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Conséquences physiopathologiques et présentation clinique du phénotype

Chapitre 1 La drépanocytose

2. Physiopathologie et conséquences cliniques associées

2.2. Conséquences physiopathologiques et présentation clinique du phénotype

drépanocytaire

La polymérisation de l’hémoglobine S est responsable d’une cascade d'événements

pathologiques qui, à leur tour, vont entraîner un large éventail de complications. Les crises vaso-occlusives et l'anémie hémolytique chronique représentent les manifestations cliniques majeures de la drépanocytose. Ces dernières entrainent des troubles hémorhéologiques, une moindre biodisponibilité en monoxyde d’azote (NO), une inflammation, un stress oxydatif, une hypercoagulabilité, une adhérence accrue des neutrophiles et une activation des plaquettes (Rees et al. 2010). Ainsi, les conséquences physiopathologiques de la polymérisation de cette hémoglobine S ainsi que le phénotype clinique du patient drépanocytaire sont présentés ci-dessous et schématisés dans la Figure 8 (Rees et al. 2010).

2.2.1. L’hémolyse et l’anémie hémolytique chronique

Le processus de polymérisation de l’hémoglobine S induit des dommages au niveau du

cytosquelette et de la membrane des globules rouges, augmentant ainsi leur fragilité (Barabino et al. 2010). Ces globules rouges porteurs de l’hémoglobine S se rompent plus facilement, libérant ainsi dans le plasma l’hémoglobine qu’ils contiennent (hémolyse). Si l’hémolyse est un mécanisme physiologique normal d’apoptose du globule rouge vieillissant, intervenant normalement au bout de 120 jours (Shemin & Rittenberg, 1946 ; Callender et al. 1947), la

28 | P a g e durée de vie d’un globule rouge contenant de l’hémoglobine S est réduite à seulement 15 jours (McCurdy & Sherman, 1978).

L’hémolyse des globules rouges peut être intra- (1/3) et/ou extravasculaire (2/3) (Hebbel & Miller, 1984). L’hémolyse intravasculaire est la plus destructrice pour les patients drépanocytaires car elle entraine le largage de l’hémoglobine dans le plasma. Cette hémoglobine libre va entrainer la neutralisation du NO (Reiter et al. 2002) en générant des radicaux libres, tels que les radicaux hydroxyles et superoxydes (Repka & Hebbel, 1991). Le NO est un radical libre très réactif qui régule le tonus vasodilatateur basal en inhibant l’entrée du calcium dans les cellules musculaires lisses (Gladwin & Schechter, 2001). Ainsi, la libération de l’hémoglobine dans le plasma pendant l’hémolyse entraine une moindre biodisponibilité du NO contribuant à une vasoconstriction (Reiter et al. 2002 ; Gladwin, 2006).

La libération de l’arginase des globules rouges dans le plasma lors de l’hémolyse accentue

également cette moindre biodisponibilité du NO (Morris et al. 2005). En effet, l’arginase dégrade la L-arginine, substrat de l’enzyme produisant le NO, la NO synthase endothéliale, et réduit par conséquent la synthèse de NO. On a donc un double mécanisme de déplétion du NO : séquestration du NO par l’hémoglobine libre et déficit de sa production par déplétion de son précurseur. Le déficit chronique en NO et en arginine pourrait donc contribuer à l'état d’hypercoagulabilité dans la drépanocytose (Faës et al. 2018). Des corrélations entre le taux d'hémolyse, les niveaux d'activation plaquettaire et les facteurs procoagulants dans le sang

ont en effet été observés (Ataga et al. 2008). L’hémoglobine libre est ensuite éliminée du

plasma par le système réticuloendothélial, notamment grâce à l’haptoglobine et l’hémopexine

(Belcher et al. 2010). La moindre biodisponibilité du NO, provoquée l’hyperhémolyse

chronique, peut entrainer un dysfonctionnement endothélial et des changements prolifératifs dans l'intima et les muscles lisses des vaisseaux sanguins. Ces conséquences vont favoriser le développement de vasculopathies responsables de plusieurs manifestations cliniques (Gladwin & Vichinsky, 2008). Ce dysfonctionnement endothélial représente un élément majeur de la physiopathologie de la drépanocytose.

L’hémolyse extravasculaire est prépondérante et s’effectue par le système réticuloendothélial qui joue un grand rôle dans la phagocytose des globules rouges sénescents. Chez les patients drépanocytaires, une forte phagocytose des hématies par les macrophages a été observée avec en moyenne 19% d’ingestion contre 3% pour les globules rouges de sujets sains (Hebbel & Miller, 1984). Ces auteurs expliquent que ces destructions anormales pourraient être dues à un taux anormalement élevé d’IgG (molécules reconnues par les macrophages) à la surface des globules rouges. Ainsi, stimulée par la nécrose des hématies elles-mêmes, l’hémolyse, qu’elle soit intra- et/ou extravasculaire, est mal compensée par l’hématopoïèse (synthèse de nouveaux globules rouges par la moelle osseuse) (Rees et al. 2010).

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D’un point de vue clinique, le patient drépanocytaire va donc souffrir d’une anémie

hémolytique chronique et sévère (Rees et al. 2010) qui se caractérise par un faible taux d’hémoglobine (7 et 9 g/dL ; valeurs normales : 12-16 g/dL), un taux élevé de réticulocytes (cellules précédants le stade d’érythrocyte dans l’érythropoïèse) (2 à 3% ; valeur normale : 0,45 à 1,8%) et un hématocrite (volume occupé par les hématies circulant dans le sang exprimé en pourcentage par rapport au volume total du sang) très faible (25-30% ; valeur normale : 37-52%). Un faible taux d’hémoglobine, associé à une hémolyse importante,

favorise le développement de vasculopathies qui se compliquent d’une hypertension

systémique et pulmonaire (Pegelow et al. 1997 ; Gladwin et al. 2004 ; Kato et al. 2006). Enfin, plusieurs études épidémiologiques mettent également en évidence des complications chroniques associées au faible taux d’hémoglobine et à l’importante hémolyse intravasculaire, telles que : la cholélithiase, l’ulcère des jambes et le priapisme (Gladwin et al. 2004 ; Kato et al. 2007). Comme les patients drépanocytaires présentent également une désaturation artérielle en oxygène (Setty et al. 2003 ; Quinn & Sargent, 2008) et une augmentation de la

P50 (Young et al. 2000), l’association de l’anémie et du faible hématocrite peut encore aggraver

l’hypoxémie et l’oxygénation des tissus, comme cela est notamment observé au niveau cérébral (Nahavandi et al. 2004).

2.2.2. Microcirculation vasculaire et hémoglobine S : les crises vaso-occlusives

Les occlusions vasculaires sont causées par l’enclavement des drépanocytes et des

leucocytes (globules blancs) dans la microcirculation entrainant une ischémie tissulaire (Rees et al. 2010). La genèse de ces occlusions est un processus complexe, multifactoriel et pluricellulaire. L’évènement déclencheur de ces crises est souvent inflammatoire. De nombreuses études ont montré que des épisodes d’hypoxies ou inflammatoires augmentent le potentiel d’adhésion endothéliale des leucocytes et des globules rouges, déclenchant ainsi l'occlusion vasculaire (Osarogiagbon et al. 2000 ; Frenette et al. 2002 ; Turhan et al. 2002 ; Belcher et al. 2003). Les caractéristiques morphologiques des drépanocytes (rigidité et perte

de déformabilité) contribuent mécaniquement à l’occlusion vasculaire en compliquant leur

passage dans la microcirculation. De plus, la moindre biodisponibilité du NO, notamment en raison de l’hémolyse, entraine un déséquilibre du tonus vasculaire en faveur d’une

vasoconstriction (Ergul et al. 2004). Ces différents facteurs favorisent l’occlusion

microvasculaire épisodique et l’ischémie et constituent un cercle vicieux où i) les phénomènes d’adhésion ralentissent le flux sanguin et favorisent le processus de falciformation du globule rouge, ii) ces derniers obstruent les microvaisseaux et iii) ces obstructions vasculaires créent une hypoxémie locale et donc un contexte de plus en plus propice à la polymérisation de l’hémoglobine S. Lorsque cette occlusion est suivie d'une restauration du flux sanguin, la

30 | P a g e reperfusion provoque une libération additionnelle de radicaux libres particulièrement délétères pour la fonction endothéliale et les tissus (Rees et al. 2010).

D’un point de vue clinique, les occlusions vasculaires sont nommées les crises vaso-occlusives et elles représentent les manifestations cliniques les plus fréquentes, mais aussi les plus sévères pour le patient drépanocytaire (Habibi, 2004). Elles peuvent se dérouler dans tous les territoires vasculaires de l’organisme mais elles sont volontiers plus abondantes au

niveau des extrémités des membres (hand-foot syndrome) (Ejindu et al. 2007), des hanches

et de l’abdomen (Ahmed et al. 2005). Ces crises peuvent causer des complications cliniques aiguës telles que des atteintes ischémiques itératives des tissus, entrainant des douleurs intenses et possiblement une défaillance d'organe. Le syndrome thoracique aigu en est un exemple typique et l'une des principales causes d'hospitalisations et de décès des patients drépanocytaires (Vichinsky et al. 2000). Les complications cliniques chroniques causées par une atteinte progressive des organes due à ces manifestations ischémiques sont : l’hyposplénisme, l’insuffisance rénale, l’ostéonécrose et l’atteinte hépatique (Rees et al. 2010). Si les crises vaso-occlusives entrainent la défaillance d’organes vitaux tels que la rate, le rein, le cerveau et les os (Gladwin & Sachdev, 2012), la littérature concernant l’impact de ces crises sur le tissu musculaire est relativement rare, peut-être en raison de sa nature moins vitale que l’atteinte d’autres organes. Bien que le tissu musculaire soit richement vascularisé et sensible à l’hypoxie, quelques épisodes de myonécrose subséquent aux crises vaso-occlusives ont été décrits chez ces patients (Mani & Duffy, 1993 ; Malekgoudarzi & Feffer, 1999). Si ces complications musculaires sont assez méconnues, elles n’en demeurent probablement pas moins fréquentes.

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Figure 8 : Pathophysiologie de la drépanocytose et conséquences cliniques associées.

Les effets de la polymérisation de l'hémoglobine S, de l'hyperviscosité, de l’occlusion vasculaire, de l'hémolyse et du dysfonctionnement endothélial sont représentés. La désoxygénation provoque la polymérisation de l'hémoglobine S, entrainant la falciformation du globule rouge en forme de faucille (drépanocytes). L’occlusion vasculaire est la conséquence de l'interaction des drépanocytes, des leucocytes et de l'endothélium vasculaire. Ces occlusions peuvent conduire à l'hémolyse, à l'inflammation et l'infarctus tissulaire. L'inflammation favorise l'expression des molécules d'adhésion endothéliales accentuant la tendance des drépanocytes à adhérer à l'endothélium et par conséquent, accroit le risque d’occlusion vasculaire. La reperfusion du tissu ischémique génère des radicaux libres et des dommages oxydatifs. Les hématies endommagées libèrent de l'hémoglobine libre dans le plasma, qui se lie fortement au NO, causant une déficience fonctionnelle en NO et contribuant au développement d’une vasculopathie. VCAM = molécule d'adhésion cellulaire vasculaire. Extraite de Rees et al. (2010).

3. Exercice physique et drépanocytose

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