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V – Conclusions et perspectives

Au cours de ce travail de thèse, nous avons effectué une caractérisation d'enrichissements sur ETBE ou sur MTBE obtenus à partir d'échantillons environnementaux d'origines géographiques diverses (USA, France, Belgique, Allemagne), pollués par ces composés, en utilisant diverses approches expérimentales, incluant la détermination de leurs capacités de dégradation ainsi que leur diversité bactérienne et génétique. Le but étant de tenter de mettre en relation les capacités de dégradation de ces enrichissements avec leur composition phylogénétique.

Dans un premier temps, des cinétiques de dégradation pour les enrichissements sur ETBE et sur MTBE ont été réalisées, puis nous avons déterminé leurs capacités vis-à-vis de composés tels que les BTEXs et les n-alcanes (octane et hexadécane).

Les études de cinétiques de dégradation montrent que la dégradation de l'ETBE et du MTBE est lente et peu efficace, confirmant ainsi la mauvaise biodégradabilité déjà connue du MTBE, et montrant que le cas de l'ETBE est assez similaire à cet égard. Nous avons pu souligner deux points importants pour la dégradation de ces composés, qui sont (i) le faible rendement en biomasse sur MTBE ou ETBE des enrichissements obtenus, et (ii) la production de TBA dans le milieu de dégradation dans certains cas. Outre les capacités de dégradation de l'ETBE et/ou du MTBE, il ressort que chaque enrichissement possède des capacités de dégradation différentes des BTEXs et des n-alcanes qui sont très variables. Alors que les enrichissements FR5 (obtenus sur ETBE ou MTBE) dégradent tous les composés testés, à l'opposé, l'enrichissement US2-MTBE ne dispose que d'un faible spectre de dégradation. Dans deux autres cas où il a été possible d'obtenir des enrichissements à la fois sur ETBE et sur MTBE, BE1 et GE1, des différences notables de capacités ont été observées, mettant ainsi en avant l'impact de deux substrats d'enrichissement de structures chimiques pourtant extrêmement proches, ne variant que par un groupement –CH2.

Dans plusieurs cas (10 enrichissements sur 11), nous avons observé une dégradation du benzène, le composé natif des essences qui est le plus soluble dans l'eau et qui est un cancérigène reconnu, par la microflore sélectionnée sur ETBE (totalement dans 4/5 cas et partiellement dans le dernier cas) ou sur MTBE (totalement dans 3/6 cas, partiellement dans 2/6 cas et pas du tout dans le dernier cas).

Ces différences de capacités de dégradation ne peuvent s'expliquer que par des compositions phylogénétiques différentes pour chaque enrichissement. Plusieurs approches ont donc été employées afin de connaître les communautés bactériennes au sein de ces enrichissements, mais également, d'étudier la présence et l'expression de gènes de dégradation connus.

Pour caractériser les enrichissements étudiés, certains micro-organismes ont été isolés. Une fois ces souches isolées, la croissance de chacune d'elles sur ETBE, MTBE ou TBA a été étudiée. Au final, plusieurs souches notables ont pu être mises en évidence. Rhodococcus sp. IFP 2040, IFP 2041, IFP 2042, IFP 2043 (dégradant l'ETBE jusqu'au TBA), une Betaproteobacteria IFP 2047 (dégradant complètement l'ETBE), Bradyrhizobium sp. IFP 2049 (dégradant le TBA), Pseudonocardia sp. IFP 2050 (dégradant l'ETBE et le MTBE complètement, ainsi que le THF, un autre éther), Pseudoxanthomonas sp. IFP 2051 (dégradant complètement le MTBE), et une Proteobacteria IFP 2052 (dégradant complètement le MTBE). Les souches IFP 2050 et IFP 2051 ont fait l'objet de

deux brevets pour leur utilisation sur des sites pollués par les éthers-carburants. Rhodococcus sp. IFP 2042 et Bradyrhizobium sp. IFP 2049, isolées à partir de l'enrichissement US6-ETBE, ont fait l'objet d'un article du fait de leur commensalisme pour la dégradation de l'ETBE. Les résultats des isolements montrent la prédominance de souches de Rhodococcus dans la dégradation de l'ETBE (en TBA) et le rôle des Proteobacteria dans la dégradation du MTBE.

Concernant l'analyse phylogénétique, l'utilisation de la technique RISA nous a tout d'abord permis d'avoir une première idée des différences de communautés bactériennes au sein des enrichissements étudiés. D'après cette analyse, il ressort clairement que la composition bactérienne des enrichissements obtenus sur ETBE est différente des communautés bactériennes au sein des enrichissements MTBE et TBA.

Ces différences de communautés entre nos enrichissements ont été confirmées grâce à l'utilisation de la technique DGGE. En effet, nous avons observé pour chaque enrichissement, des profils de migration spécifiques, reflétant des différences dans leur biodiversité. En comparant les profils obtenus dans les cas où l'enrichissement a pu être réalisé sur MTBE et sur ETBE, nous avons montré que la nature du substrat d'enrichissement avait un impact conséquent sur la composition de la flore en liaison avec les différences de capacités de dégradations observées précédemment. De même, la présence notable de bactéries appartenant au phylum Actinobacteria a été montrée dans les enrichissements obtenus sur ETBE en relation avec les isolements de souches effectués.

Les enrichissements sur ETBE en particulier ont fait l'objet d'une étude plus approfondie, avec réalisation de banques de clones de leur gène codant l'ARNr 16S. L'étude de ces résultats a permis là également de démontrer dans chaque cas une diversité bactérienne importante. Ainsi, il est intéressant de constater que les enrichissements BE1-, GE1- et US6-ETBE contenaient une majorité de Proteobacteria, tandis que les enrichissements FR3- et FR5-ETBE, quant à eux, étaient constitués de communautés nettement différentes (majorité d'Acidobacteria et d'Actinobacteria pour FR3-ETBE, et diversité plus importante pour FR5-ETBE, avec notamment une majorité de bactéries appartenant aux phyla Chlorobi, Gemmatimonadetes, et Actinobacteria, dont une majorité de Pseudonocardia).

Une recherche des souches dégradeuses auparavant isolées a été réalisée par qPCR, et a permis d'appuyer les résultats observés précédemment, en soulignant par exemple l'implication probable des souches de Rhodococcus dans la dégradation par l'enrichissement BE1-ETBE, ou encore l'importance particulière des souches de type Bradyrhizobium dans la dégradation du TBA dans l'enrichissement US6-ETBE. Dans ce cas précis, le TBA provient de la dégradation de l'ETBE par Rhodococcus sp. 2042 (Le Digabel et al., 2013), pourtant faiblement représenté d'après les résultats de qPCR et d'après la banque de clones (1 % des clones séquencés), ce que nous expliquons par la faible croissance mesurée sur ETBE.

Il est intéressant de souligner la complémentarité des différentes techniques employées lors de ce travail afin d’étudier et de caractériser les microflores présentes. Chacune présente ses propres avantages ainsi que ses inconvénients.

Ainsi, la RISA est extrêmement rapide et simple à mettre en place, et permet d’avoir une première idée des différences de compositions bactériennes dans chaque échantillon. Néanmoins, la technique ne permet pas de caractériser les flores présentes.

La DGGE, quant à elle, est un outil efficace pour comparer des échantillons et faire un suivi au cours du temps afin de visualiser l’évolution de la composition des microflores. Celles-ci sont, en outre,

partiellement caractérisées, du fait du séquençage possible des bandes d’ADN observées sur gel. Toutefois, cette technique comporte une partie mise au point expérimentale parfois délicate, notamment concernant le choix du gradient de dénaturation ce qui peut avoir un impact sur la reproductibilité du résultat obtenu. De plus, la caractérisation des microflores n’est pas d'une précision élevée du fait que la séquence d’ADN analysée est partielle (environ 400 bp, selon les couples d’amorces), et ne permet donc pas une identification précise des différentes bactéries présentes. Enfin, la technique est qualifiée comme étant seulement semi-quantitative (quantification possible selon l’intensité des bandes), elle ne permet donc pas d’avoir une idée précise et fiable de la répartition des microflores dans un échantillon à cause de différents biais (amplifications PCR préférentielles, gradient, etc…). Il reste néanmoins que c'est la seule technique d'empreinte moléculaire permettant un séquençage de l'ADN après migration.

L’approche employée par la réalisation d’une banque de clones permet d’obtenir une caractérisation bien plus complète et précise des microflores étant donné l’obtention des séquences complètes des gènes codant l’ARNr 16S au sein de chaque échantillon. De plus, il est possible d’avoir une idée de la répartition de ces flores et donc, de visualiser celles qui sont majoritaires. Toutefois, cette approche plus longue et fastidieuse à mettre en place, comporte tout de même un caractère aléatoire lié au repiquage des clones avant envoi au séquençage.

Ainsi, chaque approche apporte un lot d’informations différentes et complémentaires, et la complémentarité des informations que chacune fournit permet d'avoir une meilleure connaissance des microflores impliquées dans la biodégradation des éthers-carburants.

L'étude et la recherche des gènes impliqués dans la dégradation de l'ETBE, du MTBE et du TBA déjà connus a également permis d'apporter des éléments de réponse quant aux capacités de dégradation de nos enrichissements ou des souches isolées. Ainsi, les gènes ethB, ethR, mdpA, alkB et pdo/mdpJ ont été retrouvés dans plusieurs cas et étaient très conservés par rapport aux séquences génétiques de référence. Ce point confirme que la recherche de ces gènes est importante à réaliser dans les cas de pollution. Il est intéressant de constater que dans certains cas, comme pour les enrichissements BE1 ou FR5, obtenus sur ETBE et sur MTBE, les gènes retrouvés n'étaient pas les mêmes (pour BE1, pdo/mdpJ retrouvé uniquement sur MTBE ; pour FR5: pdo/mdpJ retrouvé uniquement sur ETBE), et mettaient là encore en avant une différence de communautés bactériennes avec des voies métaboliques différentes. Par ailleurs, puisqu'aucun des gènes recherchés n'a été retrouvé dans certains cas, cela montre également qu'il y a soit (i) des gènes assez distants des gènes étudiés soit (ii) des gènes différents qui sont impliqués dans les voies de biodégradation de l'ETBE aussi bien que du MTBE. En particulier, les gènes codant pour les enzymes de type "oxygénase" connues comme étant responsables de l'attaque initiale de l'ETBE aussi bien que du MTBE n'ont pas été détectées chez FR3-ETBE, FR5-ETBE, FR5-MTBE, FR6-MTBE et BE1-MTBE. Enfin, la partie de l’étude concernant l’expression des gènes retrouvés dans les souches dégradeuses isolées ne nous permet pas de conclure en l'état actuel des recherches, notamment à cause des faibles biomasses obtenues et surtout, des faibles rendements d’extractions d’ARN. En l’état, il n’est pas possible de conclure sur l’induction ou l'expression constitutive des gènes retrouvés et étudiés durant la dégradation de l’ETBE ou du MTBE, et des expérimentations supplémentaires doivent être réalisées afin de confirmer les premières séries de résultats obtenus.

Même si les points évoqués précédemment ont permis d'apporter de nombreux éléments de réponse quant à la problématique initiale de cette thèse, il est évident que le sujet n'est pas épuisé et que de nouvelles recherches apporteraient d'autres informations.

Tout d'abord, concernant l'isolement des souches, l'analyse des différentes communautés, notamment grâce aux banques de clones, a permis de montrer la présence de souches ou de phyla majoritaires mais qu'il n'a pas été possible d'isoler dans les conditions de notre étude. Il serait dès lors intéressant de tester d'autres milieux de culture et conditions de croissances très spécifiques de certaines catégories de bactéries (ex: les Acidobacteria sur FR3-ETBE, les Gammaproteobacteria sur BE1-, GE1- et US6-ETBE, etc...). Par ailleurs, il est possible d'effectuer simultanément l'identification des micro-organismes dégradeurs ainsi que leur caractérisation fonctionnelle dans une population par des techniques de marquage cellulaire de type NanoSIMS, des expérimentations dans ce sens sont prévues dans le cadre du projet MiOxyFun.

D'autre part, Pseudonocardia sp. IFP 2050 a montré des capacités de dégradation larges et particulièrement intéressantes (ETBE, MTBE, TBA, THF, toluène, octane), bien que seuls des gènes de l'opéron thm aient pu être détectés par PCR. Il faudrait donc poursuivre l'étude de cette souche, avec notamment d'autres tests (préférences de substrat, conditions optimales de croissance, etc...), mais également, en essayant de voir si les gènes de l'opéron thm (par exemple thmB) sont impliqués dans la dégradation de l'ETBE ou du MTBE, en effectuant des essais de dégradation de l'ETBE ou du MTBE par des resting celles après croissance sur THF ou, bien sûr, un knock-out d'un gène de cet opéron pour voir si la souche perd sa capacité à utiliser ces substrats.

De plus, la recherche des gènes impliqués dans la dégradation de l'ETBE, du MTBE ou du TBA reste encore incomplète, et souffre de plusieurs biais. En effet, au vu de nos résultats de recherche de gènes, les enzymes impliquées dans les voies métaboliques permettant l'oxydation de ces substrats ne sont probablement pas encore toutes connues. D'autre part, certains gènes connus comme étant impliqués (par exemple le gène alkB) peuvent comprendre des séquences en acides nucléiques très variables. De fait, les approches classiques par recherche des gènes par PCR (avec des couples d'amorces spécifiques) ne permettent pas de recouvrir complètement toutes les possibilités. Dans un cas comme celui-ci, et en plus de passer outre différents biais (étape de culture sur milieux solides, amplifications PCR, notamment), une approche métagénomique serait particulièrement indiquée et utile afin d'obtenir une vision nettement plus exhaustive de la diversité bactérienne et génétique au sein de nos enrichissements.

En conclusion, le travail à réaliser reste vaste et la réponse à plusieurs questions posées devant ce type de pollution est encore à trouver. Un point montré lors de cette étude est déterminant quant au devenir de ces composés dans l'environnement : la concentration en micro-organismes dégradeurs va rester faible dans les environnements pollués et ne permettra pas d'obtenir des niveaux d'atténuation naturelle suffisant pour assurer la restauration des sites même si des injections d'oxygène sont effectuées. Bien sûr, plus le niveau de contamination est élevé, plus ce point est critique. Or, certains sites ont montré des concentrations élevées, en particulier site contaminé par l'ETBE en France (ETBE environ 200 mg.L-1). Ceci pourra encore être amplifié par le fait que les enrichissements sont efficaces sur d'autres co-contaminants possibles (BTEXs, n-alcanes) qui pourront être dégradés prioritairement entrainant une baisse de l'oxygène disponible. Par ailleurs, la production de TBA observée dans

plusieurs cas de dégradation du MTBE ou de l'ETBE pose le problème de son accumulation dans les aquifères. Enfin, le diagnostic d'un site afin de déterminer si les micro-organismes avec des capacités de dégradation sont présents ou non ne peut, en l'état qu'être partiel car seulement une partie des gènes impliqués dans les voies de biodégradation sont identifiés.