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Conclusion

Dans le document Temps, soi et schizophrénie (Page 129-134)

C. Temps, sciences cognitives et schizophrénie

6. Conclusion

En résumé, à l’issue de notre revue de la littérature sur les troubles de la temporalité schizophrénique, il apparait que la sémiologie médicale des troubles schizophréniques ne permet pas de trouver de justification à l’étude de la question du temps dans les troubles schizophréniques.

En revanche, en dépassant le plan de la description purement comportementale pour décrire le vécu subjectif de nos patients, la phénoménologie psychiatrique postule que les troubles de l’expérience du soi minimal, caractéristiques des troubles schizophréniques, constituent l’expression directe d’une altération des processus de temporalisation de l’expérience. Dans cette conception, très inspirée des travaux de Husserl sur la temporalité normale, le temps est considéré comme un processus qui constitue, de façon automatique, l’expérience subjective, lui donnant sa forme et sa stabilité. Ainsi, le temps apparait moins comme un contenu de la conscience (il serait par exemple impropre de parler de « perception du temps ») que comme un contenant de la conscience (la temporalité de la conscience intentionnelle). Par conséquent, si ce temps vacille, c’est en même temps tout l’expérience subjective qui s’effondre, comme dans le cas des troubles schizophréniques. Si ce modèle apparait séduisant, il n’en demeure pas moins qu’il se heurte à un certain nombre de limites, au premier rang desquelles la difficulté à pouvoir réaliser une authentique phénoménologie du temps schizophrénique d’un côté, et les limites du processus introspectif propre à la phénoménologie pour décrire les soubassements de son propre fonctionnement (ce qui reviendrait à se nier soi-même). Dépasser ces limites implique l’utilisation d’approches complémentaires, comme les sciences cognitives.

128 Si les sciences cognitives nous font changer de plan descriptif pour retourner à une approche positiviste, la revue des travaux sur le temps enseigne que le jugement de durée n’est que peu « praticable »pour étudier le temps schizophrénique. En revanche, les travaux sur la simultanéité indiquent de façon convaincante une augmentation des fenêtres temporelles dans la schizophrénie. L’interprétation de l’augmentation de ces fenêtres reste encore débattue. Les travaux sur l’effet Simon indiquent en effet la persistance de cet effet pour des stimuli situés en deçà du seuil de perception de la simultanéité, ce qui invite à considérer qu’une augmentation des fenêtres ne signe pas une fusion des évènements à l’intérieur de la fenêtre. Cette dissociation entre fenêtre subjective et processus implicites demandait à être confirmée, et les paradigmes tournés vers l’étude des contraintes temporelles de l’intégration mutlisensorielle semblent adaptés pour évaluer ce problème et répondre à cette question.

Par ailleurs, les travaux sur l’effet Simon semblent indiquer un traitement différent des stimuli sur des intervalles de temps courts (une dizaine de millisecondes) marqué par un défaut d’anticipation élémentaires chez les patients. Là encore, la validation de cette interprétation pourrait passer par l’utilisation de paradigmes qui étudient directement l’anticipation élémentaire. C’est ici que se situe la tâche d’orientation temporelle, dont nous avons vu que son utilisation dans la schizophrénie aboutissait à des résultats contradictoires, n’utilisait que des délais très longs, et n’avait pas pris en compte différents facteurs impliqués dans la modulation du temps de réaction en fonction de l’intervalle de préparation (et notamment les effets de l’incertitude liés à l’utilisation d’essais surprises ainsi que l’impact d’indices attentionnels).

129 Enfin, l’hypothèse phénoménologique d’un lien consubstantiel entre temporalité et soi n’a jamais été testée. L’émergence de méthodes cliniques de mesure des troubles du soi de base semble intéressante à coupler aux investigations cognitive du temps, dans une optique neuro phénoménologique, en cherchant à corréler mesure clinique du soi et mesure expérimentale du temps.

C’est sur la base de ces éléments que nous avons choisi de réaliser trois études que nous allons maintenant présenter successivement, dans la seconde partie de ce travail:

- L’une touche à l’étude des contraintes temporelles de l’intégration multi sensorielle. Elle vise à répondre à la question qu’a soulevée l’effet Simon: est ce que l’augmentation des fenêtres de simultanéité signifie une fusion des évènements ?

- La deuxième repose sur l’utilisation de la tâche d’orientation temporelle, couplée à des mesures du soi minimal. Elle vise à répondre à la question suivante : est ce que les perturbations de l’anticipation temporelle postulées par les résultats de l’effet Simon se retrouvent dans des tâches évaluant directement l’anticipation temporelle ? Ces troubles, s’ils sont retrouvés dans ces tâches, sont-ils corrélés aux troubles du soi ?

- Enfin la troisième touche à l’étude de l’effet Simon mais explore la sensation de continuité à plus grande échelle, avec une tâche de jugement de simultanéité pour laquelle seront analysés non les résultats sur des essais isolées les uns des autres mais ceux relatifs à l’influence de chaque essai sur celui à venir, autrement dit l’influence de l’essai N-1 sur l’essai N. Des mesures du soi minimal y seront également réalisées. Cette étude vise à répondre à la question suivante : est ce que les altérations de l’effet Simon sont susceptibles de déterminer des altérations sur de plus grandes échelles de

130 temps que celles qui le caractérisent? Ces altérations sont elles corrélées aux troubles du soi minimal ?

Nous allons les présenter successivement et discuter, pour conclure ce travail, l’ensemble de ces résultats.

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DEUXIEME PARTIE: TROIS ETUDES

Nous présentons maintenant 3 études que nous avons réalisées.

Nous serons rapides dans leur justification, car ces dernières ont été soulignées dans la conclusion de notre revue de la littérature. De même, nous nous contenterons de rappels brefs en ce qui concerne les différents paradigmes utilisés, que nous avons également présentés. Enfin, toujours dans un souci de concision, nous soulignerons uniquement les principaux résultats de ces études, en renvoyant le lecteur aux publications de ces travaux présentées en annexe pour plus de détails. Nous consacrerons une partie distincte aux mesures du soi, réalisées dans deux des trois études pour nous centrer ainsi, dans un premier temps, sur les résultats des tâches temporelles. Chacune de ces études a fait l’objet d’une publication ou fait l’objet actuellement d’une soumission.

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A. 1ère étude. Fenêtres d’intégration temporelle et

fenêtres de simultanéité dans les troubles

schizophréniques

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