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Conclusion du chapitre 3

Dans le document Les visages d'une académie (Page 119-123)

2. Méthodologie!: le récit des conditions d’enquête

3.3. Conclusion du chapitre 3

Les instances académiques, comme dans nous l’avons dit dans le premier chapitre, se vivent généralement comme un monde disjoint du monde des établissements, montrant ainsi que l’académie ne constitue pas un ferment nominal suffisamment performatif pour que les différents acteurs rencontrés se sentent appartenir à un même monde et passent sur les différences d’activités qui les séparent. De plus, comme nous l’avons montré dans le second chapitre, l’isolement de chaque instance académique et de chaque établissement ajoute au brouillage de l’échelle académique. L’académie constitue d’autant moins une référence identitaire que les mondes des instances académiques et des établissements sont à leur tour extrêmement fractionnés.

Dans cette partie, nous avons ainsi montré combien le monde des instances académiques était divisé. Divisé d’abord entre les différentes organisations académiques : rectorat d’une part, chacune des inspections académiques d’autre part. A l’intérieur même de ces organisations, les fractures sont extrêmement nombreuses. La division du travail et le poids de la ligne et des clivages hiérarchiques à l’intérieur de chacune de ces organisations font qu’il ne semble pas exister de point commun entre tous les différents acteurs, hormis peut-être celui de ne pas se sentir appartenir au même monde que celui des établissements et des enseignants. Les instances académiques apparaissent ainsi comme des mondes ayant toutes les difficultés à trouver des repères communs : « l’académie », en tous les cas, ne constitue aucunement un repère commun.

« L’académie » constitue certes un repère central pour les élites du rectorat : rectorat, secrétaire général, conseillers techniques, chefs de division, quelques chefs de bureau. Ceux-là agissent au nom de l’académie, qui est un découpage qui prend sens pour eux et qui devrait prendre encore plus de sens selon eux : le raisonnement en termes académiques permet ainsi à leurs yeux d’avoir une vision d’intérêt général — par exemple d’aménagement du territoire — qui dépasse les intérêts particuliers et les déséquilibres locaux. Mais les autres personnels du rectorat ne suivent guère cette logique : plus on descend dans la ligne hiérarchique du rectorat, moins on trouve de personnes ayant une activité ayant trait à l’académie, moins on trouve de personnes se sentant une quelconque appartenance ni institutionnelle, ni affective à l’académie de Lyon. Le monde d’appartenance et de référence pour ces acteurs, c’est celui du rectorat, parfois celui de l’Education Nationale, beaucoup plus souvent celui de l’administration au sens large.

On retrouve un constat analogue mais accentué dans les inspections académiques. Comme dans le rectorat, les « petits administratifs » se sentent très éloignés des visions globales des inspecteurs d’académie et de leur staff. S’ils veulent bien accepter de porter un regard sur le département qu’ils gèrent, ils ont énormément de difficultés à se référer à l’académie. Au contraire, « l’académie » signifie souvent seulement pour eux « le rectorat », un rectorat mal aimé pour ses tentations hégémoniques (sur les collèges notamment) et son dédain pour le 1er degré de l’enseignement. On retrouve d’ailleurs un même sentiment à la tête des inspections académiques, inspecteurs d’académie compris. Certes, ceux-là sont de par leur activité, souvent amenés à réfléchir en termes académiques mais ils sont aussi souvent amenés à défendre leur département, ainsi que

les prérogatives perçues comme menacées des inspections académiques. Dès lors, « l’académie » ne représente souvent pour eux qu’un découpage administratif qui les dessert (car justifiant une attribution globale de moyens par le ministère) ou bien encore un territoire qu’essaie de s’octroyer l’ « ogre » rectorat.

Dans les établissements, la profonde fracture qui oppose les chefs d’établissements aux enseignants fragilise à son tour les formes d’investissement dans l’espace académique. En effet, la division du travail et la logique hiérarchique, telles qu’elles sont mises en œuvre dans la plupart des établissements scolaires, font apparaître un sentiment d’une improbable, voire impossible communauté d’intérêts et de référence entre les différents acteurs locaux d’un établissement. En d’autres termes, la fracture est tellement profonde localement entre les enseignants et les non enseignants qu’aucun repère plus large (celui du département, celui de l’académie par exemple) ne semble pouvoir les rapprocher. On notera seulement, ce que nous développerons dans le prochain chapitre, que de par leur opposition tranchée aux enseignants, les chefs d’établissements trouvent des points communs avec d’autres acteurs académiques, qui donnent parfois sens et relief à l’espace académique.

« L’académie » n’a donc pas de réalité homogène dans les représentations des différents acteurs des instances académiques. Chez les interlocuteurs ministériels et les dirigeants du rectorat, elle est l’« échelon de base », un environnement suffisamment homogène pour être un territoire pertinent de gestion des moyens et de réflexion sur les initiatives pédagogiques. Dans les inspections académiques, le doute est plus grand sur la pertinence des limites de cet échelon de base : l’académie apparaît comme une nébuleuse trop diverse pour pouvoir répartir équitablement les moyens. Dans chacune des instances académiques, « l’académie » ne représente rien — ou seulement un slogan des chefs — pour les « petits administratifs », réduits par la structure hiérarchique et la division du travail au rang de simples exécutants. Dans les établissements enfin, l’ouverture des chefs d’établissement à l’espace académique ne semble prendre forme qu’en opposition aux logiques d’action des enseignants supposées cantonnées à l’espace de leur classe et de leur discipline, parfois à celui de leur établissement.

L’espace académique ne serait-il finalement un territoire que pour les dirigeants du rectorat, et un faux-semblant pour les autres acteurs de l’académie ?

Chapitre 4 : Ce qui fait lien, ce qui fait

l’académie

La mise en évidence des différentes fractures qui traversent l’académie nous a donné une première clé de lecture de l’espace académique et des façons dont le conçoivent les différents acteurs dits « académiques » mais ne se concevant pourtant pas nécessairement comme tels. Si l’académie est un découpage institutionnel que nul ne conteste fondamentalement, si c’est un espace d’action rectorale souvent bien identifié, l’académie ne représente pas pour beaucoup d’acteurs un territoire de référence commun, ou tout au moins elle ne représente pas un repère identitaire majeur, un lieu d’ancrage des pratiques, un territoire approprié comme tel. L’académie n’est-elle plus alors qu’un simple agrégat fictif, un produit de discours, une catégorie mystificatrice, un étendard sans territoire ?

Malgré les éléments de réponse déjà avancés, la réponse que notre enquête nous amène à donner à cette question n’est pas affirmative, tout au moins certainement pas dans un sens catégorique. Nous voudrions ainsi analyser dans ce chapitre ce qui fait lien dans l’académie, par delà tout ce qui ne fait pas lien. Ce chapitre se veut construit sur un regard décalé par rapport aux précédents, en insistant moins sur les fractures que sur les liaisons possibles, moins sur l’hétérogénéité que sur les formes de proximité. Il ne doit évidemment pas être compris comme un discours contraire au discours des précédents chapitres. Il s’appuie seulement sur un éclairage différent, reprenant les nuances de l’éclairage « fractal » jusque-là adopté, explorant les zones d’ombre et de lien que l’étude des fractures n’a que peu ou pas observées. Nous verrons d’abord que certains acteurs s’approprient l’académie comme un territoire d’action, comment ils le font et dans quelles circonstances. Nous verrons ensuite quelle peut être la spécificité de l’environnement académique de l’académie de Lyon par rapport à d’autres académies. Notre regard se portera ainsi sur ce qui peut donner une réalité autre qu’institutionnelle au découpage institutionnel académique.

Dans le document Les visages d'une académie (Page 119-123)