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Conclusion de la recension sur la réciprocité en éducation et en formation Il n’’existe que peu d’’écrits sur la réciprocité dans le champ éducatif, en particulier pour

le domaine professionnel ; les travaux en rapport avec la notion ne l’’abordent souvent que de biais, traitant de la nature du « lien social » en autoformation [Alava et al. 2000], des « réseaux d’’échanges » de savoirs et de formation [Héber-Suffrin, Pineau et al. 2000] ou encore des pratiques permettant « d’’apprendre des autres » [Mayen et al. 2002]. Ces travaux permettent par contre de souligner la résurgence de la problématique du rôle d’’autrui dans la formation de soi (section 2.3.1), ce que les toutes premières recherches en autoformation, notamment du côté nord-américain, avaient déjà mentionné (travaux de Tough ou encore de Danis et Tremblay). Plus récemment, les recherches de Pineau, de Moisan ou encore de Lerbet-Sereni ont abordé l’’étude de la relation à autrui sous un angle nouveau, permettant d’’établir les premiers liens entre les travaux pluridisciplinaires sur la réciprocité et ceux en autoformation.

Ainsi, Pineau propose pour sa part une première cartographie des rôles d’’autrui, tout en questionnant, à travers la coformation, les notions de reliance, d’’altérité et de socialité, les rapports d’’interdépendance autonomisants, d’’amour-don et d’’agapè [Pineau 2000c]. De la même manière, dans la lignée des travaux de philosophie morale, Lerbet-Sereni travaille les termes d’’éros, de philia et d’’agapè dans une modélisation de la relation interpersonnelle, productrice de l’’identité des sujets [Lerbet-Sereni 2000]. L’’auteure se réfère ici à Varela, pour expliquer l’’émergence de l’’autonomie à partir de la relation (du système) que forment les partenaires et reprend à Ricœœur la visée éthique que nécessite la posture de réciprocité ; les valeurs immanentes, soulignées en philosophie et en anthropologie, sont relevées par l’’auteure (souci de soi, confiance et responsabilité vis à vis d’’autrui, justice), comme les spécificités des relations réciproques, notées dans les travaux en économie (réversibilité et asymétrie, coopération et autonomie) [Lerbet-Sereni 1998b]. Moisan, dans une approche plus sociologique, relève les ambiguïtés du champ de la formation, entre individualisme et communautarisme (notions abordées dans les travaux à connotation politique), pour s’’intéresser aux collectifs formés (distinction entre socius et de societus) ; il souligne par ailleurs l’’inscription sociale de la construction individuelle et collective de l’’identité et se réfère à Lévi-Strauss, en anthropologie, pour remonter à l’’échange afin d’’expliquer le lien entre soi et autrui [Moisan 2000]. Finalement, Moisan souligne les proximités entre le rapport à l’’autre, en autoformation, et le pari risqué de la confiance et de l’’incomplétude que nécessite, selon lui, ce processus s’’apparentant au don / contre-don

[Moisan 2002]. Proches des travaux mentionnés en anthropologie et en économie, Moisan relève les caractéristiques des relations réciproques, dans ce type d’’échange, dont il donne un exemple à travers les groupes d’’analyse de pratiques : risque du don et de l’’incomplétude en attente d’’un retour incertain, pari réciproque de la confiance nécessaire à la coopération, délai nécessaire, mais indéterminé, de réciprocité.

Sur le plan théorique, les apports de la « réciprocité éducative », selon Labelle [1996], ont ensuite été examinés (section 2.3.2). Bien que là encore, il ne s’’agisse pas d’’un travail développé dans le domaine de la formation professionnelle, il s’’agit probablement, par contre, du travail le plus extensif réalisé en formation des adultes, du point de vue de l’’étayage disciplinaire (de la référence à Mauss, en particulier, aux pratiques enseignantes en éducation des adultes, au niveau historique). La filiation de Labelle avec la philosophie personnaliste de Nédoncelle lui confère toutefois un rattachement particulier avec d’’autres approches humanistes en éducation, dont celle de Knowles notamment, qui s’’observe tant dans l’’autonomie supposée de l’’adulte et de son développement toujours possible (postulat d’’éducabilité), que dans les valeurs sous-jacentes à l’’éthique de la relation ou dans les méthodes proposées par l’’auteur pour accompagner l’’autonomisation des apprenants (facilitation et contractualisation, par exemple). L’’apport principal de Labelle à la présente recherche se trouve dans le couple dialogique que forment, pour cet auteur, les notions d’’autonomie et de réciprocité, dans une perspective développementale et identitaire : pour Labelle, la réciprocité, qui est au cœœur des interactions humaines, est fondamentalement « éducatrice » et source d’’autonomisation pour l’’apprenant [Labelle 1996, 1998a]. Quelques pratiques de formation réciproque, enfin, ont été présentées (section 2.3.3). Les réseaux d’’échanges de savoirs, largement documentés, sont probablement l’’exemple le plus ancien du déploiement possible de la réciprocité pour l’’apprentissage des adultes, bien qu’’il soit limité, ici, à une formation dans le domaine communautaire et à une « matrice de réciprocité », selon la terminologie de Temple [2000], relativement simplifiée [Héber-Suffrin et Héber-Suffrin 1992]. En effet, l’’obligation de donner et de recevoir s’’y déroule dans un échange très formalisé, où chacun donne un savoir pour en obtenir un autre en retour, ce qui ne représente pas nécessairement la complexité des obligations de « réciprocité cachée » [Chabal 1996] ou de « réciprocité ternaire » [Temple 2000], nettement plus élaborées en milieu naturel, de façon générale, et dans le monde du travail en particulier. De la même manière, les échanges réciproques en « tandem », pour l’’apprentissage des langues [Appel et Mullen 2000,

Raymond 2001] ressortent d’’une forme simplifiée de réciprocité binaire qui peut paraître réductrice au regard de la complexité de l’’apprentissage en réseau et de la multiplicité des interactions que nécessitent aujourd’’hui, en contexte professionnel, les nouveaux dispositifs de formation.

Première des déclinaisons de la réciprocité en milieu professionnel, l’’exemple de dispositif de formation continue d’’enseignants de Jollivet-Blanchard et Blanchard [2002] est basé sur la coopération ; ces auteurs soulignent la nécessité, pour la pratique, de mettre en œœuvre les valeurs et principes de la réciprocité (confiance, prise de risque, altérité) tout en confortant la perspective émancipatrice de l’’autonomisation, dans une dimension de construction identitaire individuelle et collective à la fois (qui rapproche ici l’’autonomie d’’une interdépendance conscientisée et choisie, à travers l’’expérienciation collective de l’’apprentissage réflexif en groupe). Plus explicitement encore, le Dialogue de Bohm, présenté par M. E. Marchand [2000], est une technique d’’apprentissage réflexif en groupe qui met en œœuvre la réciprocité dans sa dimension dialogique. Son faible degré de formalisation, par contre, lui confère moins d’’intérêt, par rapport à la présente recherche, que d’’autres formes d’’apprentissage collectif et réflexif.

Ainsi, et bien qu’’ils ne se réfèrent pas nommément à mise en œœuvre de la réciprocité, le codéveloppement professionnel [Payette et Champagne 2000] et les communautés de pratique [Wenger 1998, Chanal 2000] semblent des dispositifs particulièrement pertinents, au regard de ces formes d’’apprentissage réflexif et collectif à la fois et des opportunités offertes par les dispositifs de formation en réseaux. Le groupe de codéveloppement souligne la place prépondérante des interactions pour penser l’’action, la nécessité d’’une formalisation minimale dans les étapes du déroulement des échanges et dans l’’alternance des rôles, la nécessaire durée de ce type d’’action pour la construction de l’’identité personnelle, tout en concernant plusieurs facettes de l’’expérience humaine. Quant aux communautés de pratiques, elles soulignent là encore l’’imbrication étroite qui existe entre apprentissage et action, expérience et interaction ; elles soulignent aussi l’’importance que peut avoir, du point de vue organisationnel, le partage des savoirs individuels et la mutualisation des connaissances, qui, au delà des échanges et à travers la négociation du sens pour chacun et pour la communauté, sert aussi la construction des identités individuelles et collectives à la fois.

2.4. - C

ONCLUSION DE LA RECENSION DES ECRITS

A la suite d’’un premier chapitre examinant les différentes dimensions de l’’autoformation en contexte professionnel (section 2.1), il est apparu important, du point de vue de la recherche, de centrer le propos sur les dimensions sociales de l’’autoformation, aussi cruciales dans le domaine de la formation professionnelle que peu souvent abordées. L’’intérêt de travaux novateurs portant sur la place de l’’échange (vu comme processus de don / contre-don) et ceux sur la relation éducative (vue comme relation de réciprocité) nécessitait par contre une remontée aux origines du concept de réciprocité, dans des travaux pluridisciplinaires (section 2.2). Le dernier chapitre de cette recension a permis d’’examiner plus précisément ce concept de réciprocité en éducation et en formation, bien qu’’il ait aussi souligné le peu de travaux s’’y référant explicitement pour le contexte organisationnel (section 2.3).

En référence à ces différents domaines de recherche, les rapports entre autonomie et réciprocité n’’ont cependant pas encore été étudiés de manière systématique. Ainsi, la notion d’’autonomie, fréquemment abordée dans les travaux sur l’’autoformation, a surtout été étudiée sous l’’angle individuel, y compris pour la mise en œœuvre de l’’autoformation et de l’’individualisation ou les recommandations aux formateurs pour faciliter cette autoformation (travaux de Knowles, Long, Hiemstra ou encore Guglielmino). Pourtant, de nombreux chercheurs ont souligné, à travers les années, l’’importance des relations au contexte et à autrui dans le processus d’’apprentissage [Spear et Mocker 1984, Danis et Tremblay 1985, Brookfield 1990, Candy 1991], y compris et surtout en contexte de travail [Foucher et Tremblay 1993, Baskett 1996, Confessore 2002, Hrimech 2002]. Le rapport à autrui, en particulier, reste donc présent dans les recherches concernant le milieu organisationnel, à travers les modalités de contractualisation, la notion co-responsabilité dans le processus d’’apprentissage, à travers les facteurs de facilitation que peuvent mettre en place les acteurs, du côté organisationnel, ou encore à travers les relations interpersonnelles en œœuvre dans l’’apprentissage informel. Cette altérité, toujours « sous-jacente », seulement, dans les travaux en autoformation, reste largement méconnue.

A l’’inverse, les travaux sur la réciprocité ont montré un intérêt constant pour la notion d’’autonomie, depuis son lien avec la visée éthique du « bien vivre ensemble », au niveau philosophique [Ricœœur 1998], en passant par ses déclinaisons en termes d’’initiative, de choix ou de responsabilité, dans les travaux en anthropologie ou en

économie [Caillé 1996, Cordonnier 1997] et jusqu’’aux dimensions développementales et identitaires qu’’impliquent les rapports entre réciprocité et autonomie, dans les recherches théoriques en éducation [Labelle 1996, Lerbet-Sereni 2000, Moisan 2002]. Ici, pourtant, les connaissances s’’avèrent encore très parcellaires en ce qui concerne la manière dont ces recherches pourraient enrichir la pratique, notamment pour le domaine de l’’autoformation en contexte organisationnel. En effet, il n’’existe pas non plus, au niveau des travaux sur la réciprocité, de modèle concret ni même de recommandations possibles pour offrir un éclairage en termes de politiques de formation, de facilitation pour les acteurs ou de mise en place pour les dispositifs, de manière à ce que les travaux sur la réciprocité aident plus concrètement à comprendre la notion d’’altérité ou même à faire progresser la recherche sur les dimensions sociales de l’’autoformation.

Cet aspect pratique s’’avère pourtant crucial. Car ce sont aujourd’’hui des situations de travail elles-mêmes que semble émerger le besoin d’’une meilleure compréhension de la nature des rapports entre autonomie et réciprocité : les modes de gestion, les technologies de réseaux et les dispositifs de formation semblent solliciter de manière convergente cette conceptualisation et cette intégration de notions émergentes qui semblent pouvoir s’’enrichir mutuellement.

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