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La cannibalisme chez l’espèce étudiée n’est pas une interaction ponctuelle et accidentelle mais est présent dans toutes les populations (Chapitre 4). Les conséquences du cannibalisme sur la dynamique des populations naturelles peuvent être classées dans quatre catégories (Claessen et al. 2004). Tout d’abord, il s’agit d’une interaction trophique densité-dépendante qui agit selon un modèle proies-prédateurs et participe à la régulation des effectifs des populations (Diekman et al. 1986; Claessen et al. 2004). De plus, la relation entre le taux de fécondité et le taux de mortalité dans les populations peut engendrer une déstabilisation des populations plus ou moins importante en fonction de la périodicité des cycles des effectifs des cannibales et de leurs proies (de Roos, Persson & McCauley 2003). Un taux de mortalité supérieur au taux de fécondité dans une population peut conduire à la disparition de cette dernière (scénario du chao) (Claessen et al. 2004). En revanche, dans les systèmes où le cannibalisme n’est pas la seule interaction densité-dépendante, il peut stabiliser les effectifs et réduire les cycles proies-prédateurs dans les populations (Claessen et al. 2000; Andersson et al. 2007). Enfin, le compromis entre les effets positifs (gains énergétiques pour les cannibales et diminution de la compétition) et négatifs (mortalité des individus) du cannibalisme peuvent mener à un état de bi-stabilité (Claessen et al. 2004). Ce compromis semble prévaloir chez la truite marbrée.

La compréhension des conséquences du cannibalisme sur la dynamique des populations de truite marbrée implique de déterminer les classes de taille auxquelles appartiennent les proies et le nombre de truites consommées. En effet, les conséquences ne seront pas les mêmes si les proies

159 sont des 0+, des individus immatures ou des individus participant activement à la reproduction.

Même si le nombre de 0+ n’a pas été pas quantifié en juin (individus émergents trop petits), il

est peu probable, compte tenu des modèles bioénergétiques testés (scénario 1) que les cannibales consomment exclusivement les truites < 75 mm. En revanche, les résultats des scénarios 3 et 4 (consommation d’individus 100 – 170 mm et > 170 mm) sont plus en accord avec la dynamique des populations (Chapitre 4).

Le taux de cannibalisme des prédateurs compris entre 200 et 250 mm est principalement favorisé par la densité de truites < 75 mm alors que celui des > 250 mm est influencé par la densité des truites 100 - 169 mm (Chapitre 4). Ces résultats peuvent être discutés dans le cadre théorique du lifeboat mechanism. En effet, ce concept permet d’expliquer et de comprendre l’intérêt du cannibalisme face au compromis : gain énergétique vs. mortalité dans les populations cannibales (van den Bosch et al. 1988; Cushing 1991). Le lifeboat mechanism est un cas particulier de bi-stabilité qui permet aux populations cannibales de survivre là où des populations non- cannibales disparaîtraient face à des conditions de ressources alimentaires réduites (Claessen et

al. 2004). Ce mécanisme est possible si les coûts du cannibalisme (mortalité) sont plus faibles que

ses bénéfices (gain énergétique investi dans la reproduction). Cela implique que les proies consommées soient des juvéniles et que les cannibales soient matures. Le principe suppose que les proies et les cannibales aient des régimes alimentaires différents et que les proies consomment des ressources peu accessibles pour les cannibales. En consommant des juvéniles, les cannibales bénéficient d’une ressource trophique énergétiquement plus intéressante que les proies alternatives et optimisent la consommation des ressources disponibles dans le système. Les bénéfices pour les cannibales sont d’autant plus importants si le contenu énergétique des juvéniles augmente suffisamment entre leur émergence et le moment où ils sont consommés. Le lifeboat

mechanism est renforcé lorsque des facteurs abiotiques engendrent une fluctuation des ressources

consommées par les proies (Henson 1997).

Selon l’hypothèse du lifeboat mechanism, la forte consommation d’individus < 75 mm par des truites nouvellement matures leur permettrait d’accumuler plus de réserves avant la reproduction. Les résultats présentés dans le Chapitre 4 et des travaux antérieurs sur cette espèce sont en accord avec les causes théoriques de ce mécanisme : (i) le cannibalisme n’est pas la seule interaction densité-dépendante (Vincenzi et al. 2007a), (ii) les individus proches de la maturité sexuelle consomment préférentiellement des proies < 75 mm (Chapitre 4), (iii) les proies consomment essentiellement des invertébrés aquatiques (ressource peu exploitée par les cannibales, Chapitre 4). Il serait intéressant de tester ce mécanisme à l’échelle individuelle afin de savoir si les individus sont capables d’investir une première année dans la reproduction et de consommer leur progéniture l’année suivante ce qui leur permettrait un plus grand investissement dans la reproduction, conduisant à un plus grand nombre d’œufs et des œufs de taille plus importante, conférant aux parents un plus grand succès reproducteur et une meilleure valeur adaptative (Figure 6-4). De plus, des analyses sont en cours pour déterminer le sexe des truites

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échantillonnées, il nous sera ainsi possible de savoir si les femelles sont plus cannibales que les mâles.

Figure 6-4. Hypothèse du lifeboat mechanism chez la truite marbrée : illustration basée sur le suivi d’un individu (en gris). Les truites > 200 mm fraient à la fin de l’automne de l’année t0 (1). L’émergence des 0+ a lieu à la fin du printemps suivant (t

+1), apportant une ressource trophique pour les cannibales de la population dont la mère des individus (2). Les plus gros cannibales (> 250 mm) consomment des individus plus grands compris entre 100 et 169 mm (3). La femelle pond une seconde fois à l’automne t+1 (4) et les 0+émergeant au printemps t+2 sont consommés par des cannibales (5). La femelle consomme alors d’autres proies (6). Ce schéma illustre une situation hypothétique.

Il est important de préciser que les populations de truites marbrées sont composées d’organismes sémelpares, qui meurent juste après la reproduction, et itéropares qui peuvent se reproduire deux fois généralement espacées d’une année sans reproduction (Crivelli, pers. comm.). L’objectif serait donc de déterminer si les organismes itéropares sont plus cannibales que les semelpares et si un lien de parenté existe entre les organismes itéropares et leurs proies (cannibalisme filial). Des analyses sont actuellement en cours afin de reconstituer le pédigrée de chaque individu et de tester cette hypothèse.

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