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La constatation du paiement d’une dette

SECTION I – La place des temples au sein du paysage religieux

3) La constatation du paiement d’une dette

« Le spokeman a appelé la première affaire. C’était un litige entre deux femmes. Le débiteur

semblait être une femme d’une cinquantaine d’année et elle devait payer 300 000 nairas à une autre femme dont le fils était son créancier. Elle tenait l’argent dans la main et le tendit à l’un des officiants qui prit les 10 % revenant au temple comme convenu. Le reste de la somme était conservé par la femme qui agissait au nom de son fils. Le secrétaire du temple donna les détails aux deux femmes en expliquant combien avait été payé et combien restait dû » [NT25].

Dans ce type de litige, le priest constate la dette et en valide le paiement. Au cours des observations, ce type de fonctions est apparu très courant dans certains temples, notamment pour faire constater le paiement des dettes liées à la traite vers l’Europe. Ce procédé apparaît très proche de la manière dont un huissier va constater un paiement dans le système juridique français. Cet exemple oblige à s’interroger sur les rapports entre la justice que l’on peut

64 TESTART A., « Le lien et les liant (les fondements symboliques du serment) », op. cit., p. 245.

qualifier de « néo-traditionnelle » et la justice étatique. Dans notre contexte, elles coexistent et même interagissent, puisque l’on peut passer de l’une à l’autre.

D – L’articulation entre justice néotraditionnelle et justice étatique

La complémentarité entre les différents types de justice est telle qu’un priest indique qu’un oracle peut être utilisé pour identifier un voleur, avant même qu’il ne soit conduit à la police [NT26]. De même, un fonctionnaire travaillant au service de l’immigration indique avoir prévu de consulter le Chief priest pour un litige portant sur une terre [NT31]. En revanche, du point de vue des priests, ces deux types de justice ne peuvent en aucun cas être saisis simultanément : « il s’agit de deux systèmes de justice parallèles qui ne peuvent pas se

rencontrer. En fait, si une procédure est ouverte au tribunal ou à la police, elle doit être radiée avant que le dossier soit présenté à Ayelala ou à une autre divinité. Ayelala et la police ne peuvent pas agir en même temps sur le même cas. C’est l’un ou l’autre » [NT27 et

NT 28]. Les affaires comprenant une dimension spirituelle, comme les affaires de sorcellerie, relèveront des temples [NT27]. De même, le recouvrement de dette occupe une large place lors des audiences. Un priest explique que la justice est plus rapidement rendue par les temples et perçue comme plus légitime, puisque les ancêtres ne sauraient mentir [NT14]. Le recours à la justice des temples peut également intervenir de manière subsidiaire, lorsque les autorités étatiques ont échoué à régler le différend.

Les rapports entre la justice néotraditionnelle et justice étatique peuvent également être étudiés via la reconnaissance par les tribunaux fédéraux des serments prêtés devant les temples. Le Oaths Act66, c’est-à-dire le texte définissant la valeur juridique des serments,

indique que ceux qui sont prêtés devant les Chief priests, les plus couramment pratiqués, sont recevables dans l’enceinte judiciaire. Le possible passage d’un système à l’autre s’inscrit dans l’héritage de l’Indirect Rule, appliquée durant la colonisation britannique au Nigéria qui permettait la coexistence du système colonial et précolonial67. On peut prêter serment suivant

66 Ibid. Le texte de la loi fédérale est accessible depuis : http://www.nigeria-law.org/Oaths%20Act%201990.htm 67 ELLIS S., This Present Darkness, op. cit., p. 15.

la forme traditionnelle dans le « english style court », ou encore suivant la forme coutumière devant les temples. Dans les deux cas, la loi pénale sanctionne le faux serment68. Pourtant, depuis 1994, différentes décisions tendent à relativiser ou à poser des conditions supplémentaires à la validité des serments69. Un auteur rappelle néanmoins que tant que les temples continueront d’être fréquentés par la population, il sera difficile aux juridictions étatiques de refuser de valider les sentences de la justice précoloniale70.

Enfin, pour se faire une idée de la perception par la population de la justice rendue par les

priests, on peut revenir sur une enquête menée auprès de la communauté Ogbusa dans l’Ogun

state71. La cohorte était composée de 50 individus (54 % d’hommes et 46 % de femmes), confessant à 74 % la religion chrétienne, contre 22 % de musulmans et 4 % se disant de religion traditionnelle.

Dans cette enquête, 40 % approuvent fortement le fait que Ayelala soit réellement crainte par le peuple, quand plus de la moitié approuvent simplement cette affirmation. Seuls 4 % l’approuvent plus ou moins. De même, si un tiers des enquêtés approuve fortement le fait que Ayelala soit réellement puissante, un autre tiers approuve simplement cette affirmation et 16 % l’approuvent plus ou moins. Aussi, 16 % considèrent qu’Ayelala n’est pas réellement puissante. Enfin, la moitié des participants indiquent qu’ils ont entendu ou constaté dans le passé que quelqu’un avait été puni par Ayelala pour avoir commis un crime ou une infraction.

Les éléments qui précèdent permettent d’établir l’ancienneté et la légitimité des temples et de leur action dans la société de Benin City. Au-delà, ils offrent une compréhension plus précise de l’implication des pratiques associées au juju dans l’activité de traite et l’évaluation de leur influence comme mode de contrainte exercé sur les filles qui migrent.

68 Sec 117, Criminal Code, Cap 77.

69 Voir OBA A.A., « Juju Oaths in Customary Law Arbitration and Their Legal Validity in Nigerian Courts », op. cit.

70 Ibid.

71 DADA OJO M.O., « Incorporation of Ayelala traditional religion into Nigerian criminal justice system », op. cit.

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