croire que cet équilibre n’est pas totalement atteint. Par exemple, tout au cours des entrevues, plusieurs participants se sont questionnés sur ce qui amène quelqu’un à utiliser la violence sur une autre personne ou ce qui fait qu’une personne victime de violence ne quitte pas la relation, comme Rachel l’exprime bien dans le chapitre trois. De plus, comme on le verra plus loin avec le principe du développement tout au long de la vie, ces significations peuvent continuer d’évoluer dans le temps, en fonction des autres événements qui viendront jalonner le parcours de vie des participants, faisant que l’équilibre entre les significations situationnelle et globale peut être amené à se renforcer ou se fragiliser.