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Le premier constat qui se dégage cette thèse concerne la pertinence de procéder à l'adaptation des programmes de prévention pour des jeunes autochtones, considérant les différents facteurs entravants relevés en cours d'implantation, dont certains sont spécifiques au contexte culturel autochtone (Castro et al., 2010; Gilbert et Sims, 2013; Kumpfer et al., 2008; McKleroy et al., 2006). Même si des auteurs croient qu'il est préférable de développer entièrement le contenu des programmes à partir des points de vue des acteurs-clés (Okamoto et al., 2014), dans la présente étude, l'adaptation d'un programme déjà existant a été préférée. Cette approche, consistant à adapter des programmes prometteurs ou probants, s'est avérée moins onéreuse en terme de temps et de ressources financières, en plus de permettre l'implication active des acteurs-clés en provenance du milieu autochtone (Holleran Steiker et al., 2008; Okamoto, Helm, McClain et Dinson, 2012). Cette dernière approche, lorsque bien orchestrée, est pertinente dans le contexte ciblé et permet de relever les nombreux défis associés à l'implantation des programmes (Chino et DeBruyn, 2006; Dell et al., 2012; Grover, 2010; Grover et al., 2007; McKennitt, 2007; Raghupathy et Forth, 2012; Whitbeck et al., 2012; Moodie, 2010; Kumpfer et al., 2008). Dans le cadre de cette thèse, plusieurs facteurs identifiés comme ayant entravé l'implantation de la version initiale de Système d ont été résolus à travers le processus d'adaptation. Ainsi, les adaptations apportées au programme ont permis de répondre davantage aux besoins des élèves innus, en plus de faciliter l'implantation.

Un second constat concerne la pertinence d'adapter le contenu en cours d'implantation, et ce, même si cela ne correspond pas aux standards attendus en terme de fidélité (adhérence au contenu) (Durlak, 2010; Legha et Novins, 2012; Meyers et al., 2012a). Les résultats de cette thèse démontrent que les adaptations spontanées effectuées par les animateurs et les enseignants en cours d’implantation, bien qu’ayant affecté l’adhérence au contenu de la version adaptée du programme, ont favorisé la mobilisation des enseignants et des élèves. Il est d'ailleurs possible que la

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fidélité d'implantation du programme, notamment en ce qui concerne l'adhérence au contenu, eut été améliorée si l'expérimentation s'était poursuivie sur une période prolongée, les acteurs-clés ayant besoin de temps pour s'approprier un programme (Chen, 2015). Il a effectivement été maintes fois démontré que la fidélité d'implantation augmente lorsque les enseignants sont confortables avec le contenu et les méthodes d'un programme (Ringwalt et al., 2003; Rohrbach et al., 1993; Mihalic, Fagan et Argamaso, 2008).

Un troisième constat concerne l'influence de la confrontation des valeurs autochtones et occidentales sur l'implantation d'un programme de prévention. En effet, des obstacles d'ordre culturel et langagier ont été observés entre les différents partenaires autochtones et les agents externes à la communauté (les animateurs) lors de l'adaptation et l'implantation du programme Système d. Selon Whitbeck et al. (2012), afin de faciliter la collaboration entre les chercheurs occidentaux et les Autochtones, la prochaine étape pour la science préventive basée sur la culture serait d'orienter plus concrètement l'intégration des sciences occidentales avec les savoirs culturels des populations désignées. Adoptée par l'Institut de recherche en santé du Canada pour la recherche chez les Autochtones et développée par Bartlett, Marshall et Marshall (2012), l'approche Two-Eyed Seeing (à double perspective) est intéressante en ce sens. Elle vise à unir le meilleur des systèmes autochtone et occidental dans une quête commune des pratiques probantes, malgré les différences fondamentales dans leurs valeurs et leurs origines (Castellano, 2000; Gouvernement du Canada, 2012; Rowan et al., 2015). Les connaissances autochtones découlent généralement d'enseignements traditionnels et d'observations empiriques, transmises de façon holistique (Castellano, 2000). Pour leur part, les connaissances occidentales sont majoritairement acquises selon des méthodes positivistes privilégiant l'objectivité, la linéarité, la hiérarchie et les évidences (Fornssler, McKenzie, Dell, Laliberte et Hopkins, 2014; Rowan et al., 2015). Le fait de mettre en commun de façon égalitaire ces deux systèmes de connaissances apporterait une perspective plus enrichissante en recherche, favorisant par le fait même un espace d'échanges entre les

Autochtones et les non autochtones (Ermine, Sinclair et Jeffery, 2004; Fornssler et al., 2014; Gouvernement du Canada, 2012; Mila-Schaaf et Hudson, 2014; Rowan et al., 2015). L'approche à double perspective peut être déployée de différentes façons à travers les étapes d'une recherche, de la revue de la littérature à la discussion des résultats, en passant par la collecte et l'analyse des données (Hall, Dell, Fornssler, Hopkins, Mushquash et Rowan, 2015; Rowan et al., 2015). À titre d'exemple, une collecte de données pourrait prendre la forme d'un cercle d'échanges animé par des Autochtones de la communauté participante, en compagnie du chercheur. Cette façon de faire permettrait d'intégrer les forces des perspectives tant autochtones qu’occidentales vers des objectifs communs de recherche (Hall et al., 2015). Cette façon de faire permet également de rendre la recherche plus significative aux yeux des différents acteurs impliqués (Hall et al., 2015).

À la lumière de la littérature et des résultats de cette thèse, il est possible de faire l’hypothèse que des éléments autres que l'adhérence et l'adaptation du contenu d'un programme de prévention doivent être considérés pour assurer une implantation de qualité auprès des populations autochtones. Une implantation de qualité se définit comme étant la mise en place d'un programme selon les standards nécessaires à l'atteinte des résultats escomptés (Meyers et al., 2012a). Alors que le concept de

fidélité peut être perçu comme relevant uniquement des personnes qui implantent,

celui de qualité implique une responsabilité partagée de la part d'une multitude d’acteurs-clés, dont les développeurs du programme, les représentants des milieux et les personnes qui implantent (Wandersman et al., 2008; Meyers et al., 2012a, 2012b; Durlak, 2013). Cette implantation de qualité est atteinte grâce à la planification d'étapes coordonnées et concertées, impliquant diverses activités et compétences, dont l'adaptation du programme (Durlak, 2013; Meyers et al., 2012a). Ainsi, dans le cadre de cette thèse, il aurait été souhaitable de bénéficier de plus de temps, afin d'optimiser encore davantage les collaborations entre les chercheurs et les acteurs du milieu autochtone. Cet ajout de temps aurait probablement facilité l’implication de

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toutes les parties ainsi que leur appropriation du programme de prévention Système d adapté (Durlak,2013; Hall et al., 2015).

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