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Conséquences de l’émersion tardi-archéenne des continents sur les enveloppes terrestres . 180

PARTIE 2 – ANALYSES SPECTROMETRIQUES : CONCENTRATIONS ET COMPOSITIONS ISOTOPIQUES

7. Conséquences de l’émersion tardi-archéenne des continents sur les enveloppes terrestres . 180

7.1. Emersion des continents et great oxidation event

7.1.1. Les modèles d’oxygénation de l’atmosphère

De nombreux scientifiques s’accordent à penser que l’atmosphère archéenne, en équilibre avec l’océan archéen, était réductrice. Parmi les arguments invoqués, nous citerons l’omniprésence des BIFs durant l’Archéen, témoins d’un océan globalement réducteur (permettant l’accumulation de fer ferreux soluble) pouvant être localement et temporairement oxydant (précipitation du fer ferrique insoluble et formation des bancs de magnétite et hématite). Toutefois, le caractère réducteur ou oxydant de l’atmosphère archéenne est toujours soumis à débat.

Deux modèles s’opposent : le premier, défendu par Ohmoto et ses collaborateurs (Ohmoto et al., 1996), propose un dégazage très primitif de l’atmosphère archéenne et un niveau d’oxygénation constant au cours des temps géologiques. A l’opposée, Holland (1999) soutient l’existence d’un événement d’oxygénation majeur survenu vers 2,5 Ga, appelé « Great Oxydation Event » (GOE). Ces deux modèles sont illustrés en figure 85.

L’étude des fractionnements indépendants de la masse des isotopes du soufre, les MIF-S (Mass Independant Fractionation of Sulphur), dans les roches archéennes est utilisée comme traceur de la teneur en oxygène atmosphérique (Farquhar 2000).Les fractionnements indépendants de la masse sont des phénomènes rares : les facteurs de fractionnement isotopiques géologiques et biologiques sont dépendants de la masse des isotopes. Un fractionnement indépendant de la masse peut avoir lieu en phase gazeuse, dans les hautes strates de l’atmosphère, par réactions photochimiques (Masterson et al. 2011). Les réactions photochimiques impliquant des espèces soufrées (SO2, SO, SO3…) dans l’atmosphère créent des MIF.

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figure 85 : Modèles d’oxygénation de l’atmosphère en fonction du temps, en pourcentage par rapport à la valeur actuelle (% PAL). La courbe rouge illustre la théorie du great oxydation event il y a 2,5 Ga (Kump, 2008). La bande bleue correspond au modèle d’oxygénation précoce de l’atmosphère (Ohmoto, 1996).

Cependant, les anomalies isotopiques du soufre de type MIF-S sont très rapidement homogénéisées dans une atmosphère oxydante, comme actuellement (Farquhar 2000). De façon corollaire, la préservation de signatures MIF-S au cours des temps géologiques nécessite une atmosphère dépourvue de dioxygène. Les mesures de MIF-S dans de nombreux échantillons archéens ont montré que la variabilité du 33

S (notation associée aux MIFs) était importante jusqu’à 2,45 Ga (Farquhar 2000; Bekker et al. 2004). Entre 2,45 et 2 Ga, une faible variabilité du 33

S est constatée (figure 86). Puis, au-delà de 2 Ga, la variabilité est nulle.

L’enregistrement de 33

S très variables à l’Archéen témoigne de la faible teneur en oxygène de l’atmosphère archéenne. La disparition brutale de cette variabilité en 33

S quant à elle signerait un événement d’oxygénation brutal et massif de l’atmosphère à la fin de l’Archéen. L’oxygénation se ferait en un épisode, et dès 2,3 Ga la teneur en O2 atmosphérique serait constante et proche de la valeur actuelle. L’étude des MIF-S offre donc un argument fort en faveur du great oxydation event tardi-archéen.

182 figure 86 : 33

S d’échantillons en fonction du temps. Le large cercle du stade III correspond à l’analyse de plusieurs centaines d’échantillons modernes. Stage I : large variabilité du 33

S, associée à une atmosphère dépourvue de dioxygène. Stage III : 33

S nul, associé à une atmosphère dont la teneur en O2 est moderne. Stage II : phase de transition, avec épisode d’oxygénation massive à 2,45 Ga puis stabilisation de la teneur en O2 atmosphérique. D’après Farquhar et al., 2003.

Les compositions isotopiques du fer des blacks shales, nodules de pyrite et BIFs archéens apportent des données de même nature que celles de l’évolution temporelle des MIF-S. En effet, la variabilité des 54

Fe des sédiments paléozoïques, très large à l’Archéen (54

Fe de +1 à -4 ‰), diminue de façon drastique à la fin de l’Archéen (Rouxel 2005) et signe l’oxygénation massive de l’atmosphère. Toutefois, ce modèle basé sur le fer prédit un great oxydation event plus tardif, à 2,3 Ga.

figure 87 : 56

Fe de sulfures dans des blacks shales archéens et 56

Fe de BIFs, reportés en fonction de l’âge des échantillons. L’atmosphère au cours du stade I est anoxique. Le great oxydation event a lieu à 2,3 Ga (début du stade II) et l’oxygénation de l’atmosphère se termine à 1,8 Ga (début du stade III).

183 7.1.2. Le cycle du dioxygène

Afin de comprendre l’oxygénation de l’atmosphère, il est nécessaire de s’interroger sur la nature des sources et des puits d’O2. Selon Campbell et Allen (2008), le dégazage du manteau (volcanisme) ne peut pas être la source de l’oxydation de l’atmosphère car l’état redox du manteau est probablement resté constant au cours des temps géologiques (Campbell et Allen 2008). Le moyen le plus simple de produire de l’oxygène en surface est alors la réaction de photosynthèse, qui peut s’écrire suivant l’équation (3).

CO2 + H2O = CH2O +O2 (3)

Lorsqu’un organisme photosynthétique incorpore du carbone minéral (CO2) à sa matière organique, il produit du dioxygène. Inversement, la dégradation de matière organique appelée respiration cellulaire aérobie, consomme du dioxygène et libère du CO2. Il y a donc production d’O2 si la réaction de photosynthèse, source d’O2, est irréversible (la respiration aérobie est un puits d’O2). Ceci nécessite l’absence de dégradation de la matière organique et survient à l’échelle géologique lorsque le carbone organique est enfoui en milieu anoxique (la diagenèse de cette matière organique peut alors donner du charbon ou pétrole, entre autre). Il existe d’autres puits de dioxygène, notamment l’oxydation des gaz volcaniques (H2, SO2, H2S, CO) et l’oxydation de pyrite lors de l’altération (Campbell et Allen 2008). Un cycle simplifié du dioxygène est présenté en figure 88.

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7.1.3. Impact de l’émersion continentale sur la biomasse océanique

L’émersion des continents et l’altération des minéraux de la croûte fournissent des ions et nutriments à l’océan. Le phosphore est, comme nous l’avons déjà vu, un élément crucial pour le développement de la vie, puisqu’il intervient dans les molécules portant l’information génétique (ADN, ARN), dans les lipides de structure membranaire (phospholipides) mais aussi en tant que support énergétique du métabolisme (ATP, ADP, NADP, …). Le phosphore est dix fois plus concentré dans la croûte continentale (870 ppm) par rapport au manteau primitif (90 ppm), source de la croûte océanique (Rudnick et Fountain, 1995, McDonough et Sun, 1995). L’altération de la croûte continentale augmente drastiquement la disponibilité en phosphore des océans, notamment au niveau des estuaires. De fait, l’activité biologique augmente fortement et la biomasse également. Les organismes photosynthétiques connaissent un boom de productivité primaire et la teneur en O2 augmente. De plus, l’augmentation rapide de la biomasse favorise l’enfouissement du carbone organique au détriment de sa dégradation. L’émersion des continents déclenche donc l’oxygénation de l’atmosphère par la photosynthèse.

Notre modèle basé sur la composition isotopique en zinc des BIFs indiquant un début d’émersion à 2,9 Ga pour une émersion complète à 2,6 Ga tend à appuyer l’hypothèse du great oxydation event.

7.2. Altération continentale et diminution de la teneur en CO

2

de

l’atmosphère

Nous traiterons ici le cas de l’altération des silicates calciques, présents dans la croûte continentale et dans les provinces magmatiques (LIP), par l’exemple du plus simple d’entre eux : la wollastonite, CaSiO3. L’altération de la wollastonite continentale et son impact sur le cycle du carbone peut se résumer de la façon suivante :

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L’altération de la wollastonite aboutit à la consommation d’un CO2. C’est ce qui est observé pour l’altération de tout silicate calcique.

L’altération de la croûte continentale émergée permet donc la consommation de CO2 pour former des carbonates marins. La teneur en CO2 atmosphérique, gaz qui s’était accumulé durant le stade monde « océan » à l’Archéen (Walker 1985) diminue fortement. La quantité estimée de CO2 atmosphérique il y a 4,5 Ga est de 100 000 fois la quantité actuelle (300 ppm). S’il est probable que le taux de CO2 a fortement diminué dès les 500 premiers millions d’années de notre planète, il n’en demeure pas moins que l’émersion des continents a contribué à cette diminution.

7.3. Altération continentale et conséquences sur la chimie des océans

L’altération des continents apporte, via le réseau hydrique continental, de nombreux ions à l’océan : des cations (Ca2+, Mg2+, K+, …) mais aussi des anions (PO42-). La charge ionique océanique est modifiée par l’émersion continentale.

Par ailleurs, l’oxygénation de l’atmosphère s’accompagne d’une oxygénation des océans : lorsque tout le fer ferreux contenu dans l’océan réducteur est oxydé par l’O2 libéré par les microorganismes photosynthétiques aquatiques ou par les organismes photoferrotrophes pour former des BIFs, l’O2

produit ensuite contribue à l’oxydation de la masse océanique.

Enfin, la formation de carbonates de calcium grâce à l’apport de Ca2+ issu de l’altération crustale continentale diminue l’acidité des océans, dont le pH est estimé à 6 à l’Archéen et proche de 8 dans les océans modernes (Walker 1983).

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