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EN QUOI LA CONSTITUTION FÉDÉRALE EST SUPÉRIEURE À LA CONSTITUTION DES ÉTATS

Dans le document DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE I (Page 158-163)

DE LA CONSTITUTION FÉDÉRALE

EN QUOI LA CONSTITUTION FÉDÉRALE EST SUPÉRIEURE À LA CONSTITUTION DES ÉTATS

Comment on peut comparer la Constitution de l'Union à ce& des États particuliers. - On doit particulièrement attribuer à la sagesse des législateurs fédéraux la supériorité de la Constitution de l'Union. - La législature de l'Union moins dépendante du peuple que celle des États. - Le pouvoir exécutif plus libre dans sa sphère. - Le pouvoir judiciaire moins assujetti aux volontés de la majorité. - Conséquences pratiques de ceci. - Les législateurs fédéraux ont atténué les dangers inhérents au gouvernement de la démocratie; les législateurs des États ont accru ces dangers.

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La Constitution fédérale diffère essentiellement de la Constitution des États par le but qu'elle se propose, mais elle s'en rapproche beaucoup quant aux moyens d'attein-dre ce but. L'objet du gouvernement est différent, mais les formes du gouvernement sont les mêmes. Sous ce point de vue spécial, on peut utilement les comparer.

Je pense que la constitution fédérale est supérieure à toutes les constitutions d'État. Cette supériorité tient à plusieurs causes.

La Constitution actuelle de l'Union n'a été formée que postérieurement à celles de la plupart des États; on a donc pu profiter de l'expérience acquise.

On se convaincra toutefois que cette cause n'est que secondaire, si l'on songe que, depuis l'établissement de la Constitution fédérale, la confédération américaine s'est accrue de onze nouveaux États, et que ceux-ci ont presque toujours exagéré plutôt qu'atténué les défauts existant dans les constitutions de leurs devanciers.

La grande cause de la supériorité de la Constitution fédérale est dans le caractère même des législateurs.

À l'époque où elle fut formée, la ruine de la confédération paraissait imminente;

elle était pour ainsi dire présente à tous les yeux, Dans cette extrémité le peuple choisit, non pas peut-être les hommes qu'il aimait le mieux, mais ceux qu'il estimait le plus.

J'ai déjà fait observer plus haut que les législateurs de l'Union avaient presque tous été remarquables par leurs lumières, plus remarquables encore par leur patrio-tisme.

Ils s'étaient tous élevés au milieu d'une crise sociale, pendant laquelle l'esprit de liberté avait eu continuellement à lutter contre une autorité forte et dominatrice. La lutte terminée, et tandis que, suivant l'usage, les passions excitées de la foule s'atta-chaient encore à combattre des dangers qui depuis longtemps n'existaient plus, eux s'étaient arrêtés; ils avaient jeté un regard plus tranquille et plus pénétrant sur leur patrie; ils avaient vu qu'une révolution définitive était accomplie, et que désormais les périls qui menaçaient le peuple ne pouvaient naître que des abus de la liberté. Ce qu'ils pensaient, ils eurent le courage de le dire, parce qu'ils sentaient au fond de leur cœur un amour sincère et ardent pour cette même liberté; ils osèrent parler de la restreindre, parce qu'ils étaient sûrs de ne pas vouloir la détruire 1.

1 A cette époque, le célèbre Alexandre Hamilton, l'un des rédacteurs les plus influents de la Consti-tution, ne craignait pas de publier ce qui suit dans Le Fédéraliste, nº 71:

« Je sais, disait-il, qu'il y a des gens près desquels le pouvoir exécutif ne saurait mieux se recommander qu'en se pliant avec servilité aux désirs du peuple ou de la législature; mais ceux-là me paraissent posséder des notions bien grossières sur l'objet de tout gouvernement, ainsi que sur les vrais moyens de produire la prospérité publique.

La plupart des constitutions d'États ne donnent au mandat de la Chambre des représentants qu'un an de durée, et deux à celui du Sénat. De telle sorte que les mem-bres du corps législatif sont liés sans cesse, et de la manière la plus étroite, aux moindres désirs de leurs constituants.

Les législateurs de l'Union pensèrent que cette extrême dépendance de la légis-lature dénaturait les principaux effets du système représentatif, en plaçant dans le peuple lui-même non seulement l'origine des pouvoirs, mais encore le gouvernement.

Ils accrurent la durée du mandat électoral pour laisser au député, un plus grand emploi de son libre arbitre.

La Constitution fédérale, comme les différentes constitutions d'États, divisa le corps législatif en deux branches.

Mais, dans les États, on composa ces deux parties de la législature des mêmes élé-ments et suivant le même mode d'élection. Il en résulta que les passions et les volon-tés de la majorité se firent jour avec la même facilité et trouvèrent aussi rapidement un organe et un instrument dans l'une que dans l'autre Chambre. Ce qui donna un caractère violent et précipité à la formation des lois.

La Constitution fédérale fit aussi sortir les deux Chambres des votes du peuple;

mais elle varia les conditions d'éligibilité et le mode de l'élection; afin que si, comme chez certaines nations, l'une des deux branches de la législature ne représentait pas des intérêts différents de l'autre, elle représentât au moins une sagesse supérieure.

« Que les opinions du peuple, quand elles sont raisonnées et mûries, dirigent la conduite de ceux auxquels il confie ses affaires, c'est ce qui résulte de l'établissement d'une Constitution républicaine: mais les principes républicains n'exigent point qu'on se laisse emporter au moindre vent des passions populaires, ni qu'on se hâte d'obéir à toutes les impulsions momentanées que la multitude peut recevoir par la main artificieuse des hommes qui flattent ses préjugés pour trahir ses intérêts.

« Le peuple ne veut, le plus ordinairement, qu'arriver au bien public, ceci est vrai; mais il se trompe souvent en le cherchant. Si on venait lui dire qu'il juge toujours sainement les moyens à employer pour produire la prospérité nationale, son bon sens lui ferait mépriser de pareilles flatteries; car il a appris par expérience qu'il lui est arrivé quelquefois de se tromper; et ce dont on doit s'étonner, c'est qu'il ne se trompe pas plus souvent, poursuivi comme il l'est toujours par les ruses des parasites et des sycophantes; environné par les pièges que lui tendent sans cesse tant d'hommes avides et sans ressources, déçu chaque jour par les artifices de ceux qui possèdent sa confiance sans la mériter, ou qui cherchent plutôt à la posséder qu'à s'en rendre dignes.

« Lorsque les vrais intérêts du peuple sont contraires à ses désirs, le devoir de tous ceux qu'il a préposés à la garde de ces intérêts est de combattre l'erreur dont il est momentanément la victime, afin de lui donner le temps de se reconnaître et d'envisager les choses de sang-froid. Et il est arrivé plus d'une fois qu'un peuple, sauvé ainsi des fatales conséquences de ses propres erreurs, s'est plu à élever des monuments de sa reconnaissance aux hommes qui avaient eu le magnanime courage de s'exposer à lui déplaire pour le servir. »

Il fallut avoir atteint un âge mûr pour être sénateur, et ce fut une assemblée déjà choisie elle-même et peu nombreuse qui fut chargée d'élire.

Les démocraties sont naturellement portées à concentrer toute la force sociale dans les mains du corps législatif. Celui-ci étant le pouvoir qui émane le plus directement du peuple, est aussi celui qui participe le plus de sa toute-puissance.

On remarque donc en lui une tendance habituelle qui le porte à réunir toute espèce d'autorité dans son sein.

Cette concentration des pouvoirs, en même temps qu'elle nuit singulièrement à la bonne conduite des affaires, fonde le despotisme de la majorité.

Les législateurs des États se sont fréquemment abandonnés à ces instincts de la démocratie; ceux de l'Union ont toujours courageusement lutté contre eux.

Dans les États, le pouvoir exécutif est remis aux mains d'un magistrat placé en apparence à côté de la législature, mais qui, en réalité, n'est qu'un agent aveugle et un instrument passif de ses volontés. 0ù puiserait-il sa force? Dans la durée des fonctions

? Il n'est, en général, nommé que pour une année. Dans ses prérogatives ? Il n'en a point pour ainsi dire. La législature peut le réduire à l'impuissance, en chargeant de l'exécution de ses lois des commissions spéciales prises dans son sein. Si elle le voulait, elle pourrait en quelque sorte l'annuler en lui retranchant son traitement.

La Constitution fédérale a concentré tous les droits du pouvoir exécutif, comme toute sa responsabilité, sur un seul homme. Elle a donné au Président quatre ans d'existence; elle lui a assuré, pendant toute la durée de sa magistrature, la jouissance de son traitement; elle lui a composé une clientèle et l'a armé d'un veto suspensif. En un mot, après avoir soigneusement tracé la sphère du pouvoir exécutif, elle a cherché à lui donner autant que possible, dans cette sphère, une position forte et libre.

Le pouvoir judiciaire est, de tous les pouvoirs, celui qui, dans les constitutions d'États, est resté le moins dépendant de la puissance législative.

Toutefois, dans tous les États, la législature est demeurée maîtresse de fixer les émoluments des juges, ce qui soumet nécessairement ces derniers à son influence immédiate.

Dans certains États, les juges ne sont nommés que pour un temps, ce qui leur ôte encore une grande partie de leur force et de leur liberté.

Dans d'autres, on voit les pouvoirs législatifs et judiciaires entièrement confondus.

Le sénat de New York, par exemple, forme pour certains procès le Tribunal supérieur de l'État,

La Constitution fédérale a pris soin, au contraire, de séparer le pouvoir judiciaire de tous les autres. Elle a, de plus, rendu les juges indépendants, en déclarant leur traitement fixe et leurs fonctions irrévocables.

Les conséquences pratiques de ces différences sont faciles à apercevoir. Il est évident, pour tout observateur attentif, que les affaires de l'Union sont infiniment Mieux conduites que les affaires particulières d'aucun État.

Le gouvernement fédéral est plus juste et plus modéré dans sa marche que celui des États. Il y a plus de sagesse dans ses vues, plus de durée et de combinaison savan-te dans ses projets, plus d'habileté, de suisavan-te et de fermeté dans l'exécution de ses mesures.

Peu de mots suffisent pour résumer ce chapitre.

Deux dangers principaux menacent l'existence des démocraties:

L'asservissement complet du pouvoir législatif aux volontés du corps électoral.

La concentration, dans le pouvoir législatif, de tous les autres pouvoirs du gouver-nement.

Les législateurs des États ont favorisé le développement de ces dangers. Les législateurs de l'Union ont fait ce qu'ils ont pu pour les rendre moins redoutables.

Dans le document DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE I (Page 158-163)