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Chapitre 7. Efficience des composts de biodéchets ménagers sur les rendements des cultures

8. Conclusions générales et perspectives

En milieu tropical humide, l’évolution naturelle des sols aboutit le plus souvent à des sols altérés (sols ferrallitiques), acides et déficients en nutriments. Généralement, dans cet écosystème caractérisé par de fortes précipitations et des températures élevées, des processus pédogénétiques favorables à l’altération des minéraux, les mauvaises pratiques agricoles conduisent à l’acidification des sols qui résulte soit de l’intensification agricole, soit des pertes des nutriments (cations basiques) par lixiviation, et/ou des exportations des éléments par des cultures non compensées par les restitutions. Dans certains milieux, la pression démographique conduit à la mise en culture de terres fragiles et/ou marginales (flancs de montagnes). La mise en jachère (longue durée) et la culture sur brûlis (perte de matières organiques) pratiquées traditionnellement sont devenues problématiques dans le cas d’une intensification de l’agriculture. Ceci conduit à une baisse de la fertilité des sols et par là, à une diminution de la productivité agricole.

Dans le contexte de la ville de Kinshasa, il nous est apparu opportun de mettre un accent sur la valorisation de la matière organique des déchets solides ménagers par leur recyclage en agriculture sous forme de compost. La production des déchets ménagers de cette ville est estimée à 3,5.103 tonnes /jour (Nzuzi, 2008). Le compost peut constituer une ressource disponible localement et bon marché. Le recyclage a le double avantage d’une part d’assainir le milieu citadin, d’accroître les conditions d’hygiène et de réduire les dommages pour l’environnement, et d’autre part, il constitue un amendement pour fertiliser les sols permettant d’accroître la production agricole.

L’objectif général de ce travail était d’étudier l’incidence des apports de matières organiques sous forme de composts de biodéchets ménagers sur les dynamiques des paramètres chimiques et biologiques des sols sablonneux acides de la Province de Kinshasa en République Démocratique du Congo, ainsi que leurs impacts sur la productivité agricole. Les différents résultats obtenus conduisent à formuler les conclusions qui suivent.

L’étude a montré l’importance des amendements organiques disponibles, en l’occurrence le compost des déchets des ordures ménagères dans l’amélioration de la fertilisation des sols acides tropicaux de la région de Kinshasa. La mise en place d’un pilote de compostage à petite échelle et la caractérisation du produit a révélé que le compostage est un mode simple de traitement des déchets ménagers qui permet une valorisation agricole de ces matières organiques et une limitation des impacts environnementaux défavorables. Le compost obtenu possède les caractéristiques requises pour servir d’amendement des sols tropicaux pauvres et acides. Une étude préliminaire concernant les propriétés et contraintes potentielles à la productivité des sols de la Province de Kinshasa a indiqué que ces derniers sont essentiellement sableux, présentent une réaction acide (pH < 5,5) avec une toxicité aluminique. De plus, ils sont pauvres en matière organique (très faibles teneurs en carbone <

2 % et azote < 0,1 %) et en nutriments minéraux et possèdent une faible capacité de stockage en eau et en éléments nutritifs. La faible fertilité chimique, biologique (faible activité) et le faible potentiel de rétention d’eau se sont avérés comme les principales limitations du potentiel agronomique de ces sols. Les sols des trois sites de l’étude, Kimwenza, Mont Amba et Balume, ont été classifiés comme rubiques arenoferralsols (dystriques), indiquant l’uniformité des conditions de formation des sols de la Province de Kinshasa. Toutefois les valeurs des paramètres liés à la matière organique (COT & Ntot), au complexe adsorbant, au phosphore assimilable et les paramètres microbiologiques étudies (Cmin, Nmin, RB, RIS, Cfm, APA, Ut&nt) sont plus élevés à Balume que dans les deux autres sites Kimwenza, et Mont Amba.

Sur les trois sites, au terme de quatre saisons culturales successives, les apports continus des composts de biodéchets ménagers ont induit une augmentation du pH de 0,8 à 1,2 unité et une diminution considérable de l’aluminium échangeable proportionnelles aux doses appliquées. L’effet des matières organiques sur le pH apparaît comme la principale variable pouvant expliquer la diminution du taux d’aluminium échangeable dans les différents sites. Cela est dû à des teneurs élevées en cations basiques, essentiellement le Ca+2 et le Mg+2, la valeur élevée de CEC et à l’effet tampon des matières organiques des composts. De plus, une forte corrélation positive a été observée entre le pH et la CEC du sol, indiquant l’intérêt que présente l’accroissement du pH dans la gestion des sols sablonneux.

Les composts de biodéchets ménagers ont augmenté la biodisponibilité des éléments majeurs N et P ainsi que la somme des cations basiques échangeables sur les trois sites, et ce proportionnellement aux quantités apportées. Outre, le contenu en phosphore des amendements organiques qui favorisent l’augmentation du phosphore total et sa biodisponibilité, on ne peut pas exclure l’effet également positif des micro-organismes mis en évidence par une activité biologique plus intense. A la fin de l’expérimentation le sol (sable limoneux) de Balume s’est enrichi davantage en matières organiques avec les doses de 40 et 60 t.ha-1 MB de CBM. L’apport de la fumure minérale NPK au cours des quatre saisons culturales successives a eu comme résultats la diminution du pH donc l’acidification de sol, la perte de carbone organique, et l’augmentation de l’aluminium échangeable dans les trois sites. En absence de tout apport d’amendement ou d’engrais, les sols sont susceptibles de devenir fortements acides et les pertes en éléments minéraux deviennent encore plus importantes après quatre saisons culturales.

L’évaluation de l’apport de matières organiques des composts de biodéchets ménagers sur la dynamique des indicateurs biochimiques de la fertilité des sols révèle que les matières organiques contribuent significativement à l’amélioration de la biomasse microbienne et de leur activité métabolique dans le sol. En effet, suite aux apports de compost, tous les paramètres biochimiques de la fertilité (carbone & azote microbiens, respiration basale et induite, carbone facilement métabolisable, activités enzymatiques du monophosphoestérase

acide et des uréases non tamponnée et tamponnée) ont augmenté en fonction des doses appliquées. Par contre, dans les sols non amendés, ces paramètres tendent à baisser. Dans les parcelles amendées en compost, la biodisponibilité des nutriments aurait joué un rôle crucial dans le développement de la biomasse microbienne, l’augmentation des intensités respiratoires et la production d’activités enzymatiques. De plus, l’apport des micro- organismes exogènes des sols par les composts et les sécrétions racinaires dans la rhizosphère auraient aussi contribué à l’influence globale des différentes fumures apportées.

L’évaluation des rendements (biomasse & graines) des cultures tests utilisées a montré des valeurs supérieures dans les parcelles fertilisées au compost. Dans tous les cas, l’augmentation des productions agricoles est proportionnelle à la dose des fertilisants apportés. Par contre, dans les parcelles non amendées par le compost les rendements ont baissé au cours du temps. Si la dose de 60 t.ha-1 MB donne régulièrement les rendements les plus élevés, la dose T1 de 20 t.ha-1 MB (soit 12 t.ha-1 MS) s’avère la plus efficiente du point de vue agronomique sur base des rendements des cultures obtenus par rapport à la quantité des fumures apportées. Les matières organiques des biodéchets ont joué un rôle primordial sur la réduction de l’acidité et sur la mise à disposition d’éléments nutritifs majeurs, ce qui a induit l’augmentation de la production végétale. Le rôle positif de matières organiques sur les propriétés physiques (aération, humidité, etc.) et sur les propriétés microbiologiques (minéralisation des bioéléments aux plantes, etc.) n’est pas négligeable dans le processus de disponibilité des nutriments. On observe également des fortes corrélations positives avec le carbone organique total, l’azote, le phosphore, le pH et les paramètres microbiologiques avec les rendements dans les parcelles traitées au compost.

Les engrais minéraux (NPK, 12-08-18) se sont montrés plus efficients par rapport aux quantités d’éléments fertilisants (N, P, K) apportés que les traitements aux composts de biodéchets ménagers. Entre amendements, ce sont les traitements aux faibles doses (T1 & T4) qui sont les plus efficients. Le phosphore s’est avéré être l’élément le plus limitant de la production agricole des sols dans tous les sites et pour les différents amendements. L’azote vient ensuite, ce qui n’a rien d’étonnant compte tenu que les cultures pratiquées étaient majoritairement des légumineuses.

Cette étude démontre enfin que la valeur agronomique des matières organiques étudiées (composts de biodéchets) consiste non seulement dans leur aptitude à fournir des éléments nutritifs aux plantes, mais également dans leur capacité à améliorer les propriétés du sol propices à la croissance des plantes et des micro-organismes du sol. Ainsi, des apports fréquents des engrais organiques sont donc nécessaires pour améliorer de façon durable les propriétés du sol. Une politique raisonnée de gestion est d’apporter au sol des faibles doses de matières organiques (5-10 t.ha-1 MS) avec un supplément d’engrais minéraux (azotés, phosphatés, …) à identifier pour une application régulière et à long terme qui tient compte de

la disponibilité en compost et des ressources financières nécessaires pour acquérir des intrants complémentaires.

Perspectives

Bien que l’application de matières organiques permette d’améliorer sensiblement la qualité des sols, certaines études méritent encore d’être menées afin d’approfondir l’influence de ces amendements sur les sols sablonneux acides, et de dégager les possibilités d’une utilisation plus efficiente et plus rentable.

Par exemple, il resterait à quantifier la part des micro-organismes exogènes apportés par les matières organiques des composts et la part endogènes provenant du sol. Il serait aussi utile d’étudier d’autres paramètres de l’activité biologique des sols comme par exemple les populations d’arthropodes et de vers de terre.

Il conviendrait surtout d’examiner la manière d’optimiser le couplage des fertilisations organiques (ressources limitées en qualité) et des fertilisations minérales (onéreuses) dans la perspective d’une agriculture intensive et d’assurer le renforcement de la fertilisation organo- minérale en privilégiant la valorisation des matériaux naturels locaux disponibles. Ces ressources locales concernent entre autres les engrais verts, les déchets des fermes, des animaux d’élevage ou des industries agroalimentaires, les composts de biodéchets et les matériels géologiques disponibles dans la région de Bas-Congo.

Il serait aussi utile d’évaluer les effets et arrières effets de l’applications des amendements organiques et minéraux à long terme sur des sols sablonneux acides de la Province de Kinshasa en fonction des résultats, de proposer de nouveaux systèmes de culture mieux adapter (taux de présence de légumuneuses, alternance plantes sarclables et autres, espèce et variétés adaptées) au contexte sol-climat et à la demande alimentaire locale.

Il importe aussi d’étudier l’influence des différentes fertilisations sur la qualité nutritive des récoltes.

Enfin, comme alternative dans la gestion des déchets solides ménagers de la ville de Kinshasa et contre la mise en décharge ou les pratiques actuelles (abandon à l’air libre, rejet dans les cours d’eaux, enfouissement dans les parcelles, incinération), il faut favoriser le recyclage à grande échelle de ces matières organiques pour une valorisation en fertilisation des sols dégradés. Ceci devrait faire également l’objet d’une étude approfondie qui pourrait permettre d’établir un bilan entre les besoins actuels des sols en matière organique tenant compte des cultures pratiquées et les potentialités de production de celle-ci par diverses sources. Au niveau des petites exploitations comme dans les périmètres de maraîchage urbain de Kinshasa, il serait important de développer une approche plus intégrée impliquant la collecte et la valorisation efficace des déchets ménagers par la production des composts tout en tenant à la préservation de l’équilibre environnemental. Dès lors que l’utilisation des composts de biodéchets ménagers (ou toute

autre source de MO) peut en partie constituer une alternative ou un complément à la fertilisation minérale de sols acides sablonneux dans la région de Kinshasa, il faudrait tout de même évaluer son impact sur la qualité générale des sols. Si un contrôle sérieux de la matière première (tri, séparation) n’est pas mis en pratique, les composts de biodéchets peuvent contenir des substances polluantes (métaux lourds) ou toxiques.

Cependant, on estime que la ville de Kinshasa avec une population de plus 7 millions d’habitants produit 3,5.103 t/j déchets solides ménagers (Nzuzi, 2008) dont 50 % de matières organiques compostables (CRB, 1999). Cette quantité de déchets solides ménagers devrait permettre de produire par an plus de 200.000 tonnes de composts en cas de mise en place d’un système de collecte efficace. Sur base de l’application de 10 tonnes par ha, la quantité totale produite annuellement permettrait d’amender une surface totale de 21.000 ha (figure 3 en annexe 7). La dose des composts à apporter sera fonction de la superficie des terres cultivables et elle sera complétée par des quantités d’autant plus faibles d’engrais minéraux à déterminer selon le système pratiqué (succession des cultures, traitements des sous-produits non récoltés, …) et selon le niveau d’intensification souhaité.