• Aucun résultat trouvé

135 Affiner les méthodes de notation des traits morphologiques dentaires est le défi lancé à l’anthropologie dentaire ces dernières décennies. Le développement récent de méthodes rapides et efficaces pour acquérir des modèles 3D d'un objet, ainsi que l'avènement de puissantes techniques quantitatives pour évaluer la variation de forme (morphométrie géométrique), ont ouvert de nouvelles voies pour établir des protocoles objectifs dans l’étude des variations des caractéristiques dentaires non-métriques.

Dans ce contexte, nous avons tenté d'améliorer l’analyse du shoveling des incisives centrales permanentes maxillaires en développant une méthode innovante et complémentaire de la méthode ordinale ASUDAS.

A l’issue de nos travaux de recherche, nous avons répondu aux 4 hypothèses émises en préambule de notre étude.

1. Nous avions émis l’hypothèse qu’une technique d’approche morphométrique basée sur une échelle continue (et non ordinale) permettrait d’avoir une analyse plus précise et plus reproductible du shoveling que la méthode ASUDAS.

Après avoir comparé l'évaluation visuelle classique (ASUDAS) du shoveling avec notre nouvelle approche morphométrique géométrique 3D, nous proposons une méthode quantitative, simple et rapide, pour caractériser le shoveling des incisives centrales permanentes maxillaires humaines modernes en utilisant une échelle numérique continue et ouverte de sa variation morphologique.

Les résultats de l’application de notre méthode morphométrique montrent que notre méthode est reproductible et qu’elle permet de distinguer les groupes français et sud- africains (exprimant un faible degré de shoveling) de l'échantillon chinois (plus variable mais montrant un shoveling prononcé), en accord avec la nombreuse littérature sur le sujet (Scott et Turner, 1997 ; Irish et Scott, 2016 ; Scott et Irish, 2017 ; Scott et al., 2018) et montrent que notre méthode, tout en confirmant les résultats de l'ASUDAS, s'ouvre vers une évaluation quantitative du shoveling pour la distinction entre les populations fossiles et les populations humaines existantes.

2. Nous avions émis l’hypothèse que les stades ASUDAS et les stades observés sur les échantillons ne sont pas forcément comparables et que la profondeur maximale ou la surface de creux de la face palatine serait un aspect inconscient majeur lors de l'enregistrement du shoveling selon la méthode classique ASUDAS.

136 Nos résultats ont montré que les observateurs, même s’ils sont formés et s’ils suivent la définition ASU du caractère du shoveling des UI1, ont tendance à créer, lorsqu'il s'agit d’étudier de nombreux spécimens, une image mentale des catégories ASUDAS et à porter leurs jugements. Cette échelle mentale dépendrait de la profondeur maximale de la face palatine, alors que les grades ASUDAS ne sont pas distribués linéairement pour ce paramètre. Selon nos résultats, les scores attribués visuellement finissent par être corrélés plutôt avec la profondeur maximale qu'avec l’expression des crêtes marginales, telle que décrite dans le protocole ASUDAS.

3. Nous avions émis l’hypothèse qu’une échelle ouverte (non limitée aux 7 grades) et continue basé sur un paramètre métrique tel que la profondeur ou la surface de creux serait un meilleur indicateur, plus en adéquation avec les variations morphologiques, que l’échelle fermée ASUDAS.

Nos résultats ont montré que le paramètre de la profondeur maximale donne une mesure du développement des crêtes mésiale et distale et constitue une métrique appropriée pour évaluer quantitativement l'expression du shoveling. Notre nouvelle méthode permet d’établir un nouveau référentiel pour le shoveling, plus objectif, en considérant une échelle continue et ouverte (ne se limitant pas aux 7 grades) qui intègre l'analyse de deux aspects différents mais complémentaires : la profondeur de la surface palatine par rapport aux crêtes marginales et la forme de la face palatine. Il s'agit là, d'un point important, car le shoveling peut avoir des expressions plus fines, au-delà de la portée de l'échelle millimétrique, de par ses variations autant en forme qu’en taille (Scott et Turner, 1997). De plus, nos analyses ont révélé que l'évaluation visuelle du shoveling tend à être plus sujette aux biais intra- et inter- observateurs pour les scores les plus élevés (à partir du grade +2). Or, la principale caractéristique de l'échelle ASUDAS pour le shoveling est l'expression progressivement croissante des crêtes marginales (Scott et Turner, 1997 ; Scott et Irish 2017).

4. Nous avions émis l’hypothèse que l’utilisation d’un scanner intra-oral permettrait d’obtenir des informations plus exploitables dans le temps.

Nos résultats ont montré que la précision et la reproductibilité de notre approche morphométrique est directement corrélée à la précision des surfaces de balayage et qu’une nouvelle méthode d’investigation des échantillons à analyser en réalisant une empreinte optique via un scanner intra-oral ergonomique pourrait être utilisée pour l’étude morphométrique du

137 En effet, les avantages d’un scanner intra-oral dans un contexte anthropobiologique d’analyse morphométrique de caractères discrets dentaires, tels que le

shoveling, sont nombreuses : possibilité de créer une base de données 3D des surfaces des UI1

-échelle ouverte d’analyse-, meilleure capacité de stockage et d’archivage des données, meilleure accessibilité des données, répertoriation numérique des échantillons sur les sites de fouille, affranchissement des supports conventionnels d’observation- modèles en plâtre ASUDAS-, affranchissement de manipulation fréquente des échantillons, gain en rapidité et précision d’analyse par rapport à l’analyse ASUDA.

En conclusion, dans le cadre de l’étude du shoveling, même si la méthode ordinale ASUDAS et notre méthode morphométrique sont notoirement différentes, nous considérons, au vu des résultats de nos travaux, que cette approche morphométrique peut compléter et améliorer le système ASU lorsque la distinction visuelle entre les grades est difficile à objectiver par un œil humain. Ainsi, même si l'ASUDAS est un outil fiable et efficace, il est encore possible de l'améliorer et de le compléter par d'autres méthodes.

Ce modeste échantillon n'est utilisé ici que pour tester la méthode, mais en l'augmentant, en incorporant de plus grands groupes chrono-géographiques, y compris les homininés fossiles, il y a un réel potentiel pour mieux comprendre l'évolution du shoveling des incisives centrales permanentes maxillaires. Compte tenu de la disponibilité croissante de données virtuelles 3D dentaires, de la paléogénétique et des données moléculaires sur la morphologie dentaire (Zanolli et al., 2017), cette nouvelle méthode quantitative est parfaitement adaptée à l'étude de l'évolution du shoveling des UI1.

138