• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 4 DISCUSSION GÉNÉRALE

4.2 Confirmation de la première hypothèse de recherche

Comme mentionné à l’introduction, pour identifier les risques liés aux machines, les préventionnistes ont accès, entre autres, à des normes, des guides et des rapports d’enquêtes d’accidents. Ces rapports peuvent provenir d’une banque de documents comme celle du Centre de documentation de la CNESST. Les préventionnistes eux-mêmes peuvent avoir rédigé des rapports à la suite d’une enquête d’accident ou de passé-proche en interne. Dans le cas des rapports, la connaissance est consultée et interprétée par le préventionniste qui les lit ou les a rédigés. Nombreux sont les rapports envoyés aux oubliettes une fois lus (Kletz, 1993). Or, ces rapports représentent une mine d’information instructive pour la prévention d’accidents. Afin d’exploiter cette mine à bon escient, il serait pertinent d’en extraire l’essentiel de l’information contenue dans les rapports d’accidents (Lindberg et al., 2010). Vu ces constats, il a été supposé qu’utiliser le REX dynamique basé sur l’ALD permette d’identifier efficacement les facteurs de risque liés aux machines et d’en suivre l’évolution (c’est la première hypothèse de recherche). Rappelons que le REX dynamique consiste à apprendre du passé par l’inférence de connaissances à partir d’événements enregistrés dans une base de données, grâce à de la remontée d’information. L’inférence est réalisée par un algorithme de fouille de données.

Les études en sécurité du travail (Cheng et al., 2012; Verma et al., 2014; Silva et al., 2012) ou plus précisément en sécurité des grues sur les chantiers de construction (Raviv et al., 2017) qui utilisent la fouille de données à des fins de prévention d’accidents traitent de cas ayant minimalement des centaines d’accidents. De plus, les trois études en sécurité au travail susmentionnées utilisent des techniques de fouille de données comme les règles d’association ou les arbres de décisions. Or, ces techniques deviennent efficaces s’il existe des ensembles suffisamment fréquents dans les données pour caractériser des classes d’accidents, par exemple. Quand l’échantillon se raréfie, les chances d’obtenir des ensembles fréquents s’amenuisent. Il devient donc impossible d’utiliser ces techniques. C’est ce qui explique le choix de l’algorithme de fouille de données ALD. L’essence même de cet algorithme est de trouver des différences dans les données de classes diverses afin de caractériser ces classes et ce, peu importe le nombre d’accidents différents disponibles. L’ALD ne sert donc pas à trouver des ensembles fréquents de caractéristiques pour définir des classes diverses.

Quant à l’étude de Raviv et al. (2017), elle emploie un apprentissage non supervisé avec l’algorithme k-means pour former des regroupements d’accidents survenus sur des grues et connaître les caractéristiques de ces regroupements. En revanche, dans la présente thèse, la gestion du risque proposée se fait par rapport à un type d’accident et comme les types (classes) d’accidents sont connus d’avance, un apprentissage supervisé est requis. Cela explique aussi le choix de l’ALD comme algorithme pour l’apprentissage supervisé (l’encadré à la fin de la section 3.5.1 définit ces deux types d’apprentissage).

Finalement, Aneziris et al. (2013) ont généré manuellement un nœud-papillon. Ce dernier consiste en un schéma illustrant des liens de cause à effet. Au centre du schéma, on retrouve un événement indésirable (ex., contact avec une pièce en mouvement). La partie gauche du nœud est un arbre de défaillances, tandis que sa partie droite est un arbre d’événements. L’événement redouté est engendré par l’arbre de défaillances. Si l’événement redouté n’est pas contrôlé, il peut

dégénérer en plusieurs événements qui affecteront la population, l’environnement ou le travailleur,

d’où l’arbre d’événements à droite. Aneziris et al. (2013) ont construit ce nœud-papillon à partir de

causes génériques tirées de leur propre analyse de rapports d’enquêtes d’accidents liés à des pièces en mouvement sur des machines. Ce nœud-papillon représente la connaissance générique tirée de 3000 accidents. Contrairement à l’apprentissage automatique que propose cette thèse,

l’apprentissage d’Aneziris et al. (2013) était manuel et le nœud-papillon proposé était immuable du

côté de l’utilisateur. Seul le concepteur pouvait mettre à jour les causes d’accidents. La méthode proposée dans cette thèse permet à l’utilisateur (le préventionniste) de mettre à jour, à sa guise, les causes et facteurs d’accidents.

4.2.1 Première hypothèse de recherche : contributions à l’avancement des

connaissances

Le REX dynamique basé sur l’ALD contribue à identifier efficacement les facteurs de risque puisque les règles que génère l’algorithme permettent d’apprendre du passé, en transmettant l’essentiel de la connaissance tirée des rapports d’enquêtes d’accidents et ce, peu importe leur nombre. La connaissance inférée et transmise par l’ALD permet de prédire, avec une précision de classification adéquate, les types d’accidents possibles (ex., accident de maintenance ou accident de production, accident grave non mortel ou accident mortel). En d’autres termes, si la

combinaison d’indicateurs d’accident composant une règle est observée en entreprise, l’événement redouté se trame. À titre illustratif, la règle P2+ caractérisant 70 % des accidents de

maintenance analysés (cf. tableau 3.8) aurait permis, lors d’une inspection des lieux de travail d’une scierie décrite dans Brulotte et Roberge (2006) , de constater que les principales conditions pouvant induire un accident de maintenance étaient réunies sur le convoyeur de l’entreprise et présageaient un tel événement. En effet, cette règle regroupe les principales conditions des accidents de maintenance de 2002 et 2005 décrits dans (Brulotte et Roberge, 2006) :

• facteur de risque : encombrement des lieux de travail. La sciure de bois (cf. photo A de la figure 4.1) bloquait l’accès au convoyeur. Cet empêchement portait le travailleur à emprunter un raccourci en passant, accroupi, sur le brin inférieur de la courroie du convoyeur;

• cause directe : angle rentrant accessible. La photo B de la figure 4.1 illustre deux angles rentrants dépourvus de moyen de protection pour sécuriser le convoyeur. Un rouleau en rotation et le brin inférieur de la courroie créent chaque angle rentrant;

• cause indirecte : partie du corps dans l’angle rentrant.

(A) (B)

Figure 4.1 : Principaux facteur de risque et causes des accidents de 2002 et 2005 survenus dans une même scierie, sur le même convoyeur (photo A : la flèche de gauche montre l’accès normal à la salle du convoyeur, tandis que celle de droite pointe le tas de sciure de bois; photo B : les deux

Agir sur chacune des causes d’accident et facteur de risque aurait permis d’éviter l’accident de 2005 survenu pour les mêmes raisons que celui de 2002.

En plus d’aider à prédire les accidents dans une optique de prévention, la connaissance générée par l’ALD permet également:

• aux organismes en prévention de suivre l’évolution des facteurs de risque et causes possibles d’accidents afin de déceler si un accident est imminent et y remédier avant qu’il ne survienne. Ce suivi peut se faire lors d’audits, par exemple;

• aux concepteurs et aux intégrateurs de machines de profiter d’un retour d’expérience. D’ailleurs, la norme générale ISO 12100:2010 en conception de machines prévoit le retour d’expérience comme moyen d’améliorer en continu la sécurité des machines. Les facteurs de risques et causes possibles composant les règles sous forme de conditions, permettent au concepteur de penser au-delà de la machine, en considérant l’environnement (organisationnel et physique), les personnes impliquées (surtout les travailleurs), ainsi que la tâche pour laquelle la machine doit être conçue.

La prépondérance des indicateurs relatifs à l’équipement dans l’explication des accidents analysés a été montrée en fin de section 3.5.3. Ce qui conforte la prescription normative de l’ISO 12100:2010 qui prône, en priorité, les moyens de prévention liés à l’équipement pour réduire efficacement le risque : la prévention intrinsèque suivie des moyens de protection (protecteurs et dispositifs de protection) si le risque résiduel n’est pas suffisamment réduit. En outre, l’article 3 fait ressortir, en sa section 8.1, que les indicateurs de type « Équipement » sont suivis par les indicateurs de types « Individu » puis « Organisation » en matière d’importance dans la survenue des accidents analysés. Ce résultat rappelle celui de Raviv et al. (2017) qui en sont arrivés à la conclusion que les facteurs techniques sont les plus dangereux dans la survenue des accidents analysés impliquant des grues, en plus d’être interreliés aux facteurs humains. Cela montre la nécessité pour le concepteur et l’intégrateur de considérer l’utilisateur de la machine, ses bons et mauvais usages raisonnablement prévisibles de la machine, ainsi que l’environnement dans lequel elle sera utilisée.

Enfin, le REX dynamique basé sur l’ALD est un outil adapté pour de la prévention ciblée puisque l’essence même de cet algorithme est de trouver les différences entre des classes d’événements. Par exemple, selon le type de tâche, les moyens de réduction du risque ne seront pas

nécessairement les mêmes. Ainsi, un protecteur installé sur une machine pour protéger le travailleur lors de la production peut devenir gênant lors d’une intervention de maintenance dans le mécanisme duquel le travailleur était protégé en production. Alors, un autre moyen de réduction du risque doit être utilisé en maintenance, tel que le cadenassage, pour éviter le démarrage intempestif du mécanisme alors que le travailleur a la main dedans par exemple. De plus, gérer les risques en faisant de la prévention ciblée est profitable aux entreprises ayant peu de ressources pour gérer tous les risques « machines » menaçant la sécurité des travailleurs. En effet, par la prévention ciblée, l’ALD communique aux préventionnistes de ces entreprises les causes d’accidents et facteurs de risques essentiels à la survenue des accidents analysés.

La méthode d’identification des risques basée sur le REX dynamique est de nature itérative. Lorsqu’un nouvel accident d’un certain type surviendra, il pourra être ajouté à la base de données. L’inférence de connaissances (règles) pourra être mise à jour automatiquement par l’utilisateur, en lançant à nouveau l’algorithme ALD.

Toutes ces contributions confirment la première hypothèse de recherche, conformément au sens de l’expression « identifier efficacement les facteurs de risque » donné à la section 2.3.