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on peut constater la montée en puissance de l’École des Beaux-Arts au cours du XIXe siècle. Son influence se développe : d’une part, parce qu’elle réussit à conserver auprès de l’État un certain prestige, dans la lignée de celui que possède l’Académie sous l’Ancien Régime. D’autre part, par sa position dominante dans les débats, qu’elle contrôle puisqu’ils se réalisent en son sein ou entre ses acteurs. Ainsi, elle acquiert une capacité de résistance aux réformes venues de l’extérieur, comme l’échec de la réforme de 1863 le démontre. Autrement dit, elle réussit à acquérir un système suffisamment reconnu et suffisamment clôt pour qu’il ne soit remis en question que par lui-même. Dans le même temps, ses liens avec le monde

professionnel se distendent : on observe une première critique forte dans la deuxième moitié du XIXe siècle, celle-là même qui mène à la réforme avortée de 1863 et la création de l’École Centrale d’Architecture. Suite à cela, le contenu des études continue d’être dénoncé car

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trop éloigné des réalités professionnelles. Un décalage est notamment constaté entre les sujets théoriques donnés aux étudiants, en particulier ceux qui constituent le Grand Prix de Rome, et la réalité de la commande reçue par la majorité des architectes ensuite (Moulin 1973).

Au début du XXe siècle, le décalage se fait plus fort. En effet, l’industrialisation et l’urbanisation

croissante de la population française modifient les enjeux dont les architectes doivent se saisir. On peut citer l’utilisation des progrès industriels dans l’architecture, la naissance de la politique publique de développement des logements sociaux ou encore la naissance de l’urbanisme. « L’architecture n’est plus celle des monuments » analyse Louis Callebat (Callebat 1998). Les architectes modernes se saisissent largement de ces nouveaux enjeux, alors que l’École des Beaux-Arts en est incapable. De plus, ils deviennent une force de débat, publiant leurs nouvelles théories dans la célèbre revue Architecture d’Aujourd’hui, par exemple, mais aussi en organisant des congrès nommés Congrès international des architectes modernes. À la suite du premier congrès, on dénommera d’ailleurs les architectes adhérant à cette thèse « les architectes des CIAM » (Champy 2011). C’est aussi pour eux une manière de se regrouper, de se reconnaître et de devenir une force influente. Le débat sur ce qui fait architecture, qu’on peut appeler la doctrine, jusque-là particulièrement maîtrisé par l’École des Beaux-Arts, passe ainsi dans le monde professionnel : beaucoup de sociologues analysent ainsi cette période comme le début de la perte d’influence des Beaux-Arts. Armand Frémont

émet dans son rapport (1992) le constat suivant : « L’École perd le contrôle d’un débat

qu’elle ne récupérera plus ».

Nous pouvons en faire l’analyse suivante : Dans un premier temps, l’École des Beaux- Arts s’attache à répondre à la vocation première de l’institution, à savoir alimenter le groupe des architectes des bâtiments civils et des palais nationaux. L’enseignement n’est pas destiné à alimenter les ateliers d’architectes. Toutefois, un lien fort se met en place entre les patrons d’ateliers et leurs élèves qu’ils finissent par embaucher – et ceci avec l’avantage que l’enseignant adapte directement la formation aux attentes du patron, puisqu’il s’agit de la même personne. Un équilibre se met ainsi en place.

Cet équilibre, qui témoigne de la réussite de l’enseignement, permet à l’École des Beaux- Arts d’obtenir une reconnaissance de la part de l’État et d’une partie de la profession et ainsi d’atteindre une autonomie dans la structuration de sa formation : seuls l’école et les acteurs qui la font vivre sont en capacité de la remettre en question.

La création du diplôme de 1874 fait naître une nouvelle vocation pour l’enseignement, à savoir alimenter le métier de manière plus générale. Dès lors, le décalage existant entre l’enseignement et le métier, qui existe parallèlement entre les acteurs de l’école et l’ensemble des architectes – seuls les

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grands architectes enseignent à l’école et ne reflètent pas la diversité des pratiques de l’architecture – est impactant. Or, à cet instant, il est désormais impossible d’adapter l’enseignement au métier.

Nous pouvons alors nous demander quelle influence l’école des Beaux-Arts a-t-elle véritablement dans le milieu de l’architecture. Nous pouvons

émettre un premier constat, à savoir que si l’École des Beaux-Arts est institutionnalisée dès le début du XIXe siècle, l’apprentissage de l’architecture dans des ateliers d’architecte est encore très courant. C’est d’ailleurs cet apprentissage qui permet à une partie des architectes, notamment en province, de se renouveler.

Comment le groupe des architectes, dans son ensemble, se renouvelle-t- il tout au long du XIXe siècle ?

Ensuite, il est vrai que c’est bien l’émergence de l’École des Beaux-Arts, les débats qui en naissent et les enjeux qu’elle soulève qui entraînent la création de sociétés d’architectes. Ces sociétés contribuent à l’organisation de la formation, nous l’avons vu. Elles permettent également aux architectes de se reconnaître entre eux, par le biais de la cooptation, ce qui constitue un premier pas vers l’organisation du métier.

Comment en arrive-t-on à cette cooptation, alors qu’au début du XIXe siècle, il n’existe pas de distinction entre architecte et entrepreneur ?

Comment les architectes s’organisent-ils pour parvenir à la réglementation de l’exercice que nous connaissons aujourd’hui ?

Pour explorer ces questions, nous allons observer l’histoire des architectes avec, cette fois, la pratique du métier comme porte d’entrée.

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CHAPITRE II