• Aucun résultat trouvé

138

« Culture et télévision », comme nous l’avons vu, paraissent s’opposer remarquablement. Pour de nombreux penseurs, l’utilisation des médias de masse, en l’occurrence la télévision aux fins de diffuser la culture dénote d’une forme de désarticulation et de destruction des valeurs même qui s’associent aux cultures des sociétés. Sans revenir sur tous les arguments qui ont sous-tendu cette première partie de thèse, nous citerons l’uniformisation ou la standardisation des produits culturels télévisuels (qui plonge le téléspectateur dans une sorte de conformisme) : par exemple les contraintes économiques imposées par la publicité, le travestissement de la réflexion humaine, etc. Tant de raisons qui, semble-t-il, ne sont pas moins légitimes ou fondées. Face aux penseurs qui promeuvent ces idées, s’élèvent d’autres dont la vision de couplage « culture et télévision » nous est apparue plutôt positive (ou mieux, positiviste). Ces derniers nous ont permis de nous départir de la définition trop étendue relative à la notion de « culture », afin de mieux comprendre ce qu’est la culture télévisuelle, et plus précisément, l’émission culturelle. Enfin, cette partie nous a permis d’affiner et d’organiser notre pensée, car comme nous l’avons signifié, travailler sur une notion aussi « diverse et polysémique » que celle de la « culture » ne saurait être chose aisée sans l’avoir auparavant située dans un contexte théorique précis.

C’est ainsi qu’il nous a été possible de définir ce que nous entendrons par « culture » et donc par émission culturelle télévisée. Il s’est alors agi de savoir de quelle culture l’on parle pour ce qui est de Gabon Télévision, en interrogeant les professionnels en activité au sein de ce média. Cependant, les précisions théoriques à elles seules ne suffisent pas, car l’assemblage des concepts culture, télévision et service public laisse échapper ou entrevoir le rôle de l’Etat, au vu de l’enjeu politique et sociétal affecté au rôle de la télévision. En effet, l’historique de la création de ce média nous a permis de voir que la télévision publique gabonaise était destinée à deux missions primordiales : la

139

vulgarisation de l’action politique et l’éducation populaire ; c’est-à-dire que la télévision avait la responsabilité premièrement de relayer toutes les informations politiques et éducatives. Elle avait pour second objectif de créer des liens entre les populations qui la recevaient en diffusant des programmes censés représenter leur vécu quotidien. C’est en ce sens que Tidiane Dioh affirme : « En 1965, on dénombre 350 téléviseurs chez les particuliers et une cinquantaine de récepteurs publics. Le gouvernement heureusement a installé des postes-récepteurs dans des « cases d’écoute » situées dans certains quartiers stratégiques et même au sein de certains commissariats de police. C’est manifestement le seul moyen de permettre au plus grand nombre de téléspectateurs d’avoir accès aux

images »220. Nous voyons effectivement dans cette manière de procéder un désir de

fédérer la population gabonaise autour du « petit écran ». Tidiane Dioh ajoute : « Le service de l’éducation populaire qui existe au sein de l’Institut pédagogique national, rattaché au ministère de l’Education nationale, produit en 13 épisodes une série intitulée « Où vas-tu Koumba ? » réalisée en 1970 et coproduit par la télévision gabonaise, l’ORTF et le Secrétariat d’Etat français à la coopération. A travers les tribulations d’un jeune garçon qui quitte son village pour la ville, de nombreux problèmes de la société gabonaises sont abordés : la dot, le tribalisme, l’exode rural, la délinquance

juvénile. »221.

Ce passage indique parfaitement le fait qu’on pourrait parler de la télévision de service public et de son rôle dans l’éducation et le développement d’une culture, en d’autres termes, du projet étatique de l’éducation par la télévision publique. Dans ce cadre, la télévision pourrait être considérée comme une institution sociale au même titre que le serait l’école par exemple, qui prépare l’élève à la connaissance de sa culture. Cette école d’apprentissage à l’ancrage culturel est déclinée par Alain Elloue Engoune comme suit :

1. L’école initiatique traditionnelle dont le patrimoine culturel se trouve

dans le Mwiri, le Bwiti, le Bieri, le Ndjobi etc.

2. L’école des Maîtres de l’oralité dont le patrimoine se trouve dans le

Mvett, Olendé, Mubwang, etc.

3. L’école coloniale qui se scinde en :

a. l’école des missionnaires ;

220 Tidiane Dioh, op. cit., p. 121.

140

b. l’école des anthropologues et ethnologues.

c. l’école des africanistes avec toutes ses disciplines :

- sociologie

- littérature

- philosophie222.

Ce propos renseigne sur le fait que la télévision gabonaise, ayant eu pour mission première l’éducation des populations, permet de concevoir des parallélismes entre l’école qui constitue un réservoir de connaissances culturelles et la télévision qui, elle, est un canal permettant la diffusion des mêmes connaissances culturelles. C’est pourquoi nous avons examiné les missions de service public assignées à la chaîne, tout en nous interrogeant sur les différents rapports qu’elle entretient avec les différentes entités qui fixent son cahier de charge. Et il s’est avéré que la diffusion de la culture gabonaise en constitue une des plus importantes. L’Etat et le politique, par le biais de la société (du lien social), veulent construire le citoyen gabonais à travers la télévision et les programmes (culturels) qui y sont diffusés. Mais nous avons trouvé qu’il fallait d’abord définir la culture gabonaise pour envisager une meilleure adaptation des contenus des programmes culturels à soumettre aux publics. Pour ce faire, il a donc fallu se référer aux textes en vigueur mis en place par les institutions de l’Etat. Ceux-ci malheureusement ne sont pas explicites.

Nous avons relevé de ces entités un certain nombre de manquements auxquels il faudrait à tout prix pallier. C’est le cas du CNC. Cette institution qui a été créée en 1991, juste après la réinstauration du multipartisme au Gabon, lors de la Conférence nationale. Il est le symbole de la libération du PAG. Il n’a pas su s’adapter aux contraintes de l’impartialité juridique et constitutionnelle inhérente à l’application des lois et règlements de la République Gabonaise, malgré son rôle de pièce maîtresse du système médiatique gabonais. En de termes très clairs un des conseiller de cette

structure, Gilles Térence Nzoghe, dans son adresse intitulée « Régulation des médias :

Réformer en urgence le CNC » en appelle à la réforme de l’institution : « Chargé de

réguler un domaine d’activité caractérisé par une indéniable anarchie sans pouvoir

222 Alain Elloue Engoune, « Redéploiement paradigmatique en sciences sociales et humaine », in Patrimoine(s) et dynamique(s), op.cit., p. 234.

141

s’appuyer sur une législation spécifique et vigoureuse, le CNC était donc mal parti. […] ce texte qui entretient l’illusion d’une avancée favorise le développement anarchique des médias de tout genre. C’est l’erreur qu’il ne fallait pas commettre si le but de la

réforme était d’assainir durablement notre paysage médiatique »223

. En plus de ce que nous avons précédemment évoqué, ce propos, laisse penser que la télévision gabonaise

n’est peut-être pas « mal partie »224, mais aurait plutôt mal démarré ses activités. D’une

part, en se voyant confisquer « les valeurs d’indépendance et de transparence » par le politique et sa mainmise sur l’organisation et le fonctionnement dudit médium. Et d’autre part, en calquant aveuglement la législation des médias français qui n’évoluent pas dans le même contexte général que le sien, et ce, en partant même de son texte fondateur portant sur le service public de la télévision cité par Jérôme Bourdon : « Au centre du débat de la notion de service public, que l’on se mêle de définir au moment où elle paraît remise en cause ou discutée. C’est toujours le statut de 1964 qui constitue la référence : « L’Office de radiodiffusion télévision française […] assure le service public national de la radiodiffusion et de la télévision […] en vue de satisfaire les

besoins d’information, de culture, d’éducation et de distraction du public » (article 1er

). Cette définition très générale, et qui se retrouve sur le plan international, ne suffira pas à

établir ou rétablir le consensus sur les missions »225. Nous voyons finalement que le

texte fondateur de Gabon Télévision (contenu dans le décret n°035) s’inscrit dans l’optique de celui de l’ORTF qui lui-même revêt un aspect très générique dans sa définition de la notion de service public culturel. Ceci ne constitue pas en soi un problème, étant donné que le système audiovisuel français également s’inspire de celui de la BBC et que s’aligner sur un modèle, c’est se représenter ce modèle tel qu’on se l’imagine. Voilà pourquoi en définissant la culture gabonaise, nous avons parlé de « paradigmes », car on est bel et bien sur une forme de croyance. Et il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises croyances, mais plutôt de bons ou mauvais acteurs et de bons ou mauvais discours.

223

Gilles Térence Nzoghe, « Régulation des médias : Réformer en urgence le CNC ». Cf.

http://gabonreview.com/blog/regulation-medias-reformer-urgence-cnc/, consulté le lundi 13 février 2017.

224 Nous avons emprunté cette expression à l’agronome français René Dumont qui prônait le développement rural (agricole) des pays pauvres. Il est l’auteur du livre à polémiques L’Afrique est mal partie, paru en 1962, dans lequel il décrit les origines du mal développement dans le continent africain.

225 Jérôme Bourdon, Histoire de la télévision sous de Gaulle, Préface de Jean-Noël Jeanneret, Paris, INA, 1990, p. 23.

142

Dans la deuxième partie qui va suivre, nous nous proposons d’examiner l’adéquation entre les discours des acteurs médiatiques gabonais, la programmation (culturelle) au sein de Gabon Télévision et les perceptions des publics. Il nous importera particulièrement de faire une analyse quantitative des données de terrain.

143