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La consommation de cannabis chez les individus atteints de troubles mentaux graves

Comme mentionné précédemment, la consommation de cannabis augmente non seulement le risque de souffrir de troubles mentaux, et plus particulièrement des troubles psychotiques, mais peut également augmenter la fréquence et l’intensité des symptômes, et ce en plus d’augmenter les réadmissions à l’hôpital et de diminuer l’adhésion au traitement. Ces effets sur les différents troubles mentaux graves seront décrits dans les prochaines sections.

1.4.1. Effets du cannabis sur les symptômes psychiatriques et le cours de la maladie

Chez les individus psychotiques, l’usage du cannabis augmente le risque de décompensations ; en effet, les rechutes et les réhospitalisations ont plus de risque de survenir, en plus de survenir plus tôt et plus fréquemment [137]. Toutefois, cette relation pourrait être expliquée par la non- adhésion à la médication : comme les sujets qui consomment du cannabis adhèrent moins bien

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au traitement en général, cela expliquerait pourquoi ils ont moins de chance de se rétablir correctement [138-140].

Quant aux individus atteints de troubles bipolaires, comme mentionné plus tôt, il pourrait y avoir un lien entre l’usage du cannabis et la survenue de symptômes maniaques [130]. Tout comme les effets observés chez les individus psychotiques, cela pourrait être lié à une plus faible adhésion à la médication chez les personnes qui consomment du cannabis. En effet, il a été observé que la consommation de cette substance diminuait l’adhésion de façon significative, alors que le fait d’arrêter de consommer était lié à une meilleure observance au traitement pharmacologique [140]. Il faut également noter que la direction de cette relation n’a pas été établie, étant donné que la méta-analyse n’a pu calculer d’association longitudinale [141].

De plus, selon une méta-analyse regroupant 6 375 individus provenant de 11 études [141], le fait de souffrir d’un trouble de l’usage du cannabis comorbide serait légèrement associé aux tentatives de suicide de manière transversale (OR= 1,35 ; p= 0,01). Plusieurs hypothèses peuvent être émises pour expliquer cette association, et, comme mentionné précédemment, celles-ci ne font pas l’unanimité. D’abord, il est possible que les individus suicidaires aient davantage tendance à consommer que les non-suicidaires, de la même manière que ce qui a été décrit pour la dépression. Dans ce cas, la consommation pourrait être perçue comme une façon de s’automédicamenter ou d’échapper à la réalité. À l’inverse, bien que cette hypothèse soit peu populaire, la consommation pourrait prédisposer à la suicidalité. Ceci pourrait être expliqué par l’effet du cannabis sur différents facteurs, par exemple : une augmentation de la sévérité des symptômes affectifs, ou encore des cycles d’humeur plus rapides [141-143]. La consommation de cannabis, et particulièrement l’usage intensif, pourrait également être associée au risque de dépression [128], ce qui pourrait expliquer cette relation. La faible association entre la consommation de cannabis et le suicide pourrait également être expliquée par une survenue plus précoce de la maladie [144].

Pour ce qui est des individus atteints de troubles dépressifs, l’usage du cannabis a été à maintes reprises utilisé comme traitement potentiel de la dépression, et ce, en raison de la possible implication du système endocannabinoïde dans la pathogenèse de la dépression. Toutefois, les différentes études rapportent à la fois des effets pro- et antidépresseurs liés à la

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consommation aigüe de cannabis. La littérature étant contradictoire, plus de recherche sera nécessaire afin de déterminer s’il existe un sous-groupe spécifique de patients dépressifs qui pourrait bénéficier du cannabis en tant que médicament antidépresseur [145].

Les effets du cannabis sur la symptomatologie des individus atteints de troubles mentaux graves demeurent donc moins étudiés que ceux de l’alcool ou des drogues en général (souvent combinées dans les études), et sont par conséquent relativement méconnus. Toutefois, des études récentes ont démontré qu’il existait un lien entre la consommation de cannabis et les comportements violents chez ces individus [20, 21, 146-148].

1.4.2. Effets du cannabis sur les comportements violents et la criminalité

Une récente réanalyse des données de la MacArthur Violence Risk Assessment Study, une étude regroupant 1 136 individus atteints de troubles mentaux graves [51], a permis de démontrer que la consommation persistante de cannabis était associée à une augmentation des comportements violents [146]. En effet, le fait de consommer à chacun des quatre suivis était associé à une augmentation du risque de violence de 2,44 fois (IC 95 %= 1,06-5,63 ; p= 0,036), et ce en contrôlant pour l’effet du temps, des autres substances, de l’âge, de l’âge lors de la première hospitalisation, du sexe, de l’ethnicité, des traits psychopathiques, de l’impulsivité et finalement de la présence/absence de schizophrénie et de troubles affectifs. De manière surprenante, cet effet était comparable à celui de l’alcool (OR= 2,32 ; IC 95 %= 1,25-4,28 ; p= 0,007) et nettement supérieur à celui de la cocaïne (OR= 0,59 ; IC 95 %= 0,21-1,63 ; p= 0,304). Cette relation était d’ailleurs unidirectionnelle, c’est-à-dire que la violence ne prédisait pas la consommation de cannabis.

Il ne s’agit pas de la seule étude ayant calculé l’association entre l’usage ou la dépendance au cannabis et la violence chez une population majoritairement atteinte de troubles mentaux graves. En effet, quelques études récentes transversales [19, 148, 149], rétrospectives [21] et même prospectives longitudinales [147] ont également permis d’observer une association significative entre ces deux variables. Toutefois, ces études étaient de moindre qualité, notamment en raison d’un nombre de participants limité [148], de l’absence d’ajustements pour les facteurs confondants [19, 147, 148] ou d’une absence de distinction entre l’usage, l’abus et

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la dépendance au cannabis [21]. Celles-ci seront d’ailleurs décrites plus en détail dans le

chapitre 2 (article #1).

Une relation entre la consommation de cannabis et la criminalité parmi cette population particulière a également été observée. En effet, dans une récente étude longitudinale comprenant 373 jeunes adultes souffrant de psychose non affective depuis moins de deux ans, le fait de consommer du cannabis était associé à 2,75 fois plus de risque d’avoir une implication légale récente (p= 0,008 ; statistique ajustée pour l’âge, le sexe et l’assurance maladie) [149]. Toutefois, une limite majeure de cette étude (et des études citées précédemment pour la violence) est que les statistiques n’ont pas été ajustées ni pour l’usage des autres substances, tels l’alcool ou les stimulants, ni pour d’autres variables importantes comme l’impulsivité ou les symptômes psychiatriques.

Bien que le mécanisme par lequel la consommation de cannabis mène à des comportements criminels ou violents soit inconnu, l’impact de cette drogue sur les fonctions cognitives pourrait potentiellement être en cause. L’étude de 1199 adultes souffrant de troubles affectifs a en effet révélé que le fait d’être un consommateur actuel de cannabis était un prédicteur significatif d’une dysfonction cognitive générale (OR= 2,25 ; IC 95 %= 1,05-4,84). Cette relation n’était toutefois observée que chez les individus souffrant de psychose affective, et non chez les individus souffrant de psychose non affective. Cet effet n’était également pas observé chez les individus ayant utilisé le cannabis dans le passé [150].

Ces résultats sont particulièrement importants puisque la consommation de cannabis est au moins deux fois plus prévalente chez les patients en psychiatrie que dans la population générale [151]. Ceux-ci ont également des implications importantes au niveau de l’évaluation du risque de violence et de la criminalité dans les milieux cliniques, légaux, carcéraux et communautaires ; en effet, le cannabis est généralement uniquement considéré avec les autres drogues, dans une seule et même catégorie. Finalement, cette découverte implique que la relation entre le cannabis et la violence chez les personnes atteintes de troubles mentaux graves devra être investiguée davantage, notamment en établissant quels profils de consommateurs et quels diagnostics sont les plus à risque. Pour valider cette relation, il faudra également réaliser

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davantage d’études longitudinales en ajustant les résultats pour les principales variables qui sont associées à la violence.

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