pose la question des conséquences de la variabilité interindividuelle de leur développement. Pour y répondre, l’objet de ce chapitre est de faire un bilan des arguments théoriques et des travaux empiriques relatifs au rôle des théories de l’esprit dans le développement des compétences socio-cognitives nécessaires à l’adaptation sociale et scolaire. Ainsi, les deux premières parties présentent l’état actuel des recherches sur les relations entre les théories de l’esprit et le développement des conduites sociales, menées depuis 25 ans. La troisième partie s’intéresse aux travaux, qui ont suivi et se poursuivent actuellement, plus particulièrement consacrés, aux relations entre les théories de l’esprit, le développement des conduites d’apprentissage et des habiletés métacognitives. Dans la mesure où les théories de l’esprit constituent la psychologie naïve, populaire, nous permettant d’anticiper, d’expliquer et de guider les conduites, elles sont appelées à jouer un rôle dans le développement de l’intelligence sociale (Astington, 1993; K. W. Cassidy, Werner, Rourke, & Zubernis, 2003; Hughes & Leekam, 2004; Lalonde & Chandler, 1995; Peterson, 2007; Repacholi & Slaughter, 2003; 1999a). A ce titre, l’hypothèse d’une liaison entre « théories de l’esprit » et « intelligence sociale » a été mise à l’épreuve de trois manières différentes : - La première analyse le lien intra-individuel entre les performances aux tâches d’attribution d’états mentaux -à savoir les épreuves classiques de fausse croyance- et les comportements d’adaptation sociale chez des enfants « ordinaires ». - La seconde prend appui sur des études comparatives. Dans ces travaux, les performances aux tests de fausse croyance et les scores en conduites sociales d’un groupe d’enfants « ordinaires » sont comparés à ceux d’un groupe d’enfants au développement « atypique ». Le présupposé est que les conduites d’inadaptation sociale sont liées à une carence, à un retard ou à un dysfonctionnement du développement des théories de l’esprit. - La troisième, plus récente, explore les liens intra-individuels entre les variations des performances aux tâches de théories de l’esprit et les variations des ingrédients critiques de la réussite scolaire. Dans les paragraphes suivants, nous allons approfondir successivement ces trois approches. Cependant, avant de poursuivre, un point essentiel est à rappeler et à souligner. En effet, la plupart de ces études prennent la réussite aux tâches classiques de fausse croyance comme seul critère des compétences en « théories de l’esprit ». Or, si l’on prend en compte la diversité des états mentaux maîtrisés plus précocement que les croyances, de nouvelles études, adoptant une vision élargie des théories de l’esprit, sont aujourd’hui nécessaires pour approfondir les liens pluriels entre les théories de l’esprit et les ressources sociales, mais aussi cognitive disponible aux cours du développement de l’enfant. 3. 1. Hypothèse d’un lien entre « théories de l’esprit » et conduites sociales chez des enfants au développement typique 3. 1. 1. Théories de l’esprit et conduites quotidiennes : quel lien ? L’une des premières recherches relatives aux liens entre « théories de l’esprit » et compétences sociales quotidiennes a été initiée dès 1988 par Dunn. Elle observe qu’il y a de nombreuses illustrations d’utilisation en « contexte » de croyance bien avant la réussite aux tâches de fausse croyance, elle note que «même des enfants qui échouent à des tests conventionnels de lecture de l’esprit se livraient à des actes de tromperie avec les membres de leur famille» (J. Dunn, 1996, p. 509). Ici, acte de tromperie signifie que l’enfant dissimule la réalité, par exemple la bouche et les mains barbouillées de chocolat, l’enfant nie en avoir mangé… De telles observations soulèvent la question de l’articulation entre la production de certains actes de tromperie en situation sociale réelle et la compréhension explicite de l’état mental sous-jacent. Afin de répondre à la question de savoir sur quoi s’appuie l’enfant pour produire des actes de tromperie, l’étude longitudinale, menée sur 7 mois, par Newton, Reddy et Bull (2000), compare les scores à des tâches de fausse croyance avec les comportements de tromperie observés par les mères. Trois recueils de données relatives aux conduites de tromperie et à l’attribution de fausse croyance sont effectués au début de l’observation lorsque les enfants sont âgés de 3 à 4 ans, un mois après, puis sept mois plus tard. Les 24 enfants de l’étude sont répartis en trois groupes : les «failers» qui ne réussissent, au maximum, qu’une tâche de fausse croyance, les «passers» qui en réussissent au moins dix au cours des sept mois, enfin les «developpers» qui augmentent d’au moins deux points leurs scores en attribution de fausse croyance entre le premier et le dernier recueil de données. Tous les enfants, quel que soit le groupe, présentent des conduites spontanées de tromperie et de fausses excuses confortant ainsi les observations de Dunn. Des résultats similaires, recueillis auprès de 109 enfants âgés de 3;8 ans à 5;6 ans (âge moyen : 4;8 ans), amènent Peterson et Siegal (2002) à conclure qu’à cet âge, les actes de tromperie spontanée sont plutôt le fruit d’une compréhension pragmatique des exigences situationnelles que d’une compréhension conceptuelle des états mentaux. Une telle explication est clairement envisagée dans le modèle théorique de développement des théories de l’esprit élaboré par Perner (1991). En effet, selon Perner, l’enfant dispose d’abord d’une théorie situationnelle jusqu’à ce qu’il soit capable de comprendre que le contenu d’une représentation peut être différent de la réalité (indiqué par la réussite aux tâches de fausse croyance). Dans cette perspective, on peut aussi citer le modèle de redescription représentationnelle de Karmiloff-Smith (1992) selon lequel une connaissance implicite des états mentaux utilisée en réponse directe aux situations de relations sociales doit avoir atteint un niveau de maîtrise procédurale avant de devenir un savoir explicite. Ce modèle est basé sur un processus réitératif au cours duquel une représentation initiale sera « re-représentée » plusieurs fois sous différents formats successifs (connaissances implicites : I, connaissances explicites primaires : E1, secondaires : E2, tertiaires : E3) qui s’accompagnent d’un accès accru à la conscience. Dans le modèle de Perner (1991), l’activité propre de l’individu a une fonction organisatrice qui préside aux transformations qui mènent à la notion de croyance, l’environnement social ne joue aucun rôle. Si Karmiloff-Smith invoque un certain nombre de composantes innées, son modèle de développement inclut clairement un processus dynamique d’interactions entre l’esprit et l’environnement mais l’environnement social n’a pas un rôle organisateur de la compréhension des états mentaux. Bruner (1990; 1996) considère, au contraire, que l’accès à la compréhension des états mentaux est médiatisé par le processus d’enculturation, et plus particulièrement, par les pratiques discursives. Dans ce processus d’enculturation, Bruner avance l’importance du discours parental dans la transformation d’une compréhension implicite, issue de l’expérience sociale, en une compréhension explicite des états mentaux. En d’autres termes, les conversations, notamment à travers les disputes et les malentendus, en ce qu’elles confrontent l’enfant à l’existence d’une pluralité de représentations et de pensées, permettent de rendre explicites les différents points de vue entre interlocuteurs. A l’appui de cette conception, de nombreux travaux empiriques attestent l’influence de l’environnement social, culturel et langagier dans l 'élaboration des compétences en théories de l’esprit (voir chapitre 2). Pour Astington (1996), la loi du double développement de la conception théorique Dans le document Le rôle du développement des théories de l'esprit dans l'adaptation sociale et la réussite à l'école des enfants de 4 à 6 ans (Page 81-85)