Conclusions générales et perspectives
« La science est un train que le mécanicien ne peut arrêter» Frédéric Dard
CONCLUSIONS GENERALES
Une nouvelle source d’inquiétude sanitaire est née suite à l’identification et la quantification d’un nombre impressionnant de polluants dits « émergents ». Ces derniers ont été identifiés dans les eaux continentales à l’échelle de la planète (plastifiants, médicaments, sous‐produits de chloration, polluants organiques persistants...). La plupart de ces contaminants, tels que les parabènes, le triclosan et le triclocarban, ne sont pas soumis à des dispositifs législatifs et règlementaires alors que leur pouvoir de perturbateurs endocriniens est avéré.
Les principaux objectifs de ces travaux de thèse étaient, d’une part, de développer et valider l’analyse des parabènes, triclosan et triclocarban dans les matrices environnementales, d’autre part, de créer une base de données presque inexistante sur l’occurrence de ces contaminant dans les eaux usées de deux pays de niveau de développement différent : la France et le Liban.
Ainsi, ce travail de thèse a permis de valider une méthode d’analyse des parabènes, du triclosan et du triclocarban dans des matrices environnementales complexes : eaux urbaines résiduaires traitées ou non. La méthode, appliquant la quantification par étalonnage interne, a été développée aussi bien sur la phase dissoute que sur la phase particulaire. Pour la phase dissoute, des protocoles d’extractions sur SPE ont été développés puis validés au moyen de tests sur matrice dopée via le calcul du rendement d’extraction et du rendement global de la méthode. Quant à la phase particulaire, la validation de la méthode appliquée (extraction par micro‐onde) a conduit à analyser des matières en suspension en triplicat en provenance d’une même source d’eaux usées extraites par deux cycles successifs en vue d’une meilleure extraction.
Les méthodes analytiques développées ont été utilisées pour déterminer l’imprégnation par ces contaminants (parabènes, triclosan et triclocarban) des eaux usées en provenance d’émissaires de réseaux d’assainissement unitaires et des eaux prélevées à l’échelle des ouvrages de stations d’épuration aussi bien en France (émissaires de l’agglomération parisienne et STEP Seine Amont et Seine Center) qu’au Liban (émissaires Antélias et El Ghadir, STEP El Ghadir). En effet, le suivi de la contamination des émissaires pour les deux agglomérations étudiées, Paris et Beyrouth, a permis d’acquérir des connaissances du point de vue analytique et contamination des eaux résiduaires urbaines dans les deux pays. Ainsi sur les aspects analytiques, une très grande stabilité des parabènes, triclosan et triclocarban, une fois fixés sur cartouche Oasis® HLB, après extraction d’échantillons d’eaux usées préalablement acidifiés, a été mise en évidence. Le test de conservation, mené sur une période de 4 mois, a montré la possibilité de conduire des analyses des parabènes, triclosan et triclocarban dans des pays ne possédant pas la chaîne analytique complète (absence d’un appareil de type UPLC/MSMS, par exemple), ce qui ouvre des perspectives intéressantes pour des pays émergents. De plus, l’utilisation potentielle de flaconnage en plastique lors du prélèvement a été justifiée. Cette utilisation ne conduit à aucun biais dans le suivi des parabènes, du triclosan et du triclocarban. Aussi, des organismes, pourront suivre ces contaminants qu’ils soient déjà équipés de préleveurs automatiques à flaconnage en plastique ou en verre sans risquer une altération de la qualité des mesures.
Concernant les niveaux de contamination rencontrés, en rapportant les concentrations observées dans les deux pays au nombre de références disponibles sur les marchés intérieurs, il a été mis en évidence que les deux pays présentent les mêmes tendances : à savoir que la concentration dans les eaux résiduaires urbaines augmente avec la disponibilité sur le marché. Nos résultats montrent que par temps sec, les eaux usées résiduaires transitant dans les émissaires parisiens sont significativement plus contaminées par les parabènes que celles transitant dans le réseau d’assainissement de Beyrouth. De plus, les méthylparabène, éthylparabène et propylparabène présentent les concentrations les plus élevées alors que le benzylparabène n’a jamais été observé dans aucun échantillon. Pour le triclosan, il
Conclusions générales et perspectives
apparait que les niveaux moyens au Liban sont légèrement supérieurs à ceux observés à Paris d’environ 30 %. Les concentrations en triclocarban sont, quant à elles, très nettement supérieures à Beyrouth, la concentration médiane à Beyrouth est de 1700 ng/L contre seulement 115 ng/L à Paris. Les parabènes sont présents en phase dissoute à plus de 99 %. Les log(Kd) estimés pour ces composés sont compris
entre 0,8 et 2 (en valeur médiane) pour la France et 1,3 et 2,3 pour le Liban. Les MES ne sont donc pas le principal vecteur de ces composés dans les émissaires. Le triclosan est lui majoritairement présent en phase particulaire, il offre des log(Kd) plus élevés que ceux des parabènes, voisins de 4 pour les deux
pays. Le triclocarban est plus singulier. Dans les émissaires de l’agglomération parisienne, son log(Kd) est
plus faible que celui du triclosan (3,4 contre 4) alors que c’est une situation inverse qui est observée Beyrouth : 4,6 pour le triclocarban et 4,1 pour le triclosan, conséquence directe de la plus forte contribution de la phase particulaire à la charge totale en triclocarban au Liban. Sur la base des concentrations mesurées, pour la première fois en France, des flux annuels par équivalent habitant ont pu être déterminés pour l’ensemble des composés ; ils sont de 1158 mg/EH/an pour MeP, 276 mg/EH/an pour EtP, 253 mg/EH/an pour PrP, 12 mg/EH/an pour IsoBuP, de 66 mg/EH/an pour BuP, 268 mg/EH/an pour TCS et 9 mg/EH/an pour TCC. Ces estimations n’ont pas pu être réalisées pour le Liban car les mesures de débits n’étaient pas possibles sur les sites suivis.
A l’image des concentrations identifiées sur Seine Centre dans les eaux usées prétraitées, les concentrations en parabènes sur Seine Amont se situent dans la fourchette haute de la littérature. Quant au TCS et TCC, ils se situent dans la fourchette des concentrations rencontrées dans notre synthèse bibliographique. La première information qui ressort du suivi des parabènes dans les eaux usées en entrée de STEP est que les deux stations présentent les mêmes distributions avec une majorité de MeP (55 à 60%). De plus, les parabènes se retrouvent majoritairement dans la phase dissoute avec une proportion > 95 %. Les niveaux de concentration des parabènes sont homogènes dans les eaux usées sur les deux stations d’épuration Seine Centre et Seine Amont en France. Les teneurs moyennes en TCS et TCC sur les deux stations sont relativement proches, de l’ordre de 8 à 10 mg/kg.ms pour le TCS et de 0,1 à 0,15 mg/kg.ms pour le TCC. Ces résultats sont cohérents avec ceux des émissaires. Néanmoins, contrairement au TCC, les teneurs en TCS sur la station Seine Amont ont tendance à être supérieures à celles sur Seine Centre. En termes de flux par équivalent‐habitant (EH) dans les eaux brutes, ils s’élèvent à 3155, à 1026 et à 20 µg/j/EH sur la station d’épuration Seine Centre pour les parabènes, le TCS et le TCC respectivement. Sur la file 2‐6 de Seine Amont, ces flux sont respectivement de 2309 µg/j/EH, de 885 et de 28 µg/j/EH respectivement. Ces flux se trouvent dans la fourchette basse des valeurs calculées sur les émissaires concernant les parabènes et dans le même ordre de grandeur pour le TCS et le TCC. De plus, une relative homogénéité est observée entre les valeurs calculées sur la Seine Amont et l’émissaire qui l’alimente.
L’abattement sur la station Seine Centre a été évalué à l’échelle de la station et à celui des ouvrages des traitements primaires et secondaires. Ainsi, la décantation physico‐chimique lamellaire favorise nettement l’abattement des pollutions particulaires (abattement de 84 % en moyenne pour les MES et le TCS en phase particulaire) et organiques (entre 62 et 73 %). Cependant, elle n’est pas adaptée à la pollution dissoute. En effet, les concentrations des parabènes dans les eaux décantées sont significativement supérieures à celles mesurées dans les eaux brutes. De fait, des abattements faibles, voire négatifs ont été obtenus pour l’ammonium et le carbone organique dissous, ainsi que pour la fraction dissoute des parabènes. Une mauvaise homogénéité des différents effluents arrivant dans la bâche de répartition en amont du décanteur pourrait conduire à de plus faibles concentrations en phase dissoute dans les eaux brutes et des concentrations plus fortes dans les eaux décantées, après équilibration. Concernant le traitement biologique, des abattements importants des paramètres classiques des pollutions particulaire, organique et dissoute ont été observés pour la biofiltration (75‐94 %). Pour la première fois, cette étude montre l’efficacité de la biofiltration pour le traitement des parabènes, du TCS et du TCC. Ainsi, des abattements moyens entre 90,6 et 99,6 % pour les parabènes (fraction dissoute) et de 96 et 81 % pour le TCS et le TCC respectivement (phase particulaire) ont été obtenus. L’efficacité globale de Seine Centre, appliquant la décantation physico‐chimique lamellaire couplée à la biofiltration, est très bonne vis‐à‐vis des parabènes (l’abattement global est > 99,3%) et très satisfaisante tant pour le TCS (96,3 (± 0,7) %) que pour le TCC (98,7 (± 0,2) %).
Conclusions générales et perspectives
A l’image de l’élimination des parabènes par la décantation physico‐chimique lamellaire sur Seine Centre, l’abattement des parabènes lors du traitement primaire par décantation classique sur Seine Amont est inexistant avec une tendance plus marquée que sur Seine Centre. Pour sa part, la décantation classique permet des abattements modérés de la pollution particulaire (de l’ordre de 73 % pour les MES). Ainsi, la contamination par le TCS et le TCC dans les eaux décantées est réduite de façon significative avec l’élimination des MES. L’abattement des parabènes par les boues activées est compris entre 87 et 99,5 % (phase dissoute) et ceux du TCS et TCC sont de l’ordre de 99 % et de 86 %. Il est à noter que ces valeurs sont comparables à celles calculées sur Seine Centre. Tout comme pour Seine Centre, l’efficacité globale de la station d’épuration Seine Amont vis‐à‐vis des parabènes est très bonne (abattement > 85 %) et s’élève à 99,8 % et à 97,4 % (phase particulaire) pour le TCS et le TCC, respectivement. Ces taux d’élimination sont comparables à ceux de Seine Centre et sont comparables à ceux déterminés dans d’autres pays européens (González‐Mariño et al. 2009; Jonkers et al. 2009, Regueiro et al. 2009; Eriksson
et al. 2009).
Ces travaux ont été menés en coopération avec le SIAAP, gérant des stations de Seine Centre et de Seine Amont, en France. Ils fournissent les premières informations, tant en France qu’au Liban, sur l’occurrence des parabènes, triclosan et triclocarban dans les eaux usées. Ces informations pourront servir de référence.
PERSPECTIVES
Comme perspectives à notre travail, nous proposons plusieurs démarches :
1. En premier lieu, il conviendrait de poursuivre les développements analytiques. En effet, il est important d’améliorer la spécificité et la sensibilité des méthodes désormais disponibles pour abaisser les LOQ ; cela pourrait être réalisé en améliorant l’étape de purification et en l’appliquant non seulement à la fraction particulaire mais aussi à la fraction dissoute. De plus, il serait intéressant de participer à des essais inter‐laboratoires notamment pour l’analyse sur la fraction particulaire vu l’inexistence d’une matrice certifiée plus que jamais nécessaire, notamment dans un contexte réglementaire.
2. L’étude sur les stations d’épuration a mis en évidence des forts abattements. Toutefois, il s’avère nécessaire de compléter ces travaux par une étude de la filière « boues » pour déterminer les processus qui conduisent aux abattements et statuer sur le niveau de transfert dans les boues de ces contaminants afin d’évaluer les risques lors de l’épandage sur des parcelles agricoles. 3. Des améliorations devraient être apportées sur la méthodologie d’échantillonnage au Liban. En effet les prélèvements ponctuels au niveau des émissaires et de la STEP étudiée apportent une information incomplète sur les niveaux d’imprégnation par ces composés et sur leur abattement. 4. Regarder plus finement la distribution des parabènes, triclosan et triclocarban dans les particules transitant en station d’épuration au niveau de chaque ouvrage de traitement pourrait peut‐être fournir des pistes d’explication aux comportements qui ont été observés lors de ces travaux. 5. Enfin, il s’avère nécessaire de mener une étude similaire par temps de pluie du fait de la nature
des réseaux d’assainissement suivis : unitaires dans les deux pays. Cela permettrait de déterminer le niveau de contamination des eaux pluviales et estimer le transfert potentiel de parabènes, triclosan et triclocarban vers le milieu récepteur lors du déversement d’eaux pluviales non traitées. En fonction des résultats, s’intéresser au niveau d’imprégnation du milieu récepteur pourrait devenir nécessaire.