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Chapitre 3 : Approche méthodologique

3.1 Comment étudier les idées en archéologie

3.1.3 La construction de modèles

Pour mieux illustrer les processus et les relations qui sont mis en évidence par la présente recherche, un modèle théorique a été construit. John C. Barrett et Krystalli Damilati énoncent bien en quoi la construction d'un modèle peut servir dans l'étude des changements culturels :

Models are simplifications of complex situations, they enable us to sort the information into manageable forms and provide an over-view of the situation under investigation. Models also allow us to think through the implications of changes in their particular components. If we model historical conditions we may trace the changes that occurred through time and may glimpse the factors / that contributed to those changes. Shifting patterns of wealth, new technologies the rise of new formations: all these represent structural changes and all may have facilitated the possibility of further change in the histories of social formations. We may thus grasp common features in history, be they the possible consequences of local patterns of household production, the demands of chiefly authority, or the territorial organization of early states. (Barrett et Damilati 2004 : 157-158).

Henry T. Wright a aussi réfléchi à la notion de modèle théorique, sa composition et son utilité « By a model I mean a set of statements of dimension and variable definition and of

variable relationship which represent a specific phenomenon, in our case a specific area of state development. Models need not be general and need not be theoretically based. Those that are so based can involve more than one theory. » (Wright, H. 1978 : 55) Le modèle

théorique s'avère donc particulièrement utile pour associer les divers éléments d'un phénomène complexe ou y joindre des théories contribuant à expliquer les différentes facettes du phénomène.

Dans le cadre de la création d'un modèle visant à expliquer le changement culturel, certains objectifs sont à respecter. Selon Henry T. Wright (1978), les modèles constitués dans ce contexte devraient avoir pour objectif d'élucider des sous-systèmes et des structures en plus de démontrer des changements en fonction de certaines variables clés. Par la suite, ces modèles devraient pouvoir nous permettre de nous concentrer sur les structures de prise de décision. Wright (1978) ajoute que la création du modèle n'est pas une fin en soi; il ne devrait que servir d’outil pour nous permettre d'arriver à un résultat ou de tester nos hypothèses.

Certains auteurs ont proposé différents facteurs à inclure au sein d'un modèle expliquant un changement social, que ce soit dans un contexte général ou plus spécifique au monde égéen. Cette grande quantité de variables qui devraient composer le modèle constitue en fait la difficulté principale de la construction de modèle dans ce contexte : « A

more serious difficulty is the sheer number of variables that need to be included in any model of cultural change in a contact situation. The number is so large—and the variables themselves are so inchoate—that the problem seems insurmountable. » (Rice 1998 : 54).

Pour surmonter cet inconvénient, Shortman et Urban suggèrent ainsi de se concentrer plutôt sur certains facteurs jugés primordiaux tout en gardant en mémoire le rôle joué par les autres facteurs qui sont moins importants : « Danger arises when those restricted variable are thought to be the only ones of any significance in explaining an event or process. » (Schortman et Urban 1998 : 107). Parmi les facteurs qu'il est recommandé d'inclure dans ce contexte, il faut prendre en considération la culture matérielle et les modifications qu'elle a subies, les relations sociales et environnementales, le changement culturel, le commerce et différentes considérations économiques, etc. (Kardulias 2010; Parkinson 2007; Rice 1998). Il a aussi été suggéré que pour bien comprendre la complexité du phénomène entourant le changement social, il fallait inclure dans le modèle une variable spatio-temporelle (Parkinson 2007).

Quelques modèles ont déjà été créés pour tenter de schématiser les processus qui ont eu cours en Crète à l'âge du Bronze. Andrew et Susan Sherratt ont d'ailleurs proposé deux modèles expliquant ces changements en fonction de facteurs économiques. Le premier de ces modèles a été produit en 1991 et insistait sur l'importance qu'a pu avoir le contact avec le Proche-Orient en trois grandes étapes :

(1) Contact, followed by the provision of high-value, low bulk raw materials, in exchange for a few high-value, low bulk manufactured goods (“luxuries”); (2) Some transfer of lifestyle and technology, together with participation, in the form of providing its own high-value, low bulk manufactured goods; (3) Full linkage, involving the restructuring of agrarian production to provide bulk materials for local manufacturing processes, and full participation in complex bulk exchanges.

The transition from (1) to (2) can be accomplished through the development of craft skills applied to local materials such as metal, fine stone, ceramics, leather or woodwork that require a concentration of craftsmanship rather than the organisation of large scale structures concerned with the extraction of a rural surplus. The

achievement of stage (3), which requires infrastructural changes, is more difficult for local elites to accomplish: but in the Mediterranean region this transition was facilitated by the nature of the local crops. (Sherratt et Sherratt 1991 : 358)

Dans le second modèle élaboré en 2010, Susan Sherratt explique les motifs et les conditions qui doivent être présents pour qu'il y ait interaction ainsi que les conséquences de ces contacts. Selon ce modèle, l'interaction a lieu lorsqu'il y a de la part d'une population une intention de se procurer certains biens matériels. Si ce facteur est au cœur de l'interaction, d'autres facteurs sont préalables :

 le matériel recherché doit être disponible ailleurs,

 une route doit pouvoir être établie,

 il faut avoir les contacts nécessaires pour procéder aux acquisitions ou au transport,

 il doit y avoir des biens à échanger pour se procurer le matériel désiré.

Ces interactions auront alors différents effets : les élites seront liées au système économique et aux valeurs culturelles du réseau, certains changements structurels auront lieu en particulier en ce qui concerne la production de biens, il y aura des adoptions de technologies, des moyens seront mis en place pour échanger avec des régions toujours plus éloignées avec des coûts plus faibles, il y aura présence de plus en plus d’intermédiaires, des biens de valeurs seront importés, les centres importants seront portés à être modifiés et finalement il y aura émergence de différentes identités locales et régionales (Sherratt 2010).

En somme, la création d'un modèle devrait permettre de mettre en place et d'articuler les différentes variables associées au phénomène complexe qu'on cherche à expliquer et le modèle servira alors d'outil facilitant l'interprétation des données récoltées.