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DES CONDITIONS DE POSSIBILITE, VIABILITE DE CES PRATIQUES AU PRESENT

Une de ces conditions, on l’a vu, est de ne pas considérer que le seul modèle de gestion des risques par prédiction et objectivité (objectivation) permet de répondre à l’exigence de protection de l’enfant. Deux manières de gérer les risques doivent se combiner dans les pratiques d’EC pour que celles-ci puissent d’une part répondre à l’ensemble des risques auxquels elles sont confrontées, et d’autre part répondre à ses autres injonctions que celle de protection (autres injonctions qui renforcent également la protection).

D’autres conditions, en amont et en aval des visites, mais aussi au-delà dans le réseau sont nécessaires.

- En amont et en aval des visites (N. Vigne Nardi, D. Fuehrer, Y. Bertin)

Quelles sont les conditions de possibilité de cette « pratique au présent » ? qu’est-ce qui favorise la viabilité pour le professionnel de ces moments de visite ? Il faut pour cela que le

30 projet de visite soit « viable » pour le professionnel. Cela signifie que nous avons besoin d’une base de sécurité. Pour cela, il est important pour nous de :

• Clarifier notre mandat auprès du réseau, du parent visiteur, de l’enfant et de la famille d’accueil ou du parent gardien.

• Clarifier le mode de collaboration avec nos partenaires

• Avoir le confort du lieu de la visite

• Avoir la possibilité de pouvoir parler de notre vécu au travers des intervisions ou des supervisions

Cela passe par trois champs de préparation en amont des visites : La clarification du motif de protection et de la finalité des visites :

• La clarté du motif de protection (image qui légitime notre intervention, d’où on vient) explicité au parent et à l’enfant (avec l’idée qu’on ne peut pas imposer un dispositif si lourd sans en clarifier les motifs et les finalités).

• De là on définit un cadre (rythme, durée, modalité de présence de l’éducateur)

• Comme le parent n’arrive pas « vierge de toute sa situation passée », il est important de lui montrer comment on tient compte du passé pour donner du sens à la mesure et poser comme finalité qu’on vise à continuer autrement.

• Pour ce faire, c’est incontournable d’être au clair sur le point de départ (motif de protection), de manière à pouvoir s’en écarter et ne pas ramener le parent à cela uniquement parce qu’on serait soi-même (en tant qu’éducateur) dans un flou par manque d’information sur ce qui motive la mesure…mais précisément être réactif quand il le faut et soutenir des ouverture par ailleurs.

Partager en réseau les motifs, moyens et objectifs de la mobilisation d’Espace contact ainsi que nos observations et hypothèses permet de :

• Enrichir notre perception de la situation par ce qui est perçu part d’autres, dans d’autres contextes. Idée d’une porosité des frontières entre intervenants.

• Eviter les incompréhensions et apaiser certaines craintes.

• Comprendre ce qui peut émerger, surgir de la visite de manière à le reprendre et le cas échéant le renvoyer au bon destinataire.

La clarification des modalités de collaboration :

• Avec le parent : règles de collaboration, de possibilités d’avoir des contacts entre les visites, dans le sens de créer un partenariat malgré le cadre d’aide-contrainte

• Avec le mandant : envoi du planning des visites, où et comment sont prises les décisions

• Avec la famille d’accueil : sur quoi on communique lors des retours, besoin de leur présence au retour de l’enfant, besoin de leurs observations, etc.

31 - Des espaces-temps pour décrire et discuter des pratiques (N. Vigne Nardi, D.

Fuehrer, Y. Bertin)

Les séances de supervision, d’intervision, les réunions d’équipe, les échanges informels nous permettent de confirmer ou faire évoluer les perceptions et vécus d’une visite. Participer à cette recherche (aux AC et aux réunions d’équipe dans lesquelles on a discuté de l’analyse des films) nous a permis de développer notre manière de parler de notre travail.

Nous avons en effet considéré qu’il s’agissait pour nous d’une chance que des chercheurs s’intéressent à nos pratiques et avons saisi cette chance en nous demandant comment profiter au mieux de ce travail. Nous avons appris à décrire et à partager notre pratique en prenant appui sur des détails et en prenant au sérieux notre expérience, tout en la considérant comme limitée.

Ce travail nous a ainsi apporté :

• Une méthode d’approche du réel : - Considérer que chacun sait quelque chose de la réalité et que ma perception est nécessairement incomplète. - Cela implique que je parte de mes difficultés aussi pour comprendre ce qui m’échappe. - Cela m’amène à décrire ce que je sais de la réalité pour le partager à d’autres.

• Une méthode qui permet de transmettre à d’autres la compréhension d’une situation de manière nuancée et avec un ancrage concret basé sur l’expérience. C’est un appui pour faire valoir des enjeux, défendre des initiatives, soutenir des mouvements en lien avec les visites.

• Un socle, un « dénominateur commun » pour traiter les décalages de perceptions entre collègues ainsi que dans les réseaux.

• Une perspective qui vise à prévenir les clivages (à haut risque dans nos pratiques). Il ne s’agit pas nécessairement de partager la même perception en fin de discussion mais d’enrichir nos perceptions de ce qui importe pour les autres. Cela aide à considérer que l’autre aussi saisit quelque chose de la réalité et cela lui garantit une place.

- Et après, au-delà

Cette manière de vivre le dispositif d’aide-contrainte pendant les visites, même avec des visites qui se déroulent sur des années, n’est cependant souvent pas suffisant pour transformer de manière durable ces situations. Si pendant la visite c’est le moment même de la visite qui est visé et avec une viabilité pour le professionnel qui intègre ce qui importe pour les autres personnes du réseau et d’autres temporalités, ce qui s’y passe doit pouvoir durer et être repris, amené, porté au-delà.

A la fois une certaine stabilité est nécessaire pour ces pratiques (stabilité institutionnelle, du réseau et des dispositifs, avec aussi une certaine ritualisation des moments de visite), pour mettre en mouvement ces parentalités défaillantes, mais également une forme de continuité entre les espaces-temps. Les chemins proposés, pris durant ces visites, ces nouveaux possibles qui s’ouvrent, ce monde commun qui se construit doivent à la fois remonter, circuler dans le réseau pour enrichir la compréhension des parents, des enfants, de leurs liens, et aussi enrichir la normativité externe, sociale. Enrichir signifie que ces chemins pris ne doivent pas être comparés et évalués à l’aune de chemins connus jugés sécures, d’un ensemble

non-32 transformable de possibles préexistants, mais qu’ils peuvent donner du mouvement et une forme de sécurité à cette construction collective (le travail en réseau) dans laquelle chacun doit pouvoir trouver une place qui soit viable, tenant compte de où il en est, de son mandat. Viable pour le parent, pour l’enfant, pour le professionnel d’EC, pour le service placeur (qui doit ensuite rendre des compte à la justice) etc.

C’est dans notre prochain projet de recherche que nous allons explorer et décrire ce qui précisément circule et comment entre ces différents espaces-temps, ces différents intervenants,

… et avec quelles difficultés, quels appuis.

Textes issus de cette recherche

Visites médiatisées en protection de l’enfance : exploration et transformation des émotions des professionnels, des parents et des enfants. in SEJED 20, 2018, disponible sous https://journals.openedition.org/sejed/9099

Participation, incertitude, aventure et protection dans un dispositif d’aide-contrainte : les visites médiatisées comme pratiques au présent. Conférence donnée le 22 novembre 2018 à l’Association le Châtelard, à l’occasion de la commémoration des 10 ans d’Espace Contact.

Texte disponible sur le site du Châtelard.

Participation, aventure et rencontre dans un dispositif d’aide-contrainte : les visites médiatisées comme pratiques au présent. Article soumis à la Revue Sciences et Actions Sociales.

Protection, incertitude et ouverture de possibles dans un dispositif du champ de la protection de l’enfance. Article à paraître dans un ouvrage collectif en cours de construction dirigé par M.

Kuehni sur les pratiques prudentielles et le travail social.

En préparation également un ouvrage collectif avec les éducateurs d’EC qui ont participé à cet exposé.

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