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La démarche prospective réalisée a permis de penser conjointement, transformations dans l’agriculture et changements dans le système de R&D agricole. Imaginer des scénarios pour le système de R&D sans imaginer les agricultures de demain aurait probablement restreint les possibilités d’exploration du sujet. Le résultat de ce travail se prête à une appropriation et une lecture stratégique par acteur ; chacun peut chercher à s’adapter en optant pour un scénario de référence, sur lequel il mise, ou chercher à développer une capacité d’adaptation à plusieurs options.

Mais on peut aussi tenter une lecture inversée et s’interroger sur le sens de l’information donnée. Par exemple, les scénarios où les acteurs publics conservent un rôle plus important sont ceux les plus favorables à la préservation d’un environnement de qualité. Les autres scénarios sous-estiment peut-être l’influence des consommateurs sur les modes de production et sur les stratégies des entreprises et des industries. Dans le cas suisse, comme le rappelait dans sa présentation D. Barjolle, la FiBL, en charge de la recherche et du conseil pour l’agriculture biologique, est une fondation de droit privé. Par ailleurs, les deux acteurs de la grande distribution, par le développement de rayons de produits biologiques, infléchissent les productions agricoles en essayant de favoriser en même temps l’origine suisse de ces produits.

Que disent les profils de systèmes de R&D agricole issus des scénarios sur les 6 enjeux initialement identifiés ?

Les échelles de travail

La méthodologie adoptée a conduit à penser le système de R&D français dans un contexte européen et mondial, économique, agricole et de société. Les firmes internationales dans le scénario 4 deviennent très influentes sur les acteurs français, c’est la globalisation des échanges qui s’impose. Les scénarios 1 et 2 sont les plus ancrés dans les territoires et requièrent une recherche et un conseil sur mesure fondés sur les spécificités locales. Les scénarios 3 et 4 sont des scénarios européens où les décisions de Bruxelles structurent les stratégies économiques du secteur agricole. Le projet pro-AKIS repérait une régionalisation du conseil qui s’opère en Allemagne, Belgique, Espagne, Italie, Royaume Uni. Elle s’accompagne d’un éclatement des conceptions des systèmes de conseil80. Les résultats des scénarios mettent moins en évidence cette configuration de système de R&D, à l’exception du scénario 1 où l’échelle régionale est structurante et dans une moindre mesure le scénario 3 où les Régions encouragent leurs champions industriels, alors que la régionalisation était aussi le moteur d’un des trois scénarios proposés dans le rapport d’évaluation du développement agricole81.

Les modalités de travail entre organismes

Les recherches sur le conseil et les systèmes de connaissance montrent des frontières de plus en plus poreuses entre les métiers et les champs de compétence. D’ailleurs, des concurrences s’exercent quand les organismes proposent des services classiquement assumés par d’autres82 ou s’engagent dans le conseil alors qu’auparavant leur travail s’arrêtait à la recherche. On retrouve ces débats actuellement, D. Barjolle soulignait qu’en Suisse, il a été déjà envisagé d’intégrer le service Agridea de vulgarisation agricole aux stations fédérales de recherche agronomique, Agroscope83. Les scénarios modifient les places occupées par les acteurs. Pour chacun des scénarios, les champs de compétences bougent et certains acteurs en évincent d’autres. Les scénarios 3 et 4 indéniablement affaiblissent le secteur public. Or la pluralité des acteurs, par la diversité des sources d’information et de connaissance, est souvent perçue comme garante de la qualité de services apportée aux agriculteurs ; mais elle est aujourd’hui controversée car ce système fragmenté pose la question du renouvellement des connaissances des conseillers84.

Les acteurs majeurs de l’innovation

Les agriculteurs ont davantage leur place dans l’innovation dans les scénarios 1 et 2. Dans les scénarios 3 et 4, les agriculteurs perdent de l’autonomie et les innovations sont plutôt « top down ». Ainsi les scénarios fondés sur une action publique forte tendraient à davantage valoriser les capacités d’innovation des agriculteurs et leurs réservent une place dans le système de R&D comme acteur à part entière. Aujourd’hui, des agriculteurs expérimentent déjà eux-mêmes, voire s’émancipent des organisations en place. P.Labarthe parle d’une hypersonnalisation du conseil observée aujourd’hui

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Communication de Pierre Labarthe, 15 octobre 2014 81 Hervieu et al., op.cit.

82

Hellec et Deville, op.cit. 83

Communication de Dominique Barjolle, le 15 octobre 2014.

84 Tchuisseu R., Labarthe P. 2015. Privatisation du conseil et nouvelles logiques de performance des services, In Compagnone C., Goulet F., Labarthe P. (coord). Le conseil privé en agriculture. Acteurs, pratiques, marché. Educagri/editions Quae, pp. 13-

72 quand plusieurs agriculteurs recrutent un conseiller à leur service, qui fera du sur-mesure par rapport à leurs attentes85. Certains agriculteurs en nouant des partenariats avec la recherche sans l’intermédiation des instituts techniques agricoles ou des Chambres brouillent la chaîne classique de diffusion du « progrès » agricole. Dans tous ces cas, on peut s’interroger sur les acteurs exclus et qui seront les agriculteurs bénéficiaires du système de demain, sachant que ceux dont la taille d’exploitation est plus petite ou aux moyens faibles, risquent d’être marginalisés par les évolutions tendancielles à l’œuvre.

Les thématiques couvertes

Dans cette prospective, l’environnement est abandonné comme thématique dans le scénario 4 où les innovations sont plutôt dans l’agroéquipement et les biotechnologies. Le scénario 1 est celui qui développe le plus largement la thématique de l’environnement de manière systémique, presque selon une écologie territoriale, en intégrant les changements globaux avec l’atténuation du changement climatique. Dans le scénario 2, l’environnement a à voir avec le terroir et il a une fonction plus utilitaire servant d’attribut à la qualité des produits et atout de démarcation dans la vente. Le scénario 3 oriente le système de R&D vers l’énergie avec une valorisation de la biomasse agricole. La chimie verte et les biomatériaux dotent l’environnement d’un caractère productif dans une visée strictement industrielle. L’environnement est pris en compte de manière territorialisé dans les scénarios 1 et 2 et devient a-territorial dans les 3 et 4. Les travaux récents sur le conseil en France et à l’étranger86s’interrogent sur la nature, la qualité et la propriété des connaissances produits dans ces « nouveaux » systèmes de R&D, un enjeu transversal important tant pour la recherche que pour le conseil qui a besoin de connaissances renouvelées.

La place des innovations numériques

Dans chacun des scénarios, la gestion des données agricoles (au sens large) et les outils du numérique ont une place importante, cependant leur usage diffère en fonction des scénarios. La maîtrise des données échappe complètement aux agriculteurs et au secteur public dans le scénario 4 alors que dans le scénario 3, les données majoritairement contrôlées par le secteur privé trouvent des valorisations pour certaines missions d’intérêt public. Les scénarios posent tous la question de qui génère et qui gère l’information, comme indicatrice de rapports de pouvoirs. Les outils du numérique pourraient conduire à des conseils types délivrés à distance sans face à face, ou à un « by-pass » du conseil87 par le recours à des plateformes d’information et des outils d’aide à la décision amenant à se passer de l’interaction entre agriculteur et conseiller.

Le fonctionnement économique du système

Les scénarios rebattent les cartes et la place des acteurs publics et privés s’en trouve changée. Le scénario 2 met en avant une synergie possible public-privé notamment avec le rôle joué par les firmes de l’aval, de la transformation en particulier, dans la recherche d’une qualité des produits. Dans le scénario 3, les partenariats publics-privés sont orientés vers le développement d’innovations industrielles. Le schéma du système de R&D du scénario 4 a migré vers un rôle croissant des acteurs du privé. Ce scénario se traduit par une perte d’autonomie des acteurs de la recherche publique dans les thématiques traitées et du conseil public qui voient leurs actions conditionnées aux financements privés. Le rôle de l’Etat est alors cantonné à ses missions de sécurité publique.

Probablement, une part de chaque scénario est aujourd’hui à l’œuvre et tous détiennent une connaissance utile à la réflexion que l’on souhaite ou non tel ou tel scénario. Le système de R&D français complexe et pluriel reste un atout pour l’agriculture dans la mesure où il anticipe des évolutions que cette prospective permet d’esquisser.

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Communication P.Labarthe, 15 octobre 2014.

86 Labarthe P., 2014. AKIS and advisory services in France. Report for the AKIS inventory (WP3) of the PRO AKIS project [en ligne]: http://www.proakis.eu/

Compagnone, Goulet, Labarthe 2015, op.cit.

Klerkx L., Proctor A., 2013. « Beyond fragmentation and disconnect : Networks for knowledge exchange in the English land management advisory system », Land Use Policy, 30 (1): 13-24.

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