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En l’espace de 20 ans (1980-2000), les problématiques liées à la pratique du vélo en milieu urbain ont évolué pour les associations et les municipalités. La deuxième partie ce mémoire avait pour objectif de mettre en évidence les éléments divergents (publication, politisation) et les analogies (pédagogie, autonomisation) dans les méthodes militantes pour témoigner de l’hétérogénéité des mouvements cyclistes. L’objectif était aussi de mettre en lumière les dynamiques de transition, de transformations associatives et urbaines visibles sur le long terme (1970-2000). A Montréal, le cyclisme urbain se politise dès les années 1970 par l’action associative. En effet, en soutenant le Monde à Bicyclette, le parti de l’opposition (Rassemblement des Citoyens de Montréal) fait entrer la question du vélo dans l’agenda politique. A Paris, à part quelques soutiens de maire d’arrondissement, l’association n’a pas été l’objet d’une sollicitation particulière par les acteurs politiques. Il faut attendre le début des années 1980 pour que des mesures soient prises en faveur des cyclistes. Néanmoins, l’échec des couloirs de courtoisie immobilise les liens entre la mairie et l’association pendant plus d’une décennie. Ces décisions concrètes en en matière de cyclabilité par les acteurs publics ont eu des influences sur l’action associative. Désireux d’intervenir auprès des municipalités dans la réalisation concrète des aménagements, les associations adaptent leur militantisme. Moins axés sur la contestation et la mobilisation, les cyclistes mènent des démarches d’expertises auprès des institutions afin d’être considérés comme des acteurs nécessaires aux aménagements de qualité. Les associations ont joué un rôle non négligeable dans la politisation du vélo aux échelles des agglomérations. En effet, en 1982, l’échec des couloirs de courtoisie à Paris est en partie dû au manque de prise compte des conseils associatifs. Le MDB, avant même la réalisation, prévenait déjà des nombreuses incohérences et de la dangerosité du projet. Quatorze ans après cet épisode, le deuxième plan d’aménagement pour les cyclistes offre une large représentation des associations dans l’étude des itinéraires. A Montréal, le premier axe exclusivement réservé aux cyclistes (1985) est déjà revendiqué depuis 1976 par le Monde à Bicyclette. De plus, le Rassemblement des Citoyens de Montréal (RCM) élu en 1986 à la municipalité, soutenait les revendications de l’association en 1976. Deux ans après son élection, le RCM propose un plan sur dix ans

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d’aménagement pour cyclistes. Cependant, l’action associative n’est pas le seul facteur. La politisation de l’environnement, l’essor du vélo utilitaire dans les villes étrangères, l’augmentation du nombre de cyclistes et les risques liés à la cohabitation des usagers sont autant de facteurs influant sur les prises de décisions.

Les deux premières parties du mémoire répondent à une réflexion chronologique en deux temps afin de dégager les transformations et les évolutions au sein de deux associations de cyclisme urbain. Cependant, pour appréhender les mouvements cyclistes de façon globale, il est nécessaire d’élargir les approches. Je vais donc, toujours à partir des deux associations et tout particulièrement du Monde à Bicyclette, tenter de mettre en lumière la notion de réseau dans lequel le mouvement cycliste est intégré.

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3 Partie 3 : « La rue, la ville, le monde, à

bicyclette ! »

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: Un militantisme de réseau

Aujourd’hui lorsque l’on parle de réseau, on pense dans un premier temps aux réseaux sociaux sur Internet. Avec plus d’un milliard d’utilisateurs dans le monde, Facebook s’impose comme un véritable « fait social ». Ainsi, avec l’avènement d’internet, les mouvements environnementaux ont connu de nombreuses mutations structurelles : transformation des moyens de communication, augmentation de la visibilité, changement des rapports avec les militants, innovation dans les formes de mobilisation… Benjamin Popineau en étudiant le mouvement Vélorutionnaire affirme que « ces collectifs atteignent souvent le niveau mondial, processus amplement facilité par les nouvelles technologies de communication et les réseaux sociaux. »327. Chloé Grépinet en faisant référence aux masses critiques (manifestation de cyclistes) souligne l’internationalisation du mouvement : « Des connexions se créent (bientôt grâce à Internet) entre les masses critiques qui se forment dans plus d’une centaine de villes dans le monde. » 328. Internet a effectivement accéléré la visibilité nationale et internationale de groupes locaux. Cependant, la généralisation d’internet au début des années 2000 ne doit pas faire de l’ombre à l’ensemble des circulations déjà esquissées dans les années 1970. Ce constat rejoint les conclusions émises par la sociologue Sylvie Ollitrault « on se gardera […] de penser le recours à Internet comme une « révolution » complète des pratiques de mobilisation des écologistes. Il s’agit bien davantage d’une étape supplémentaire dans une dynamique de transnationnalisation que ces mouvements ont amorcé dès les années

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Slogan scandé en 1992 lors de la conférence. Non signé, « Editorial. Conférence vélo mondiale. Rendez-vous avec le monde », Le Monde à Bicyclette, Vol. XVII, no.4 (hiver 1992-1993), p.9.

327 POPINEAU Benjamin, « Libérez les piétons enfermés dans les voitures » Analyse du mouvement Vélorution

à travers l’exemple parisien, Mémoire de 1ère année, Master Urbanisme et aménagement, Sous la direction de

Florine BALLIF, Institut d’Urbanisme de Paris, 2013, p.5.

328 GREPINET Chloë, Vélorution, Enjeux d’une mobilisation cyclo-écologiste, Mémoire de master Institut

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soixante.»329. Cette dernière en faisant une brève histoire de mouvement de protection de l’environnement insiste sur la constitution de réseaux d’experts dès la fin du XIXème : « Dans les pays d’Europe ou d’Amérique du Nord, un fort courant humaniste traverse les réseaux savant qui s’internationalisent au gré des rencontres ou des congrès internationaux qui rythment les agendas scientifiques ».330 Des associations de protection animalière comme la

Royal Society for the Protection of the Birds engagent des réseaux internationaux

d’associations spécialisées dans la protection des oiseaux. En 1949, le britannique Julien Huxley créé un réseau pour la protection de l’environnement : l’International Union of

Conservation of Nature (IUCN). Créé en 1961, le World Wild life Fund (WWF) devient

« grâce à un réseau dense de scientifiques souvent universitaires, l’organisation non gouvernementale la plus connue, la plus experte en matière d’environnement.»331. Ainsi, l’internationalisation de la mobilisation environnementale n’est pas une innovation du XXIème siècle. Elle est, au contraire, une thématique de lutte qui s’inscrit dans des réseaux locaux et internationaux de façon précoce. Ainsi, envisager l’étude du mouvement cycliste uniquement à l’échelle de l’association montréalaise et parisienne est réducteur.

L’objectif de cette partie est donc de prendre du recul, à partir des deux associations, sur le monde associatif spécialisé dans le vélo au quotidien. Il s’agit de déceler les enjeux de circulations, d’interactions, d’influences et de réciprocités tant à l’échelle locale qu’internationale dans le monde associatif. Ainsi, je vais m’intéresser aux revendications des cyclistes urbains dans le monde associatif afin de mettre en lumière la diversité du sujet et des acteurs (Chapitre 1). Ensuite, je vais mener une démarche multiscalaire, avec laquelle, j’étudierai les relations associatives tant aux échelles locales qu’internationales (Chapitre 2).

329 OLLITRAULT Sylvie, « De la caméra à la pétition-web : le répertoire médiatique des écologistes ». In :

Réseaux, 1999, volume 17 n°98, p.158.

330 Ibid., p.21. 331 Ibid., p.22.

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