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La création d’une maison de force provinciale à

B. Conclusion : les causes de l’échec

Les causes de cet échec sont diverses et s’entremêlent. La principale cause fut certainement le problème du financement de l’établissement. Ce problème se trouva constamment au cœur des discussions et représenta une gêne considérable dans l’évolution des débats. En 1772, les Namurois se plaignirent constamment de la mauvaise santé des finances du comté, le tout à grand renfort d’effets dramatiques. Il s’agissait peut-être d’un moyen pour pousser le pouvoir central à accorder des subsides mais il y avait malgré tout une réelle difficulté de ce côté. Le contenu des caisses ayant été amoindri par la construction de la route vers Luxembourg et d’autres événements funestes (cherté des vivres, frais liés à l’occupation française durant la guerre de succession d’Autriche…), il ne restait que peu de moyens pour financer la construction d’un établissement aussi coûteux qu’une maison de force. Malgré l’insistance du gouvernement central, le pouvoir namurois ne put trouver de solution satisfaisante dans l’immédiat. Après avoir songé à plusieurs moyens de financement hasardeux (charité, œuvres de bienfaisance…), il fut finalement décidé de constituer progressivement une caisse de financement, et donc de reporter la construction. Cette solution ne fut toutefois pas appliquée en raison de l’opposition du Tiers-État.

Les discussions concernant l’état des finances contiennent souvent d’autres éléments problématiques en filigrane. Ainsi, le refus du clergé et le manque d’« instruction » de la noblesse semblent indiquer un certain défaut de conviction concernant les concepts nouveaux en matière pénale. Les trois membres des États de Namur étaient composés

 

63 AÉN, ÉN, n° 160, Documents relatifs à une maison de force, lettre de Pasquet, 29 décembre 1772.  

64

AGR, CPA, n° 1277, Maisons de force, lettre de Pasquet, 15 janvier 1773.  

65 Ibid., lettre anonyme, 21 décembre 1773 et lettre de Starhemberg à Fierlant, 20 décembre 1775.  

66 AÉN, ÉN, n° 160, Documents relatifs à une maison de force, lettre de Pasquet aux députés des États du Tournaisis, 11 novembre 1773.  

de nombreux aristocrates dont nous pouvons deviner les tendances conservatrices. Ces tendances ne s’exprimèrent certes pas à travers une stricte opposition au projet de maison de force mais furent peut-être la cause d’un manque de connaissance et d’assimilation des idées réformatrices. Nous avons eu l’occasion de voir que Desandrouin de Villers-sur-Lesse ne semblait pas avoir véritablement compris le principe de la maison de force. Nous n’irions pas jusqu’à dire qu’il ne la concevait que comme un lieu de détention préventive mais force est de constater que sa conception ne s’approchait guère du modèle de la prison moderne. Le mémoire du mayeur n’intégrait pas les caractéristiques qui faisaient l’originalité et la modernité du modèle gantois mêlant détention, travail et discipline afin d’atteindre la réintégration sociale. Nous savons pourtant que des exemplaires des mémoires de Vilain XIIII et de Fierlant furent mis à disposition des Namurois. Les plans que nous avons reproduits font montre de plus de considération pour les principes posés par ces deux auteurs (séparation par sexe et par nature du délit, isolement nocturne…). Il est malheureusement difficile de déterminer la manière dont l’auteur de ces plans considérait les finalités de la maison de force. D’autre part, les correspondances évoquent généralement l’utilité de la maison de force en des termes très généraux, insistant principalement sur son exemplarité. Il n’est presque jamais question de réhabilitation ou d’amendement du détenu, ce qui tend à prouver que la chose demeurait relativement méconnue.

L’orientation idéologique adéquate faisait peut-être défaut, ce qui expliquerait le manque de motivation que nous avons constaté. Les États étaient sans doute marqués malgré tout par une mentalité plus progressiste que celle régnant parmi les membres du Conseil provincial, aussi purent-ils reconnaître l’utilité de la maison de force. Ils n’étaient donc pas fondamentalement opposés au projet, et auraient d’ailleurs accepté plus aisément de bâtir l’établissement s’ils avaient reçu une aide de Bruxelles. Nous pouvons toutefois ressentir chez certains éléments un manque de conviction qui s’exprima tout au long des débats. La noblesse, qui ne s’estimait pas assez « instruite », et le clergé, qui refusa longtemps toute implication dans le projet, n’auraient peut-être pas adopté le même comportement s’ils avaient été absolument convaincus de la justesse et de l’importance de la chose. Seul le Tiers-État accorda dès le début un grand intérêt à la maison de force, et c’est pourtant lui qui marqua la fin du projet, au nom de motivations apparemment politiques. Le mode de décision politique en usage dans les États eut en effet une influence certaine sur l’évolution du projet. Au moment où apparut la question, le clergé se comporta de manière à conserver une certaine indépendance politique et à ne pas être associé aux décisions des autres membres. C’est finalement en s’opposant aux deux premiers membres que le Tiers-État mit fin au projet.

Nous le voyons, les causes de l’échec du projet sont diverses. Si les problèmes financiers préoccupèrent les Namurois tout au long des débats, ce furent finalement les conflits politiques qui empêchèrent la maison de force d’être construite. Force est de constater que le projet était pourtant assez avancé. L’emplacement avait été sélectionné et les bases de l’organisation interne avaient été posées par les mémoires et les plans. Naturellement, l’ensemble ne constituait qu’une esquisse, un croquis de la future maison de force. Il témoignait toutefois de la présence d’une bonne volonté chez certains Namurois, même si ceux-ci ne semblaient pas avoir pleinement conscience de l’utilité réelle de la maison forte. Les débats, quoique souvent teintés d’un enthousiasme sincère, montrent bien qu’il devait y avoir un manque de connaissance réel concernant l’intérêt d’un tel établissement et celui des nouveaux

principes de la révolution pénale d’une manière générale. Il ne s’agit sans doute pas à proprement parler d’un conservatisme solidement ancré - du moins en ce qui concerne les États - mais bien d’une mauvaise assimilation des idées réformatrices. Était-il possible, dans ces conditions, de construire un établissement pénitentiaire d’une telle modernité ? Le projet semblait en bonne voie, et sans doute aurait-il pu aboutir s’il n’avait été freiné par des difficultés économiques et politiques. À ce titre, une contribution financière de Bruxelles aurait vraisemblablement donné un coup de fouet salutaire au projet.

Ainsi, le gouvernement central ne put obtenir du comté de Namur qu’il bâtisse sa propre maison de force. D’autres provinces mirent à mal les desseins du pouvoir central, la Flandre et le Brabant étant finalement les seules provinces des Pays-Bas autrichiens à s’être dotées de leur propre maison de force. De ce point de vue, le cas du Namurois ne constitue pas une exception : nous pourrions le considérer de la même manière que les cas du Hainaut, du Tournaisis, de Malines, de la Gueldre, du Limbourg et du Luxembourg. Pourtant, même s’il se solda par un échec dans toutes ces provinces, le projet de construction de maisons de force provinciales n’y connut pas le même degré d’accomplissement. Le dossier namurois est à notre sens particulièrement riche : tandis que les négociations semblent parfois se perdre dans un enchevêtrement complexe de questions politiques et financières, nous voyons apparaître différents éléments tendant à concrétiser ce projet de maison forte. Les mémoires et les plans peuvent parfois paraître incomplets ou limités dans leurs vues, mais ils font en tout cas montre d’un engagement certain dans la question. Ceci rend d’autant plus difficile la tâche de trouver une explication complète à cet échec.

Éditeurs

Sarah Auspert est maître en histoire moderne (2009) et en sociologie et anthropologie

(2010) de l’Université catholique de Louvain et aspirante FRS-FNRS au Centre d’histoire du droit et de la justice (UCL). Sous la direction du professeur Xavier Rousseaux, elle prépare une thèse sur la circulation des prostituées dans l’espace « belge » entre 1750 et 1815.

Isabelle Parmentier est professeur au département d’histoire des Facultés

universitaires de Namur, où elle dirige le Pôle de l’histoire environnementale (PolleN). Elle enseigne l’histoire des Temps Modernes et ses recherches portent essentiellement sur l’histoire urbaine. Elle a notamment publié : Histoire de l’environnement en Pays de Charleroi, 1730-1830. Pollution et nuisances dans un paysage en voie d’industrialisation, Bruxelles, 2008 (Académie royale de Belgique. Mémoire de la Classe des Lettres, coll. in-8°, 3e sér., XLVII, n° 2055) ; et, avec la collaboration de Carole LEDENT, La recherche en histoire de l’environnement : Belgique-Luxembourg-Congo-Rwanda-Burundi, Namur, 2010 (Presses universitaires de Namur. Collection Autres futurs, n° 3).

Xavier Rousseaux est maître de recherche du Fonds national belge de la recherche

scientifique (FRS-FNRS) et professeur extraordinaire à l'Université catholique de Louvain à Louvain-la-Neuve. Il y dirige le Centre d'histoire du droit et de la justice. Spécialiste d’histoire du crime et de la justice, il a coédité les ouvrages suivants sur la justice d’Ancien Régime : avec Marie-Sylvie DUPONT-BOUCHAT, Crimes, pouvoirs et sociétés (1400-1800). Anciens Pays-Bas et principauté de Liège, Courtrai-Heule, 2001 ; avec Maria ÅGREN et Åsa KARLSSON, Guises of Power. Integration of Society and Legitimation of Power in Sweden and the Southern Low Countries, ca 1500-1900, Uppsala, 2001 ; avec Aude MUSIN et Frédéric VESENTINI, Violence, conciliation et répression. Recherches sur l’histoire du crime, de l’Antiquité au XXIe siècle, Louvain-la-Neuve, 2008 ; avec Bernard DAUVEN, « Préférant miséricorde à rigueur de justice ». Pratiques de la grâce (XIIIe-XVIIe siècles), Louvain-la-Neuve, 2012 et avec Marie-Amélie BOURGUIGNON et Bernard DAUVEN, Amender, sanctionner et punir. Histoire de la peine, du Moyen Âge au XXe siècle, Louvain-la-Neuve, 2012.

Auteurs

Romy Gouverneur, diplômée en 2009 d’une maîtrise en histoire moderne à l’UCL,

occupe un poste d’assistante aux Archives de l’État à Tournai. Elle débute une thèse de doctorat sur la salubrité publique à Tournai aux XIXe - XXe siècles.

Maître en histoire moderne de l’UCL depuis 2009, Virginie Neuville est animatrice et formatrice en tourisme au sein de l’Association interrégionale de guidance et de santé, notamment active dans l’organisation d’évènements culturels et la promotion sociale en province de Liège.

Maxime Tondeur a terminé en 2012 sa maîtrise en histoire moderne à l’UCL. Son

mémoire portait sur la politique militaire mise en œuvre dans les Pays-Bas autrichiens entre 1748 et 1763.

Kevin Troch, titulaire d'une maîtrise en histoire moderne de l’UCL depuis 2009 et

ancien collaborateur didactique au Département d’histoire des FUNDP, est attaché scientifique aux Archives de l'État à Mons. Il travaille sur le projet GARDEN (Guide on Archives regarding Environmental History in Belgium, 18th-20th century) soutenu par la Politique scientifique fédérale (BELSPO) et co-dirigé par les AEM et les FUNDP.

 

 

173  

Figures

Fig. 1 – Plan de la ville de Namur figurant l’emplacement du couvent des Carmélites et de ses dépendances

Légende : 1 : Couvent des Carmélites. 2 : Jardin du couvent. 3 : Pourrerie. 4 : Blanchisserie de l’Étoile (d’après AÉN, CP, n° 32a, Namur, 1736).

Fig. 2 – Plan du couvent des Carmélites

D’après AGR, CPA, n° 1277, Maisons de force, Plan des batimens et terreins des Carmélites Chaussées, de la

 

 

174  

Fig. 3 – Plan simplifié des environs de la Pourrerie et de la Blanchisserie de l’Étoile

D’après AGR, CPA, n° 1277, Maisons de force, Plan des batimens et terreins des Carmélites Chaussées, de la

 

 

175  

Fig. 4 – Plan de maison de force n° 1, se basant sur le couvent (photographie de l’original)

 

 

176  

Fig. 5 – Plan de maison de force n° 1, se basant sur le couvent (reproduction)

D’après AÉN, CP, n° 143, Namur, maison de force (quartier des Dames-Blanches), s.d. [1772-1773].

Fig. 6 – Plan de maison de force n° 2, se basant sur le couvent (reproduction)

 

 

177  

Fig. 7 – Plan de maison de force n° 2, se basant sur le couvent (photographie de l’original)

 

 

178  

Fig. 8 – Plan de maison de force n° 3, se basant sur le couvent (photographie de l’original)

AÉN, CP, n° 143, Namur, maison de force (quartier des Dames-Blanches), s.d. [1772-1773].

Fig. 9 – Plan de maison de force n° 3, se basant sur le couvent (reproduction)

 

 

179  

Fig. 10 – Plan de maison de force n° 4, se basant sur la Pourrerie (photographie de l’original)

 

 

180  

Fig. 11 – Plan de maison de force n° 4, se basant sur la Pourrerie (reproduction)

 

 

181  

Fig. 12 – Plan de maison de force n° 5, se basant sur la Pourrerie (photographie de l’original)

AÉN, CP, n° 143, Namur, maison de force (quartier des Dames-Blanches), s.d. [1772-1773].

Fig. 13 – Plan de maison de force n° 5, se basant sur la Pourrerie (reproduction)

 

 

182  

Fig. 14 – Plan de maison de force n° 6, se basant sur la Pourrerie (photographie de l’original)

AÉN, CP, n° 143, Namur, maison de force (quartier des Dames-Blanches), s.d. [1772-1773].

Fig. 15 – Plan de maison de force n° 6, se basant sur la Pourrerie (reproduction)

 

 

183  

Table des matières

Introduction  ...  3  

Isabelle  P

ARMENTIER

 et  Xavier  R

OUSSEAUX

 

 

Plein  comme  un  pot  !  Les  cabarets  et  la  boisson  à  Namur  durant  la  première  moitié  du  

XVIII

e

 siècle  ...  15  

Kevin  T

ROCH

 

 

La  criminalité  collective  en  milieu  urbain  au  XVIII

e

 siècle.  Une  bande  de  filoux  et  coupeurs  

de  bource  arrêtée  à  Namur  en  décembre  1731  ...    47  

Sarah  A

USPERT

 

 

La  perception  et  la  prise  en  charge  des  insensés  dans  le  Namurois  au  XVIII

e

 siècle  ...  83  

Romy  G

OUVERNEUR

 

 

Prison  et  réforme  pénale  à  Namur  aux  temps  des  Lumières  ...  115  

Sarah  A

USPERT  

et  Virginie  N

EUVILLE

   

 

Une  modernisation  avortée.  La  création  d’une  maison  de  force  provinciale  à  Namur  

(1772-­‐1775)  ...  149  

Maxime  T

ONDEUR

 

 

Éditeurs  ...  169  

Auteurs  ...  171  

Figures  ...  173