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PARTIE 2 : TEMPORALITE EN SUSPENSION, CORPS EN TRANSITION

I. La traversée de l’adolescence : un processus développemental

I.3. Conscience de soi

Selon H. Wallon, la conscience de soi signifie l’affirmation de l’identité. Elle signe ainsi l’entrée dans le stade adulte, se manifestant par l’avènement d’interrogations sur la vie, la mort, le néant, l’infini ; thèmes qui par ailleurs commencent à être abordés en philosophie au lycée. En questionnant les grands principes métaphysiques, l’adolescent s’interroge sur sa

10 Bien que nous ne puissions pas nous engager dans une élaboration sociologique complète, il semble néanmoins important de mentionner que les valeurs et critères normatifs occidentaux survalorisent l’apparence physique, la performance, le gout du risque, l’idéal de minceur, la surconsommation, l’individualisme (Le Breton, 2011).

propre histoire. Il cherche à se situer dans le temps afin de tisser des liens entre son enfance et sa vie d’adulte autonome.

Dans ce contexte, la conscience de soi s’élabore sur une construction autobiographique de l’individu, à travers laquelle les sensations, les émotions et l’expérience du corps en relation prend une place fondamentale dans le développement et le renforcement des capacités réflexives à l’adolescence, au même titre que dans les relations précoces. Selon A. Damasio (2010), la conscience de soi est une construction cérébrale complexe et dynamique qui permet à l’esprit de devenir conscient. Il s’agit d’« un état d’esprit qui survient lorsque nous sommes éveillés et dans lequel se manifeste une connaissance privée et personnelle de notre existence, située relativement à ce qui l’entoure et à un moment donné. Les états conscients de l’esprit manipulent des connaissances fondées sur différents matériaux sensoriel […] et manifestent des propriétés qualitatives diverses pour les différentes voies sensorielles » (Damasio, 2010, p.194). Il part du postulat que le Soi se forme à partir de cartes neurales qui s’activent et s’alimentent entre elles :

• Le proto-soi ou substrat archaïque de la conscience. Son origine est le tronc cérébral qui traite les « sentiments primordiaux » par le prisme plaisir/douleur. Ce couple est à la base des émotions plus élaborées et de notre affectivité. Il forme également le sentiment fondamental d’être présentement au monde et nous relie à notre histoire phylogénétique.

• Le soi-noyau établit les prémices de la différenciation du soi et du non-soi. Sa pulsation est activée lors d’une interaction entre l’organisme et l’objet, et quand cet objet est modifié pour former une structure cohérente. Il émerge dans un sentiment de possession et de maitrise du corps perçu dans l’instant présent.

• Le soi-autobiographique émerge par l’accroissement des expériences corporelles vécues au niveau du soi-noyau. Expériences passées et aspirations sont reliées pour réaliser une forme cohérente à plus grande échelle au niveau du cortex cérébral.

A partir de cette définition neuroscientifique, la place du corps apparaît au cœur des processus d’intégration du soi. Il semble intéressant de rappeler qu’à cet égard le corps adolescent est utilisé pour proclamer son existence par le biais de styles vestimentaires, d’attitudes, de tatouages, de piercings, voire de conduites à risques. Pour s’incarner et s’approprier son corps, il semble qu’il faille le maîtriser. Le corps comme « objet transitionnel » n’appartient « ni au soi, ni au non-soi à la fois proche et à conquérir, il est

l’organe de la transition, le lien fondamental au monde, usé comme d’un instrument pour franchir le passage » (Le Breton, 2005, p.594). Une fois la fonction de passage intégrée à la fin de l’adolescence, advient alors une conscience de soi stable.

L’adolescence se révèle être une traversée tumultueuse. Les modifications psychiques, corporelles, physiologiques et neurologiques bouleversent l’équilibre et les représentations acquis pendant l’enfance. Il s’agit d’une période de grande vulnérabilité qui peut s’observer sur les attaques faites au corps qui enrayent ce processus, parfois jusqu’à la mort. L’anorexie mentale illustre la souffrance adolescente en signant l’arrêt du développement psychomoteur.

II. Arrêt du processus par l’anorexie mentale II.1. Définition de l’anorexie mentale

D’après le Collège National des Universitaires de Psychiatrie (2014), l’anorexie mentale commence dans 84-87 % des cas entre 15 et 25 ans. Nous pouvons parler d’une pathologie liée à l’adolescence. L’évolution se fait pour la moitié environ vers la rémission complète, 30% vers la rémission partielle et entre 20 et 30% vers une forme chronique ou le décès. La mortalité est estimée à 1% par an.

La dernière version du Manuel de Psychiatrie Américain, DSM-V, classe l’anorexie mentale parmi les Troubles des Conduites Alimentaires en proposant les critères diagnostiques suivants :

A. Restriction alimentaire par rapport aux besoins énergétiques normaux selon l'âge et la taille qui conduit à un état de dénutrition parfois sévère (IMC ≤ 17.5).

B. Peur intense de prendre du poids ou de devenir gros, alors que le poids est inférieur à la normale.

C. Altération de la perception du poids ou de la forme de son propre corps, influence excessive du poids ou de la forme corporelle sur l'estime de soi, ou déni de la gravité de la maigreur actuelle.

Le critère de l’aménorrhée disparaît du DMS-V car dans les formes prépubères, ce critère n’est pas pondérable. De plus, il s’avère discriminant pour le diagnostic chez le garçon, dont la prévalence certes moindre, pourrait être sous-diagnostiquée, sachant que l’anorexie, la bigorexie* et l’orthorexie* sont des conduites surreprésentées notamment chez les danseurs, les mannequins et les sportifs de niveau de compétition, n’excluant pas la pratique masculine.

On distingue deux types d’anorexie mentale :

1. Restrictif : régime strict et activité physique intense soutiennent l’amaigrissement dans 65-75% des cas, comme celui de Sandra.

2. Avec des épisodes de boulimie et des comportements compensatoires : vomissements provoqués ou conduites de purge pratiquées suite à une crise d’hyperphagie boulimique dans 25-35% des cas.