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l’exemple des Réseaux Sociaux d’Entreprise

Chapitre 5 : La mise en perspective des Digital Natives dans le monde organisationnel

10. Confrontation des pratiques générationnelles

Nous allons maintenant chercher à mettre en perspective les pratiques des Digital Natives face aux conflits générationnels pouvant s’exercer en entreprise. Pour ce faire, nous allons tout d’abord nous intéresser à la vision spécifique de l’anthropologue américaine et spécialiste de la question, Margaret MEADS (1901-1978) sur les générations. En 1968, Meads met en lumière l’existence d’un « fossé des générations ».

10.1.La vision de Margaret Meads

En étudiant les ruptures persistantes entre les générations, elle souligne l’existence de rapports de forces entre d’une part, les « anciens » qui vont sensiblement rester dans le passé et ainsi ralentir le changement et les « jeunes générations » amenées à se projeter davantage dans l’avenir et à concourir à l’émergence de transformations.

Ainsi, elle distingue différentes typologies de cultures. D’une part le mode culturel « postfiguratif » où les enfants sont instruits par leurs parents. Le mode « cofiguratif », où les adultes et les enfants apprennent de leurs pairs, et enfin le mode « préfiguratif », celui qui va nous intéresser ici. Ce mode correspond à l’apprentissage des parents grâce à leurs enfants78. C’est notamment le cas il semblerait, lorsqu’il s’agit de la transmission des connaissances alliées au domaine numérique et technologique. Ces nouveaux rapports qui se retrouvent également en entreprises tendraient à entretenir ce fossé générationnel et les écarts, certes, toujours existants mais aujourd’hui renforcés par les outils technologiques auxquels nous avons l’usage.

Cette étude sur les digital natives en entreprise soulève la question du brassage des générations observable dans le cadre de l’organisation. Le travailleur âgé représente la stabilité et la carrière tandis que le jeune peut, par le contexte social dans lequel il a grandi, être balancé entre insertion professionnelle difficile et instabilité de l’emploi. Ces références associées à des contextes d’évolution des individus mais aussi à des pratiques professionnelles profondément ancrées au fil des années peuvent être mises en doute. Cependant, elles marquent l’existence de disparités de références, de pratiques et d’usages concernant les différentes générations en entreprise.

Nous l’avons évoqué précédemment, il existe différentes générations présentent en organisation. Tout d’abord, celle des « traditionnalistes»

79(individus nés avant la fin de la deuxième Guerre Mondiale) et représentée

de manière quelque peu succincte par l’Association pour une Fondation

78

DAMON, J., « Margaret Mead (1901-1978) », Informations sociales, 2006/6 n° 134, p. 27- 27. Consultable via le lien : http://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2006-6-page- 27.htm consulté le 20/03/12

79 Association pour une fondation Travail Université, « Qu’en est-il du conflit des générations ?

Une différenciation des attitudes et des attentes à l’égard du travail », Note éducative

Travail Université (FTU) comme une génération « loyale », en attente d’un emploi à vie. Ces individus appartenant à la génération des « traditionnalistes » selon la FTU ne font plus aujourd’hui partie de la population active et ne nous intéressent pour cela que peu. Ensuite, ils distinguent les « baby boomers », nés après la deuxième Guerre Mondiale. Ils représentent les plus anciens encore en poste dans les organisations aujourd’hui. Ils seraient ainsi guidés par des valeurs relevant du « bien- être » et de « l’implication ». Puis la génération née entre 1960 et la fin des années 70 représentant une partie importante de la population active aujourd’hui. Ils sont en proie à des craintes relatives au licenciement notamment : « […] ils ont appris à être indépendants dans un monde

traversé par les restructurations […] » (FTU, 2006).

Enfin, et cela correspond à l’émergence du terme de « génération Y » dans la sphère Internet (voir schéma Google Trends en introduction), arrive la génération des digital natives, nés de 1980 à la fin des années 1990. Ils font face à un marché de l’emploi incertain et ils sont nés avec la technologie. Ils seraient également et selon les auteurs, « […] fortement influencés par

l’individualisme de leurs parents ».

Même si il est évident que ces portraits stéréotypés d’individus en fonction de leur date de naissance sont à prendre avec un certain recul, ils permettent de souligner la prise d’importance à partir des années 2006-2007, du phénomène d’entrée sur le marché de l’emploi des digital natives et le début des questionnements sur ce phénomène. C’est aux alentours de 2006 que les interrogations vont s’amplifier sur le phénomène du conflit des générations au sein de l’organisation.

Un écart se distinguerait donc entre deux générations profondément différentes. Elles sont différentes non pas uniquement à cause de leur comportement mais bien en fonction de leurs pratiques et notamment, celles relatives au numérique et à la technologie. Ainsi la technologie, désignant d’une manière globale l’ordinateur, Internet et plus récemment le développement du web 2.0 et des réseaux sociaux numériques aurait provoqué un écart plus important entre deux générations se succédant et amenées à travailler ensemble en organisation. Ce brassage générationnel serait ainsi rendu plus difficile du fait d’un « écart » devenu « fossé » en terme de savoirs et de pratiques. Comme nous l’avons vu précédemment, Meads appelle «préfiguratif », le mode d’échange allant des enfants vers leurs parents. On peut également tenter de confronter ce mode d’échange au milieu organisationnel. Il semblerait donc que les digital natives puissent posséder des connaissances différentes de celles acquises et utilisées par les autres générations antérieures dans l’entreprise.

Afin d’illustrer ces rapports de forces ayant lieu en organisation entre les différentes générations, une étude IPSOS (janvier 2012) dont nous avons déjà abordée certains aspects précédemment peut nous être utile. Il semblerait selon cette étude que les digital natives soient jugés assez sévèrement par leur aînés : « 48% considèrent qu’ils sont moins efficaces,

46% qu’ils sont moins motivés, 44% qu’ils sont moins enthousiastes et 44% qu’ils sont même moins polyvalents ».80

Cependant, et c’est ce qui peut-être intéressant de distinguer relativement à un éventuel rapport de force ; les digital natives sont également critiques envers leurs aînés. Le niveau d’étude plus élevé qu’auparavant ainsi que la motivation et l’enthousiasme attribués à « la jeunesse » amènent les digital natives à se considérer : « […] plus ambitieux que les autres salariés de leur

entreprise (65% le pensent), plus polyvalents (58%) et plus motivés (53%).Une majorité relative d’entre eux se considère également plus efficace (49%), plus enthousiaste (45%) et certes plus individualiste (44%). » Alors que les digital natives expriment une bonne image globale de

leurs compétences professionnelles, leurs ainés soulignent également que les compétences s’obtiennent uniquement par l’expérience et donc avec les années : « En ce sens, un jeune salarié est forcément moins efficace (55%

des 30 ans et plus le pensent). »

Des tensions sont observables et soulignées par cette étude récente menée par le cabinet IPSOS. Bien entendu, les écarts générationnels font partie des facteurs source de tensions sur le lieu de travail, cependant, il semblerait, que ces tensions soient supérieures et accrues lorsqu’il s’agit de confrontation entre la génération Y et les autres générations. Est-ce là des idées reçues, ou existe-il de réelles zones de tensions inévitables ? Quels seraient alors les facteurs entrainant cette tension accrue entre les individus Y et les autres salariés ? Sortons-nous dans ce cas des stéréotypes attribués aux digital natives ?

80 Enquête IPSOS janvier 2012, consulté le 20/03/12 et disponible via le lien :

http://www.ipsos.fr/ipsos-public-affairs/actualites/2012-01-16-la-generation-y-peine-trouver- sa-place-dans-l-entreprise

10.2.Influence des digital natives ou construction générationnelle ?

On va ainsi parler des comportements associés aux digitaux natifs notamment en fonction de leurs pratiques professionnelles. Ainsi, Julien Pouget sur son blog « La Generation Y »81 souligne la question du tutoiement en entreprise. Si, selon l’auteur, les digital natives semblent habitués au tutoiement, il semblerait que cela ne soit pas le cas pour leurs aînés. Autre facteur, l’utilisation des technologies comme avec cette extrait de témoignage sur le blog de Julien Pouget d’un manager sénior : « Quand

je demande qu’on m’envoie un compte-rendu de réunion, ce n’est pas pour m’entendre dire qu’il est disponible sur le serveur ».

Cependant, est-il vraiment objectif de stéréotyper les comportements des digital natives aux « tutoiement » et à l’utilisation des technologies en toute situation ? Ce supposé conflit générationnel est en mesure de soulever quelques controverses. Tout d’abord, et nous le rappelons, pour 65% des chefs d’entreprises et 64% des salariés : « […] les moins de 30 ans (ne)

constituent (pas) une génération vraiment particulière « dont les besoins et les attentes professionnelles coïncident plus difficilement avec le mode de fonctionnement actuel de l’entreprise »82. (Etude IPSOS, 2012). De plus, la

FTU83 souligne qu’il est important de distinguer d’une part les effets d’âges et les effets de « générations ». Par effet d’âge, les auteurs du document entendent parler des comportements alliés au développement selon l’âge des individus (ex : être jeune sous entendrais un moindre poids des responsabilités). Ensuite, il faudrait également ne pas négliger le poids des formes organisationnelles sur les individus (ex : le repositionnement des jeunes salariés qualifiés dans un service innovant en vue d’effectuer des gains de productivité).

Parler de conflit de génération et notamment de tensions persistantes entre la génération Y et leurs aînés peut amener certaines controverses. En effet, l’existence même d’une génération Y ne fait pas l’unanimité et par ailleurs, il peut sembler difficile de caractériser des pratiques associées à différentes catégories d’âges sans se soucier du contexte (organisationnel et lié au développement humain) de chaque situation. Ainsi comme l’expliquait clairement Margaret Meads afin d’illustrer le mixage organisationnel :

« À la place du modèle de l'organisme isolé unique, ou de la cellule unique, nous

pouvons recourir à un modèle biologique, plus spécialement écologique, basé sur un système complexe de nombreuses créatures vivant en interaction avec un environnement unique. Dans ce modèle, le profit que réalise une partie du système constitue aussi un profit pour une autre partie. Hôtes et parasites sont essentiels les uns aux autres; le changement intervient lorsque l'équilibre intérieur est rompu et qu'il faut procéder à de nouveaux ajustements. Le vieux calcul de profits et pertes est

81 Julien Pouget, auteur du blog « La Génération Y », article consulté le 20/03/12 et disponible

via le lien : http://lagenerationy.com/2010/11/24/management-intergenerationnel-et-risques- psychosociaux/

82

Rapport de l’Etude consultable via le lien : http://www.ipsos.fr/ipsos-public- affairs/actualites/2012-01-16-la-generation-y-peine-trouver-sa-place-dans-l-entreprise

83 Association pour une fondation Travail Université, « Qu’en est-il du conflit des générations ?

Une différenciation des attitudes et des attentes à l’égard du travail », Note éducative

remplacé par une entropie négative où la concentration de l'information renverse la tendance à la désorganisation. » (MEADS, 1979, p78)84

Nous avons vu comment les digital natives s’inscrivaient dans le cadre organisationnel face notamment aux conflits générationnels et aux controverses qu’ils soulèvent. Nous avons également vu qu’avec l’introduction des réseaux sociaux numériques en entreprise mais doublement avec l’utilisation accrue de ces mêmes réseaux hors du lieu de travail, les territoires numériques des salariés se déplaçaient.

Notre étude nous a aussi amené à penser la relation d’influence pouvant s’opérer entre les digital natives et les organisations. Après avoir délimité les différentes typologies d’influences pouvant être observées, nous nous sommes intéressés à la création de nouvelles fonctions au sein des entreprises (cf : les community managers) et nous nous sommes interrogés sur l’influence relative des digital natives concernant ces nouveaux besoins. Il est ainsi apparu que les natifs digitaux en prenant en considération ce groupe d’individus comme une catégorie aux pratiques propres, influençaient les stratégies de recrutement des entreprises dans un effet « boule de neige ». En étant présents sur les outils numériques sociaux et collaboratifs, ils amenaient les entreprises à les rencontrer via le même réseau professionnel numérique (ex : Viadeo ou LinkedIn).

Nous allons maintenant recentrer davantage notre analyse en confrontant les digital natives en entreprise avec l’intégration des réseaux sociaux d’entreprise. Nous confronterons par la suite, et dans une troisième grande partie, les pratiques observées auprès du Groupe Bureau Veritas.

84 In « Margaret Mead, Le fossé des générations : les nouvelles relations entre les générations

dans les années 1970, Paris, Denoël / Gonthier, 1979, p. 78. » In « Elisabeth Couture, 2003 » via le lien : http://multitudeateliers.com/pdf/serie2_3.pdf

Chapitre 6 : Mise en perspective des Réseaux