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Seules les conséquences d’acidoses induites sur l’ingestion et les choix alimentaires sont présentés dans cette partie, car aucune expérience concertant les autres paramètres du comportement alimentaire (rumination et rythme d’activité) n’a été trouvée dans la littérature, dans le cas d’acidose induite.

5.1. Conséquences sur l’ingestion

Les conséquences de l’acidose ont souvent été étudiées suite à une diminution artificielle du pH ruminal par un apport intra-ruminal d’une quantité plus ou moins importante de concentré ou de glucides rapidement fermentescibles chez des bovins en croissance (Brown et

al., 2000), ou par le remplacement brutal d’une partie de la ration complète de vaches laitières

par des concentrés (blé/orge) (Keunen et al., 2002 ; Keunen et al., 2003 ; Krause et Oetzel, 2005).

L’induction d’une acidose par l’apport intra-ruminal d’une quantité plus ou moins importante de concentré (1,5 à 3 % du poids vif) a des conséquences variables selon les individus. Certains développent une acidose aiguë, d’autres une acidose chronique, et d’autres ne semblent pas affectés (Brown et al., 2000). Considérant le développement clinique réel d’une acidose aiguë ou subaiguë (mesuré ici par la valeur minimale de pH moyen journalier observé au cours de l’expérience), Brown et al (2000) constatent, pour l’acidose aiguë, une chute extrêmement rapide de la matière sèche ingérée qui atteint un minimum (environ 2,5 kg par jour au lieu de 8 à 10 avant induction) après trois jours et ne ré-augmente pas ensuite, tandis que le pH, après avoir atteint un minimum, ré-augmente également après trois jours. Les animaux développant une acidose sub-clinique ne montrent qu’une très faible diminution de la quantité de matière sèche ingérée, d’ailleurs passagère. Dans cette expérience, la variation du pH ruminal est très similaire à celle des quantités ingérées et ne montre qu’une très faible diminution passagère (Brown et al., 2000).

En revanche, Keunen et al. (2002) et Krause et Oetzel (2005) n’observent pas, chez des vaches laitières, de diminution de la matière sèche ingérée, malgré une diminution du pH ruminal moyen, après induction d’une acidose subaiguë par remplacement de 25 % de la ration complète par des concentrés sans transition (Keunen et al., 2002) ou par ajout de 3 à 5 kg de concentré à la quantité de ration complète ingérée dans le cadre d’une alimentation ad

libitum (environ 20 kg) après une période de restriction (Krause et Oetzel, 2005). L’ampleur

de l’acidose induite semblait donc inférieure à celle de l’expérience de Brown et al. (2000) et ceci confirme que l’induction d’une acidose sub-clinique n’entraîne pas forcément de chute d’ingestion marquée.

La réponse des animaux à des situations acidogéniques induites est donc variable, difficilement prévisible et les conséquences sur l’ingestion ne sont visibles que pour des chutes de pH très importantes.

Chez des taurillons recevant un régime à base de 90 % de concentré, l’injection intra- ruminale d’une solution équimolaire de NaOH et KOH, dans des proportions visant à maintenir le pH supérieur à 5,6, augmente le pH moyen d’environ 0,5 unités pH, mais également la quantité totale ingérée, et la durée des périodes d’ingestion par rapport aux animaux non supplémentés (Fulton et al., 1979). D’après Tremere et al., (1968), l’injection de substances tampons (bicarbonate de sodium) dans le rumen n’empêcherait pas la chute d’ingestion, mais la décalerait seulement de cinq jours.

5.2. Conséquences sur les choix alimentaires

Keunen et al. (2002) ont montré qu’en situation d’acidose sub-clinique induite (n’entraînant pas de variation d’ingestion), la préférence de vaches laitières pour du foin de luzerne, par rapport à des bouchons de luzerne, augmente dès le deuxième jour d’induction de l’acidose, et que cette variation est négativement corrélée avec la valeur moyenne du pH ruminal. En condition non pathologique, les vaches laitières préfèrent les bouchons de luzerne au foin (Klusmeyer et al., 1990). Les animaux sélectionnent donc des aliments capables d’améliorer les fermentation ruminales en augmentant l’apport de substances tampon à la suite d’une mastication, et donc d’une salivation, supérieures (Keunen et al., 2002). Dans cette expérience, le changement de préférence alimentaire apparaît sans chute d’ingestion et est sans doute basé sur le fait que ces animaux avaient déjà expérimenté de l’acidose et l’effet bénéfique du foin sur l’acidose (Keunen et al., 2002).

Cependant, dans des conditions similaires d’acidose induite, la consommation de bicarbonate de sodium en poudre n’est pas augmentée, et reste beaucoup plus variable selon les vaches que selon les régimes (Keunen et al., 2003). Ce résultat peut être expliqué par une consommation totale de bicarbonate restée insuffisante pour avoir un effet sensible sur le pH ruminal (Keunen et al., 2003), ainsi que par une palatabilité très faible du bicarbonate de sodium, en particulier sous forme de poudre (Morand-Fehr, 2003). Par contre, l’incorporation du bicarbonate de sodium dans des aliments ou des concentrés entraîne généralement une préférence pour ces aliments, lorsque les animaux reçoivent un régime riche en concentré. Si l’on propose à des agneaux nourris d’orge aplatie des granulés enrichis, soit en bicarbonate de sodium, soit en chlorure de sodium, la consommation de granulés enrichis en bicarbonate de sodium augmente avec la proportion d’orge dans la ration, tandis que celle des granulés enrichis en chlorure de sodium diminue (Phy et Provenza, 1998). Des agneaux ayant le choix entre des aliments riches en énergie (à base d’orge) supplémentés ou non en bicarbonate préfèrent également l’aliment supplémenté (Cooper et al., 1996). L’ajout de bicarbonate à des rations à base d’orge entraîne cependant une diminution de l’énergie métabolisable apportée par ces rations (Cooper et al., 1996), ce qui indique que ces aliments ne seraient pas spontanément préférés, car les animaux choisissent généralement les aliments qui apportent le plus d’énergie. Des vaches laitières en situation d’acidose sub-clinique préfèrent également des granulés enrichis en bicarbonate de sodium (Cumby et al., 2001). Dans ce cas, cette préférence n’est peut-être pas uniquement due à l’acidose et à l’effet positif du tampon, mais pourrait également être due à une aversion croissante pour les granulés témoins fortement

enrichis en chlorure de sodium, et dont la consommation tend à s’annuler en fin d’expérience (Cumby et al., 2001). Lorsque le bicarbonate est présenté en solution aqueuse, une augmentation de la part de concentré dans la ration entraîne également une augmentation de la consommation de la solution, malgré l’augmentation de l’osmolarité ruminale occasionnée par le sodium (sans variation de la quantité d’eau consommée en plus) (Phy et Provenza, 1998). L’association du bicarbonate de sodium avec différents arômes n’entraîne pas non plus de modification de la préférence des agneaux pour le bicarbonate, ceci pouvant même aller jusqu’à inverser les préférences naturelles pour les arômes utilisés (Phy et Provenza, 1998).

Cette préférence marquée pour le bicarbonate en situation d’acidose n’est donc pas due à une appétence supérieure pour les aliments enrichis en bicarbonate, mais bien à un besoin des animaux de limiter la chute de pH ruminal. Une modification directe des paramètres ruminaux entraîne donc un changement des choix alimentaires réalisé dans le sens d’un retour à l’équilibre du rumen (Cooper et al., 1996), la consommation finale de ces aliments dépendant en particulier de leur pouvoir d’amélioration du pH ruminal.

La réponse des animaux à des expériences d’induction artificielle d’acidose est très variable et n’implique pas toujours une chute d’ingestion.

Par contre, l’induction d’une situation acidogène entraîne une modification des préférences des animaux vers des aliments susceptibles de limiter les effets de l’acidose, ce qui confirme que les animaux sont capables d’adapter leur comportement alimentaire afin de limiter les déviations fermentaires liées à l’acidose.