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Chapitre 3 - Eco-éthologie et Variabilité des léporidés actuels

III. Conclusions

Nous avons vu que la taille corporelle des lapins est influencée par leur position géographique et suivrait la loi de Bergmann. Cela semble également être le cas pour les différentes espèces de lièvres, bien que cette question nécessite un travail complémentaire à l’avenir. Il est intéressant de noter que ces différences de taille n’influent pas sur les variations de forme, tant dans la morphologie dentaire (i.e., p3 ; Oryctolagus et Lepus) que sur le calcanéus (i.e., Oryctolagus). En revanche, il semblerait que les variations morphologiques de la p3 et du calcanéus ne dépendent pas strictement des mêmes facteurs. Les variations observées dans cette étude concordent avec les observations de Suchentrunk et al. (2000) qui signalaient déjà les effets vraisemblables d’adaptations morphologiques aux conditions environnementales ou de flux génétiques.

1. Les lapins actuels

Les similitudes morphométriques entre les lapins du Sud-Ouest de la péninsule Ibérique (Santarem et Las Lomas) ne sont pas surprenantes étant données leur proximité géographique ainsi que leur parenté génétique (lignée A, Biju-Duval et al., 1991 ; Monnerot et al., 1994). Ces résultats confirment les observations morphologiques et biométriques d’études précédentes (e.g., Callou, 2003 ; Ferreira et

al., 2015). Ce constat semble être le même concernant

les populations de Navarre et de la Tour du Valat, de lignée mitochondriale B et vivants à des latitudes similaires. Ces résultats peuvent alors être mis en parallèle de la discussion concernant la distinction des sous-espèces de lapins en Europe occidentale (cf. Figure 16). Alternativement à ces signaux géographiques et génétiques, il pourrait également s’agir d’une convergence dans des environnements écologiques et climatiques analogues.

La température et les précipitations opposent principalement les régions méditerranéennes chaudes et sèches aux régions aux influences continentales plus froides et humides. Le régime climatique détermine les ressources disponibles et pourrait ainsi constituer une pression sélective indirecte sur la forme des différents éléments dentaires et squelettiques. Par exemple, les populations de la Tour du Valat et de Navarre évoluent toutes les deux sous la ceinture mésoméditerranéenne mais respectivement avec une végétation halophytique et « garriguéennes ». Les ressources exploitées par les lapins pourraient alors significativement varier selon les régions. En outre, les populations des Six Chemins et de la Tour du Valat occupent des zones agricoles (viticole et/ou céréalière), de milieux ouverts et de basses altitudes. Les populations de Santarem, de Las Lomas et de Navarre vivent au contraire dans des territoires enclavés entre des régions montagneuses. Ces effets climatiques et écologiques sont en revanche difficiles à quantifier, bien qu’ils puissent avoir un impact indirect sur nos résultats.

Figure 39 : Analyse en composantes principales obtenue à partir du modèle linéaire sur la p3 de lièvre. ITA : Italie ;

La population de Zembra semble en revanche bien distincte des autres. Cela pourrait provenir du caractère insulaire de la population et de son isolement géographique relativement long (Vigne, 1988) par rapport aux populations continentales. Les événements stochastiques sont réputés importants sur les îles, avec des effets fondateurs et des dérives génétiques au sein de populations aux effectifs réduits. De tels facteurs auraient pu favoriser une divergence importante dans la morphologie, en lien avec la situation topo-géographique de l’île ou encore avec les contraintes environnementales locales. Au contraire, la population de Riou ne semble pas s’isoler complètement des populations continentales du Sud de la France et de Navarre (toutes de lignée B). Outre les aspects phylogénétiques et géographiques, cette proximité morphologique peut s’expliquer par le fait que cette population ait été introduite très récemment, il y a près de 60 ans. Elle n’aurait pas eu le temps de véritablement se démarquer morphologiquement, à l’inverse des lapins de l’île de Zembra.

Chez les populations actuelles analysées, les similitudes dans la morphologie de la p3 et du calcanéus semblent tout de même se regrouper en fonction de la position géographique et/ou du profil génétique. Ce dernier point semble impliquer des caractéristiques morphologiques plus discrètes, suggérant que de tels changements peuvent simplement s’accumuler à un rythme lent (e.g., population de Riou versus population de Zembra). Pour confirmer cela, il semble qu’une étude génétique spécifique soit nécessaire afin de vérifier la valeur de l’impact de l’histoire phylogéographique dans la forme des dents ou du squelette, comme cela a été démontré chez la souris (Ledevin et al., 2016).

La variance résiduelle élevée de nos modèles indique donc que des facteurs, autres que la géographie, le climat ou encore la phylogénie, ont contribué à la divergence de la forme de la p3 et du calcanéus au cours du temps (e.g., taux de prédation, compétition intra et inter-spécifique, alimentation, topographie, anthropisation, effet fondateur…). Cela suggérerait en outre plusieurs types d’adaptations locales n’ayant aucune valeur spécifique. Néanmoins, le fait que les populations se discriminent selon leurs caractéristiques génétiques (et géographiques) se présente comme une observation fort intéressante dans l’application au registre fossile, au suivi et à l’évolution des populations au cours du Pléistocène.

2. Les lièvres actuels

Les études morphométriques menées sur les lapins d’une part et sur les lièvres d’autre part n’ont pu être réalisées à la même résolution, notamment parce qu’ils se composent d’une versus six espèces, mais également parce qu’ils possèdent des caractéristiques éco-éthologiques foncièrement différentes. Les différentes espèces de lièvres se démarquent relativement bien les unes des autres, de par leur position géographique, leur taille corporelle ou encore leur morphologie dentaire. Les résultats couplés de ces trois paramètres permettent alors d’identifier correctement les taxons.

Les distinctions nettes dans la morphologie de L. capensis, L. castroviejoi et L. timidus ne paraissent pas étonnantes sachant leur éloignement ou leur isolement géographique (respectivement Afrique du Nord, Cordillère Cantabrique et hautes altitudes/latitudes). En revanche, les différences morphologiques ne sont pas si strictes concernant

L. europaeus et L. granatensis. Nos résultats

confirment les observations morphologiques d’études précédentes (e.g., Palacios et López-Martínez, 1980 ; Donard, 1982 ; Palacios, 1996) et permettent de mettre en lumière des différences biométriques marquées dans la taille corporelle entre chaque espèce.

À l’instar de ce qui a été observé chez le lapin, la morphologie des lièvres est impactée par différents paramètres géographiques, écologiques ou climatiques. En effet comme nous l’avons vu précédemment, les différentes espèces de lièvres occupent des biotopes bien particuliers et qui ne se chevauchent pas, cela étant dû à la forte compétition interspécifique. Bien que d’autres paramètres locaux non quantifiés dans notre étude aient pu affecter les variations morphologiques de la p3, il semblerait néanmoins que le signal génétique soit le principal facteur des distinctions entre les espèces. Cette observation présente un potentiel tout à fait intéressant dans le cadre d’une application au registre fossile. Cela permettra en effet une bonne identification des taxons présents au Pléistocène en Europe occidentale dans le but de mieux appréhender l’histoire biogéographique du genre en lien avec les variations des milieux.