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Chapitre 3 : Situation actuelle et méthodologie d’enquête

7 septembre Avant de quitter Dyabougou, visite du village et enlèvement d’un deuxième Kono, que Griaule a repéré en s’introduisant subrepticement

2.4 D E QUELQUES POINTS SAILLANTS

2.4.1 La construction d’un récit mythique

Nous avons vu qu’il y avait, pour les acteurs du champ, une transmission particulière d’une histoire particulière. Qu’il s’agisse des marchands, des conservateurs de musées, des commissaires-priseurs ou des différents experts, il existe tant dans les discours informels que dans les formations officielles, une histoire canonique transmise d’une façon précise : parler de l’histoire de ces objets ne signifie en effet presque jamais parler de leur histoire, mais bien davantage parler de la rencontre de ces objets avec l’histoire européenne de l’art. Ainsi, pour exemple, le cours proposé à l’École du Louvre par Manuel Valentin en 2015-2016, chercheur au Musée de l’Homme, et intitulé « Histoire de l’art africain », se structure autour de l’identification de cinq paliers de la rencontre de ces objets avec l’Europe185. Le cours similaire proposé pour les arts océaniens par le conservateur du Département des arts océaniens du Musée du quai Branly- Jacques Chirac , Philippe Peltier, se construit sur le même modèle, identifiant les étapes de la rencontre des productions océaniennes avec les Européens186

. Pourtant, autant Manuel Valentin qu’Aurélien Gaborit, aussi chargé d’un cours à l’École du Louvre sur les arts d’Afrique, soulignent le polymorphisme de l’histoire de l’art et le fait qu’il existe une vision européenne stéréotypée qui, dans le cas des arts d’Afrique par exemple, met l’emphase sur des points précis : le fait que ces objets ont souvent été regardés avec des œillères et donc non pris en compte pour leurs qualités intrinsèques et formelles, cette prise en compte ne

185 La découverte maritime des Portugais au 16e siècle, les avant-gardes françaises,

l’apport de l’ethnologie, la prise en compte de l’aspect archéologique, puis finalement de l’art contemporain au 20e siècle.

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La première phase est celle de de la découverte de ces objets et de leur arrivée dans les musées ; la deuxième phase est celle de la confrontation de ces objets avec les avant- gardes françaises, puis avec les artistes contemporains (cours Histoire de l’art océanien, donné par Philippe Peltier durant l’année académique 2015-2016 à l’École du Louvre, Paris).

s’opérant qu’au moment des années trente. Ils mettent en évidence le fait que ce point de vue est stéréotypé, mais continuent cependant de le transmettre en toute conscience, comme l’indiquait Aurélien Gaborit dans son cours d’introduction en 2015 :

« On sait que les objets circulent et l’importance de l’ethnologie et de l’histoire, mais dans les faits, cela n’apparaît pas, car on continue à maintenir une forme de système »187.

L’histoire de ces objets consiste donc en une approche de leur arrivée en Europe et des raisons de leur conservation. Cette histoire schématisée, avec ses principaux acteurs et ses événements, relève presque aujourd’hui d’une mythologie qui, si on la sait relever du récit mythique, continue d’être transmise et se structure autour de plusieurs points très importants que nous avons vus apparaître en filigrane tout au long de ce chapitre. Les points saillants de ce récit se comptent selon moi au nombre de trois : l’un des plus importants est très certainement l’identification de personnalités, figures de proue le plus souvent issus du monde des marchés de l’art, qui ont œuvré à la reconnaissance des objets ethnographiques en tant que catégorie artistique de l’histoire de l’art européenne. Le deuxième est la caricature faite, en opposition à ces figures de proue, des musées comme lieux d’érudition détachés de tout intérêt pour les formes des objets. Finalement, le dernier point est la négation de liens entre ceux deux partis.

Des expositions universelles à la création des derniers musées, le statut de l’objet ethnographique – œuvre d’art ou objet-témoin ? – ne cesse d’être débattu et questionné. Nous avons vu que, du côté du mythe de l’histoire des objets, une dichotomie entre des ethnologues attachés au statut de témoignage de l’objet et entre des marchands ou esthètes attachés à l’objet comme œuvre d’art ne cesse d’être rappelée et transmise. Cependant, nous avons aussi vu que, dans les faits, les ethnologues prennent aussi très tôt en considération les qualités formelles des

187 Histoire des arts d’Afrique 2015-2016, séance introductive donnée par Aurélien

Gaborit, conservateur du Département des collections africaines et du Pavillon des Sessions du Louvre, École du Louvre, Paris.

objets : dans la collecte, mais aussi dans les expositions ou les publications. Cela dépend aussi fortement des personnalités des individus, les politiques pouvant changer d’un conservateur à l’autre par exemple188. Cette dichotomie ne se vérifie donc pas historiquement dans les faits, mais continue d’être mobilisée, comme nous le verrons avec le contexte de création du Musée du quai Branly-Jacques Chirac à Paris.

Cette opposition entre ethnologues et esthètes se double, comme nous l’avons vu, d’une opposition continuellement remobilisée par les acteurs entre marchands et musées. Si une cristallisation s’observe effectivement dans l’après Seconde Guerre mondiale entre ceux deux sphères professionnelles, dans les faits, elle n’est pas relevante, et même quasi inexistante avant les années cinquante, et la frontière entre marchands et conservateurs ou ethnologues n’est pas toujours bien définie. La différence entre ces deux sphères se situe sur d’autres points que celui de la séparation art-ethnologie, comme le rappelle Maureen Murphy (2009) : les démarches privées (ventes, marchands, etc.) et les mises en scène publiques (actions coloniales, etc.) n’ont pas les mêmes finalités.