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la consécration du modèle européen :

Les Etats africains indépendants ont opté pour la continuité de l’application des lois héritées des puissances coloniales à l’exception de celles contraires à la souveraineté nationale, et ce en attendant la mise en place des institutions constitutionnelles nouvelles de l’Etat, et la confection d’un ordre juridique national. Et à titre d’exemple nous citons la loi promulguée en Algérie le 31 /12/1962 portant sur la continuité de l’application des lois françaises à l’exception de celles contraires à la souveraineté nationale appliquée jusqu’au 05/07/1975(8), de même le Sénégal en date du 21/02/1961 et le Congo Brazzaville le 05/08/1961.

Dès l’indépendance, les Etats africains ont œuvré à la mise en place d’un Etat de droit suivant les normes européennes ; pour cela, ils ont adopté un ensemble de principes tels que la suprématie de la Constitution, la souveraineté du droit, la constitutionnalisation des droits et libertés, la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice ;afin de garantir à leurs populations respectives des conditions d’épanouissement et d’atteindre un niveau de progrès économique et de prospérité sociale, notamment en matière des droits et libertés(9).

Etant donné que l’Organisation des Nations Unies a soutenu les mouvements de libérations dans le monde et a consacré le droit des peuples à l’autodétermination ; la majorité des pays africains ont procédé à la

ratification des conventions internationales portant sur les droits de l’homme, auxquelles ils se sont référé dans leurs lois fondamentales, tel est le cas de la Mauritanie qui dans sa Constitution de 1991, modifiée en 2006 a inséré la déclaration universelle des droits de l’homme du 10/12/1948, ainsi que le pacte africain des droits de l’homme et des populations promulgué le 28/06/1981(10) , et celui de la Cote d’Ivoire dans sa Constitution de l’an 2000 (11). De même pour le Sénégal dans la Constitution de 2001 , modifiée et complétée, s’est inspirée de plusieurs textes de références tels que la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la convention internationale de l’éradication du racisme contre les femmes de 1979, la convention internationale portant sur les droits de l’enfant de 1989(12) .

De ce fait, les Constitutions de ces Etats n’ont pas manqué de citer, d’énumérer et de détailler les droits et les libertés fondamentales, à l’instar de la Constitution de l’Etat de l’Afrique du sud qui a réussi la transition du régime d’apartheid vers la construction d’un régime démocratique. Malgré les contradictions sociales qui traversent la société sud-africaine, la Constitution de 1996 a mis fin au racisme et à l’exploitation en intégrant en son sein un grand chapitre dénommé document des droits et des libertés. Ce document est le texte le plus détaillé en Afrique, il contient tous les mécanismes de définition, de mise en œuvre des droits et des libertés, notamment durant les circonstances exceptionnelles (12bis).

Le constitutionalisme africain a connu trois étapes essentielles depuis l’accès des pays africains à l’indépendance à ce jour. Toutefois, certain auteurs estiment que ces trois périodes peuvent être réduites à deux.

- La première étape : Elle débute de l’année 1960, date d’accès à l’indépendance de la majorité des pays africains, elle s’étend jusqu’à

l’année 1965. Cette étape est caractérisée par la reconduction des modèles juridiques et institutionnels coloniaux, occidentaux afin d’édifier l’Etat de droit et la garantie des droits et les libertés. Pour cela, le droit a été mobilisé pour développer la société caractérisée par son aspect traditionnel et tribal(13).

- La deuxième étape : Elle s’étend de 1965 à 1990, durant laquelle plusieurs conflits internes ont déchiré les Etats africains nouvellement indépendants. Cette étape est caractérisée par la prolifération de plusieurs coups d’Etat militaires qui ont instauré des régimes de dictatures militaires, ou les droits et les libertés ont disparus. Durant cette période l’Afrique est devenue un grand cimetière de droits et de libertés(14).

- La troisième étape : Elle s’étend de la fin de 1990 à ce jour durant laquelle plusieurs Etats africains ont engagé des réformes économiques et constitutionnelles profondes pour rétablir les droits et les libertés et construire de véritables Etats de droit.

Le processus des réformes engagées par les pays africains met en avant les grands principes classiques répondus dans les systèmes politiques occidentaux, tel que la séparation des pouvoirs, le contrôle politique des institutions de l’Etat, l’indépendance de la magistrature, et l’alternance démocratique au pouvoir(15).

II - les limites de la consécration des droits et libertés :

En dépit de l’évolution qu’ont enregistrées les Constitutions des Etats africains en matière de constitutionnalisation théorique des droits de l’homme et des libertés, soit par leur recensement ou par la ratification des pactes internationaux y afférent, les mécanismes juridiques leur mise en

œuvre pratique et réelle ont toujours fait défaut. Les limites contraignantes à l’effectivité de ces droits et libertés sont liées à trois éléments fondamentaux.

1- Le phénomène de l’ineffectivité des règles juridiques :

Les constitutions et les documents politiques mettent en place un cadre général des droits et libertés par leur consécration, garantie et protection, tandis qu’ils ne détaillent pas les modalités de leur application et les mécanismes de leur mise en œuvre, d’où la nécessité de promulguer les textes législatifs et réglementaires pour déterminer ces détails et préciser les conditions de leur application(16).

La norme juridique est complexe et multiple, pour cela, nous devons l’analyser sous divers aspects, soit de par son contenu matériel, soit de part la nature de la partie qui l’a élaboré (aspect organique) ou de par ses finalités. De ce fait, il ressort que l’aspect lié à la fonction qui est lui est attribuée, est l’angle le plus important permettant son analyse objective et réelle. La loi, contrairement à ce qui est répondu, ne reflète pas souvent la réalité sociale dans ses aspects multiples, mais opère une restructuration des comportements sociaux en fonction des intérêts et des priorités majoritairement établis. A cet égard, la loi doit élaborer des conceptions nouvelles des comportements devant être ancrés en société, et œuvrer à la répression et à l’interdiction des agissements auxquels les individus se sont déjà habitués. De ce fait, elle ne reflète plus les réalités sociales, mais elle en crée d’autres (17).

Le droit contemporain revêt un caractère Etatique étant donné qu’il est élaboré par l’Etat. L’évolution de la société dans plusieurs domaines, a

requis l’exclusion des modèles anciens de production de loi qui sont les mœurs et traditions et leur substitution par le droit positif produit par l’Etat.

Le caractère complexe et compliqué de la fonction gouvernementale, a abouti à l’adaptation de la norme juridique de part son contenu, sa forme, et son rôle afin de permettre la mise en œuvre des divers programmes élaborés et la concrétisation des objectifs qui lui sont assignés (18). Ainsi, la norme juridique est donc un outil de gouvernance, pour l’accomplissement de la fonction gouvernementale (19).

L’élaboration des textes tant législatifs qu’exécutifs est monopolisée par le gouvernement, et l’administration qui se sont appropriées la fonction législative et l’élaboration des règles juridiques. L’administration propose les lois dans la majorité des cas, et veille à leur élaboration, en assure le suivi comme elle prend en charge leur mise en œuvre et exécution sur le terrain.

L’organe exécutif (sous l’autorité du Président de la République) joue un rôle efficace et primordial dans le processus de production du droit, étant donné qu’aucune loi n’est promulguée sans son aval, comme il programme ces textes conformément aux priorités du programme gouvernemental présidentiel dans toutes ces dimensions, idéologiques, économiques, sociales, etc.… Aussi, Il procède à la modification de l’arsenal juridique existant suivant les nouvelles orientations(20).

Nous avons souligné auparavant le conflit existant entre le droit traditionnel et /ou religieux appliqué dans les sociétés africaines et le droit colonial qui a été imposé par le colonisateur.(21). Suite à la continuité du droit colonial dans la majorité des pays africains post-indépendants, les contradictions et conflits ci-dessus cités ont imprégné le nouveau droit national qui n’est

qu’une copie plus ou moins conforme au droit européen. De ce fait, une résistance aux changements (22) s’est installée dans les sociétés africaines, notamment en matière des droits des femmes et des enfants. A titre d’exemple, plusieurs pays africains permettent l’exploitation des enfants et des mineurs dans les domaines du travail et le port des armes dans les conflits internes, en dépit de leur interdiction dans les divers pactes internationaux ratifiés par ces pays. C’est le cas, aussi, de la violence contre les femmes et leur privation de leurs droits et libertés, en dépit de l'existence d'un système juridique qui les protègent contre cette injustice. Parallèlement au droit formel, il ya une réalité sociale qui impose un cadre limité pour les droits des femmes suivant la volonté de leurs maris et- ou tuteurs.

Nous avons souligné le rôle actif joué par l'administration dans l’élaboration des lois (23). Compte tenu du statut juridique dont jouit cette dernière, parmi d'autres institutions étant l'organe exécutif de l'Etat, elle veille au respect de la loi, à sa mise en œuvre ainsi qu’à son application. Toutefois, l’Administration, , a souvent exploité cette position de suprématie pour violer la loi, notamment quand il s’agit d'interpréter ses clauses en sa faveur en raison de son caractère général et flexible, citons l’exemple de l’interdiction des manifestations publiques sous prétexte de maintenir l'ordre public (24), le refus du droit à la grève aux syndicats revendiquant les droits des travailleurs, par l’instrumentalisation de la justice afin de se prononcer en sa faveur et de déclarer l'illégalité de la grève ... etc.

Les diverses lois fondamentales insistent sur le rôle que doit jouer l’administration pour assurer l'application et la mise en œuvre de la loi.

Etant l'organe exécutif de l'Etat, l’administration se charge de prendre toutes les dispositions et les mesures nécessaires pour mettre la loi en vigueur et lui

assurer une application optimale (25). Dans ce contexte, le domaine d’intervention de l’administration a évolué en passant de la restriction à l’extension en fonction de l'évolution des domaines de la loi et du règlement. Le domaine du règlement est devenu après la promulgation de la Constitution française de 1958 étendu et ce après avoir été restreint dans le cadre de l'application de la loi dans les constitutions précédentes. A cet égard, le domaine de la loi est devenu restreint dans les matières énumérées par la loi fondamentale et celui du règlement devenu étendu à toutes celles ne relevant pas du domaine de la loi.

La Loi se limite à l'élaboration des règles générales et les principes généraux dans les domaines qui lui sont consacrés, tandis que le règlement encadre et précise les détails et comble ses lacunes lors de sa mise en œuvre et de sa concrétisation sur le terrain (26). En principe, l'administration est responsable de veiller au respect de la loi et de son application. Mais cette dernière disposant du privilège de la puissance publique lui attribuant une position supérieure aux individus, peut se situer au dessus de la loi. De ce fait, seul le pouvoir judiciaire, peut intervenir pour annuler toute action par laquelle l’administration dépasse ses pouvoirs et viole la loi (27).

Dans le domaine de l’exécution et de l’application de la loi, l'administration s’engage à prendre toutes les dispositions et procédures nécessaires, dans un délai raisonnable et dans les limites du respect du texte et l'esprit de la loi objet d’application. Etant donné que la loi se limite aux principes règles généraux, sans aller aux détails d’application, la réglementation se charge de préciser les modalités de son application même si la loi ne fait pas référence expresse à la nécessité de promulguer un texte réglementaire. Ce principe a été consacré par le Conseil d'Etat algérien dans son arrêt daté du

20/05/2003, concernant une action portant sur les droits matériels des juges exerçant à la cour des comptes, qui n’ont pas perçus leurs indemnités en raison du retard fait par le Gouvernement quand à l’élaboration des textes d’application de la loi relative au statut des juges de la cour des comptes, qui leur a attribué des droits considérables (28).

Lors de l’application et de la mise en œuvre de la loi, l’administration s’engage à respecter ses dispositions et s’abstient toute dérogation conformément au principe de la légalité. Néanmoins, l’administration transgresse souvent la loi intentionnellement, soit dans des circonstances normales ou dans des circonstances exceptionnelles (29).

Conformément au principe de la légalité, l’administration s’engage à respecter la loi et à ne pas transgresser ses dispositions, soit de point de vue de la hiérarchie juridique ou dans le fond, en particulier en ce qui concerne les droits et les libertés des personnes. En cas de violation de ce principe, les décisions administratives font objet de contrôle juridictionnel devant le juge administratif qui assure la soumission de l’administration à la loi.

Cependant l’administration a souvent violé la loi lors de sa publication et mise en application, profitant de sa position privilégiée étant donné que c’est elle qui confectionne le premier noyau de la loi et c’est elle qui la met en œuvre. Dans d’autres cas, l'administration transgresse la loi délibérément, sans justification valable, sauf le fait que la loi ne sert pas ses intérêts, et procède à la création d’une légalité parallèle à la légalité initiale (30).