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Nous venons de voir que le morcellement même de l’espace texturé que « nos deux auteurs » imaginent, par opposition à l’espace lisse de la science moderne, fait en sorte que le lieu où s’inscrit un objet n’est pas indifférent à sa constitution. Cela explique déjà pourquoi, de leur point de vue, la culture évolue dans un « écosystème dynamique ». C’est à dire que les évènements font partie intégrante de leur contexte ; et il est vraisemblable d’affirmer que ces deux philosophes seraient d’accord pour dire que les « lieux110 » ont une mémoire. Car les objets laissent une trace après leur

passage. La place qu’ils ont occupée ne retourne pas à son état initial comme s’il ne s’était rien produit. On peut penser ce sillage à la manière des « turbulences » qui sont générées à la surface d’une étendue d’eau qu’une embarcation vient de traverser. Dans cet esprit, un autre facteur qui rapproche ces théoriciens des media tient en ceci qu’ils estiment tous deux que les actions qu’effectuent les internautes, en commentant les billets qui les interpellent en ligne (les lecteurs deviennent alors des auteurs) ou, pour les téléspectateurs, en se laissant absorber dans l’écoute des émissions au point de réagir à haute voix face à ce qui les « touche » (les auditeurs deviennent alors des locuteurs), sont au moins aussi importantes que le contenu véhiculé lui-même.

Certes, le code (numérique) n’est pas la « cote d’écoute » (mesure d’audience), et il n’y a pas un enregistrement systématique des « diffusions » dans le cas des media analogiques (en direct111).

Ces circonstances concrètes, entre autres112, dans lesquelles s’effectuent les transmissions de

discours ou de performances, et qui permettent leur « passage113 », en ondes ou en ligne114

commencer par les infrastructures des réseaux et les systèmes juridiques encadrant leur utilisation)

110 Cf. F. Goyet, « Aux origines du sens actuel de ‟ lieu commun ” », Cahiers de l'Association internationale des études

françaises, Vol. 49, no 1, 1997, pp. 59-74 [http://www.persee.fr/doc/caief_0571-5865_1997_num_49_1_1271]. C’est d’autant plus vrai si on considère les topoï comme n’étant pas si éloignés des khoroï. Mais c’est une proposition de Louise Merzeau que de distinguer les deux. « Le topos, comme le locus latin (“région, lieu, endroit, tombeau”) sert à localiser, fixer, circonscrire. Le khoros (“lieu où l’on danse”) renvoie quant à lui à un champ qui se donne à traverser et qui appelle une chorégraphie » Louise Merzeau, « Le profil : une rhétorique dispositive », Itinéraires, 2015-3 [https://itineraires.revues.org/3056]. Cité dans Enrico A. Marchese, « Les structures spatiales de l’éditorialisation »,

Sens public, 10 mars 2017.

111 Ou à tout le moins, il arrivait fréquemment que les chaînes de télévision réutilisent les cassettes peu de temps après. Alors que dans le cas des informations numériques associées aux communications par internet tout est enregistré. 112 Allant du type de circuit (et d’énergie) utilisée aux règles de traitement des contenus appliquées (protocoles, langue). 113 Autre mot pour publication. Mais ce qui circule par la bande passante n’est pas nécessairement public le

visionnement d’une émission ou la lecture d’un article peuvent être réservés à un cercle de personnes autorisés. 114 Ou leur « projection » sur les écrans (de télé ou d’ordinateur), à travers les infrastructures (ou autres structures), ou

montrent déjà assez bien que l’inscription médiatique des traçages de gestes, de paroles et d’autres « écritures » (incluant les images et les sons) ne sera pas la même, en raison de ces conditions technico-légales de leur production, d’une part, et en raison des modalités pratiques et du contexte de leur réception (cultures, conjonctures socio-politiques, économiques et psychologiques) d’autre part115. Il n’en demeure pas moins que le « retour à l’oralité » et la place plus importante que prend

le corps sont des éléments qui rassemblent également ces deux chercheurs (dont la sensibilité littéraire n’a d’égal que le souci de produire une analyse rigoureuse des nouveaux media de leur temps). Le problème est qu’ils appartiennent à deux époques successives, et que, s’ils vivent tous les deux une « révolution dans les communications », les transformations qu’ils étudient ne sont pas attribuables aux mêmes « nouveaux media », même si elles sont assez fondamentales dans les deux cas pour parler de « changement de paradigme ». On pourrait parler de « nouveaux nouveaux media116 » dans le cas de Doueihi, mais les « anciens nouveaux media » ne sont pas anéantis. Il y a

donc co-existence des deux générations de media électroniques, et cela soulève la question de savoir s’ils interagissent et, si oui, comment leurs interactions les transforment ? Or il est évident qu’interactions il y a. Et la société actuelle, à laquelle les essais de Doueihi s’adressent, n’aurait pas été la même si les media électroniques (dont McLuhan s’est efforcé de dégager les principes d’opération) n’avaient pas imprégné profondément notre « manière d’être ».

Initialement, Doueihi et McLuhan semblaient seulement s’accorder pour dire qu’il importe de relativiser la toute puissance de l’édition papier comme source d’apprentissages dignes de ce nom. Des créateurs peuvent nous amener ailleurs que là où l’exigence de rentabilité appelle la publication d’ouvrages de prestige qui n’intéressent que rarement une large frange de la population. Ce n’est pas par dédain des lettres cependant, qu’ils souhaitent que nous nous attaquions à la conception « commune » (scientifique117) de l’espace. Mais c’est au contraire pour souligner le rôle

115 Ce sont les effets pragmatiques et symboliques de cette différence dans la constitution des mémoires matérielles et morales d’une part et l’impact politique de cette variabilité dans les modalisations possibles d’un accès à ces traces plus ou moins instables, d’autre part, qui nous permettent de maintenir distinguées ces deux sphères (des médias numériques et électroniques).

116 C’est ce que fait Maurizion Ferraris, dans une conférence qu’il a donnée le 28 octobre 2013, à l’Université de Montréal, intitulée « Kant et le cellulaire » [https://www.youtube.com/watch?v=WoxmJRENhHw].

117 Suite à la démocratisation de l’accès à la connaissance (et en raison de la domination de la conception positiviste du savoir), c’est cette notion aseptisée de l’espace qui correspond à la définition courante qui nous en est donnée par le système d’éducation. Espérons que le « tournant spatial » dans les sciences sociales contribuera à changer la donne. Mais peut-être faudrait-il tenir compte des travaux de Barbara Adam et d’autres penseurs du tournant temporel dans le même domaine des humanités : Timewatch: The Social Analysis of Time, Wiley, 1995, 216 p.

architectural118 que la « littérature » (aux différents sens du terme119) peut y jouer. On comprend

donc que leur vision de l’espace est hybride et que « l’électronique » et « le numérique » ne sont pas considérés comme des mondes séparés du nôtre.

Mais les dynamiques « hypermédiatiques » générées par les échanges via internet ne font-elles qu’enrichir, intensifier et/ou complexifier la culture informationnelle, esthétique et politique qui s’était mise en place à la faveur de l’intégration des media électroniques de première génération à notre vie quotidienne, ou produisent-elles une véritable « transfiguration de l’humanité » ? Nous nous sommes posé cette question de la culture (de la continuité ou de la rupture) en comparant les approches que McLuhan et Doueihi ont adoptées pour traiter des rapports du problème du sens (que toute transformation culturelle soulève même si elle repose sur des changements « techniques ») avec les enjeux entourant la modification de notre relation à l’espace que ces transformations entraînent.

Cette analyse nous aura permis d’identifier un second point de convergence plus positif que la distinction avec la civilisation du livre, soit la recherche d’un nouveau lien du sens avec l’espace120.

Nous ressortons ainsi avec un impact commun des media électroniques et des media numériques : ils permettent à une version moins statique de l’espace (plus ancrée dans les dynamiques qui façonnent les échanges) de reprendre forme et de « résonner » à travers notre écosystème.

De cette rectification de l’impression initiale que pouvait laisser l’insistance de McLuhan et Doueihi à revaloriser l’espace (ce qui allait de pair avec une une critique de la civilisation du livre et de la lecture linéaire qui soumettent le sujet au temps) on tire les apprentissages suivants :

(1) les pensées des deux auteurs que nous étudions ici convergent aussi par leur ouverture à une conception hybride de l’espace (mêlant culture et technique) et (2) les environnements numérique et électronique ne sont pas considérés comme des milieux séparés de celui que nos vies (tant corporelles qu’intellectuelles) informent.

Si nous voulions nous assurer de faire le tour des enjeux entourant cette question, il faudrait nous poser deux autres questions : d’abord, « en quoi ces deux auteurs participent-ils du dépassement de la modernité en donnant l’impression qu’ils se refusent à la dépasser (puisqu’ils

118 Nous parlons ici d’un espace structuré par des relations entre agents sociaux. C’est une architecturalité sociale. 119 Les différents types d’écritures (création, histoire, critique) et de lectures. Celles-ci ont le pouvoir de transformer le

sens, en éditant (formellement ou non) le texte. Dans le web, la lecture devient éditorialisante (déplaçant l’écriture). 120 Plus souple que celui qui est imposé par l’analyse rationnelle (qui tend à le diviser à l’infini – tout comme le temps).

nous donnent des outils pour la comprendre autrement) ? » ; puis, « sommes-nous tenus d’assumer la responsabilité de ce qu’impliquent les changements découlant de notre immersion dans les nouveaux systèmes de communication ? »

Chapitre 2

Comparaison des cultures numérique et électronique sous l’angle de l’identité

C’est à l’aune de ce critère que nous évaluerons, en les comparant, deux systèmes d’interprétation de l’effet des nouveaux media liés à deux stades successifs d’évolution des technologies de transmission de l’information. Il s’agit, bien entendu, de ceux que nous proposèrent Marshall McLuhan « pour comprendre les media » électroniques il y a plus de cinquante ans, puis, il y a moins de dix ans, Milad Doueihi, afin de saisir les implications du virage anthologique qui accompagne la popularisation de l’informatique grâce au web. Le world wide web est une combinaison de protocole (http), de langage (HTML) et de logiciel (navigateur), élaborée par Tim Berners-Lee au CERN, qui permit à l’internet de se répandre dans toutes les pratiques sociales, depuis plus de vingt-trois ans. Le concept de « culture anthologique » est difficile à saisir, et il peut susciter des malentendus, notamment parce qu’il semble impliquer une division des contenus. D’un autre côté, il suggère que ceux-ci sont « naturellement » appelés à devenir autres.

En effet, étant déjà entremêlés de code – puisque rien ne transite par internet qui ne soit converti en langage binaire (faute de quoi ce contenu ne pourrait être traité par des ordinateurs121) –, tous les 121 Qui utilisent un langage machine rudimentaire quel que soit le degré de complexité de leur architecture logicielle.

« objets-codes » sont, ontologiquement, des écritures encodées... susceptibles d’évoluer122.

Suffit-il que des données soient reliées à des métadonnées pour pouvoir les interpréter ?

Il ne faut pas oublier que les notions d’infosphère et de culture anthologique supposent que des contenus informationnels « circulent ». Ces informations seraient des « écritures numériques » parce qu’elles sont des inscriptions générées par des intermédiaires à la faveur de nos activités en lien avec le réseau. Elles ne sont généralement pas du texte voulu et perçu comme tel, mais elles sont des écritures symboliques hybrides : une partie est en code illisible par l’humain, et une visualisation de l’effet de ce code est possible dans de bonnes conditions. Est-il nécessaire de tirer comme conséquence de cette situation que l’identité numérique sera davantage « morcelée », tel que Doueihi semble le faire123 ? La cohérence exige-t-elle que la multiplicité des avatars des individus

présents sur les différentes plateformes ait pour effet d’éclater la manière dont sont disposées les pensées de ces personnes ? Ou, en admettant que le fil conducteur de nos raisonnements tendrait à se distendre (si on pouvait prouver que nous sommes plus distraits ou décentrés depuis que nous passons une partie de notre vie « en ligne »), se pourrait-il que ce soit le fruit d’une coïncidence ?

Il n’est pas évident de répondre à de telles questions. Elles font signe vers l’enjeu des relations réciproques entre l’époque et les formes culturelles qui s’y déploient. Est-ce le siècle qui fait les mœurs ou les manières d’entrer en relation qui façonnent le Zeitgeist (« l’esprit du temps ») ? Afin de saisir l’équivocité de la signification de ces particularités d’une période historique, livrons-nous à

122 Cette « condition numérique » dépend de ce que ces « enregistrements » sont reproductibles et modifiables. 123 Dans ses deux essais, Doueihi fournit une définition générale de l’identité numérique dans le glossaire:

« Représentation numérique d’un utilisateur individuel dans un environnement en réseau ». Cette définition pose un problème important, car elle donne l’impression que les représentations peuvent changer indéfiniment sans que l’utilisateur soit affecté. Or, d’après la réflexion de Vitali-Rosati sur la performativité qui revient au premier plan avec le passage vers une culture numérique, la frontière traditionnelle entre réalité et représentation devrait tendre à disparaître. C’est du moins un des enjeux à la fois philosophiques et politiques vers lesquels poind le travail qu’il effectue autour du concept d’« éditorialisation ». Sans doute Doueihi adopte-t-il cette définition de base pour des raisons de commodité, et Vitali-Rosati serait le premier à concéder que nous n’avons d’autre choix que de nous doter de « définitions » pour nous entendre sur ce dont nous parlons. D’ailleurs Doueihi caractérise lui-même l’identité numérique comme étant au carrefour de nombreux jeux politiques et d’une intense spéculation scientifique, afin de pouvoir baser des projets de plateformes sur la capacité à prédire des comportements en fonction de paramètres. Il qualifie alors l’identité numérique de « polyphonique », entendant par là à la fois son caractère agrégé, impliquant la mise en relation de multiples avatars, doubles et pseusdos plus ou moins proches de la personne qui les fédère. Mais cette « agrégation » est en partie opérée par indexation automatique via des algorithmes. Et c’est la puissance de prédiction d’un algorithme qui détermine sa valeur pour cerner qui est untel dans un tel contexte. Dans Pour un

humanisme numérique, Doueihi donne une illustration de ce phénomène caractéristique de la dérive possible d’une

culture numérique non-informée par l’humanisme numérique et la compétence particulière qu’elle suppose :

MyLifeBits, de Gordon Bell. « On retrouve dans ce cas exemplaire l’imaginaire de la culture numérique quant à ses

efforts pour saisir la vie et se la représenter sous des formes converties, c’est-à-dire dans un contexte peuplé par des fragments et des bribes de textes, d’images, d’échanges qui, mis bout à bout, offrent une sorte de capture de la vie d’une identité numérique. » (pp. 238-239) Cf. : [https://www.microsoft.com/en-us/research/project/mylifebits/].

un exercice de projection dans le passé. Rebroussons le fil du temps jusqu’au XIXe s., à Paris. Dans

le studio du photographe Nadar, où, en 1873, Impression, soleil levant de Monet, et Cache-cache de Berthe Morisot, ainsi que Gelée blanche de Pissarro, se trouvèrent exposées, par la Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs… faute de répondre aux exigences de l’Académie pour se retrouver dans les Salons officiels. Nous nous retrouvons face à des toiles dont nous savons aujourd’hui qu’elles sont impressionnistes. Avons-nous le sentiment qu’il s’agit de peintures de mauvaises qualité, parce que le contour des objets manque de précision ? Ou sommes-nous agréablement surpris de constater que ces défauts apparents du dessin fournissent à notre sensibilité l’opportunité de se mobiliser à un degré exceptionnel en comblant les imprécisions du flou par la vivacité de notre palette intérieure, nous procurant une exaltante sensation de « plénitude »? Avec le recul, il est plus facile de trancher en faveur de la seconde interprétation, mais lorsque l’éducation esthétique nous a appris à valoriser les œuvres selon des critères plus conventionnels, le jugement peut être ardu à porter124. L’évaluation que l’on fait des manifestations artistiques peut être teintée

par des préjugés qui interfèrent avec la véritable valeur des propositions que l’on essaie d’apprécier au meilleur de nos capacités critiques. Les œuvres ont donc le pouvoir de modifier l’air du temps, en bousculant les manières habituelles de sentir et de percevoir, et cela peut faire en sorte que des créations qui semblaient en porte-à-faux avec l’actualité se sont révélées après coup avoir été particulièrement « pénétrantes » cernant au plus près les contours de la période historique à l’intérieur de laquelle elles s’inscrivaient.

McLuhan a été ébahi de découvrir dans Finnegan’s Wake de Joyce une véritable radiographie de l’évolution des techniques et des media. « Il y a dix tonnerres dans le Wake. Chacun est un cryptogramme ou une explication codée des effets orageux et sonores des grands changements techniques de l’histoire humaine125. »

Le medium est défini par McLuhan comme une métaphore ou un maëlstrom (et comme une environnement de services). Or, c’est justement la signification du nom « wake » en anglais

124 Jules-Antoine Castagnary ne s’en est pas mal tiré, dans la critique qu’il rédigea de cette exposition. Il reconnaît les mérites particuliers à chaque œuvre sans manquer de mentionner les défauts qu’il leur trouve. Puis il essaie de résumer ce qui réunit les styles de ces jeunes audacieux.

« Cette jeunesse a une façon de comprendre la nature qui n’a rien d’ennuyeux ni de banal. C’est vif, c’est preste, c’est léger ; c’est ravissant. Quelle intelligence rapide de l’objet et quelle facture amusante ! C’est sommaire, il est vrai, mais combien les indications sont justes ! »

Jules-Antoine Castagnary, « Exposition du boulevard des Capucines. Les impressionnistes », Le Siècle, 29 avril 1874, pp. 1-10. [https://fr.wikisource.org/wiki/Exposition_du_boulevard_des_Capucines._Les_impressionnistes].

(tourbillon). En tant que « milieu » dans lequel nous sommes plongés, nous ne nous apercevons pas nécessairement de sa présence. Les poissons ne voient pas l’eau dans laquelle ils nagent. « Le Wake a plusieurs significations, parmi lesquelles le simple fait qu’en reprenant tous les passés humains, notre époque possède la particularité de le faire avec une conscience croissante126. »

Il trouve dans le Wake (le tourbillon de l’écriture de Joyce), la double expression de ce qui nous endort en nous étourdissant et de ce qui nous éveille en nous ébranlant. « Comme le disait Joyce dans Finnegan’s Wake, ‟ Mes consommateurs ne sont-ils pas mes producteurs ? ”127 ».

Le projet de McLuhan c’est de nous éveiller à cette action des media sur nos vies, car il pourrait y avoir lieu de rectifier certaines fausses interprétations que nous avons du sens de nos existences, en raison de cette méconnaissance. Les media électroniques nous en donnent l’opportunité car ils renversent le mode d’action des media précédents qui nous dissociaient intérieurement pour nous faire réaliser des gains du point de vue de notre capacité à contrôler le monde extérieur. L’automation, telle que la définit McLuhan nous rend témoins du fonctionnement de notre système nerveux central, celui-ci étant étendu à l’ensemble de l’écosystème de la Terre. Dès lors, le sensorium se trouve refusionné alors que le rythme tribal devient le principe régulateur de nos existences.

C’est ce que semble avoir conclu McLuhan de l’étude des effets que les « media froids » pouvaient avoir sur les personnes qui les utilisaient, soit une participation accrue en relation avec le fait que l’image y soit de plus « faible résolution », ce qui semble laisser la porte ouverte à un plus grand investissement du « sens interne », celui de l’imagination et de la proprioception.

Voyons cela de plus près. Pour McLuhan, si les media électroniques provoquèrent une implosion nous projetant dans un « village global », ils nous remirent dans un état synesthésique (de conversation des différents sens entre eux), ce qui aurait favorisé une plus grande « intégration » du sensorium. La « défragmentation » du sujet qui en aurait résulté, selon lui, découlerait en partie de ce que la vue aurait perdu son hégémonie. À la faveur de l’automation (avant l’informatique), de multiples manières de vivre l’expérience s’entremêlent et le sujet est constitué de cette dynamique