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Partie III : Le tabac et les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin

A. Concernant la MC

1. Les effets du tabagisme au cours de la maladie de Crohn

a. Au niveau symptomatique

Holdstock et al ont été les premiers à mettre en évidence que les fumeurs atteints de MC connaissent plus de rechutes, avaient des douleurs abdominales plus importantes, un risque d’hospitalisations plus important et des interventions chirurgicales plus nombreuses par rapport aux non-fumeurs (63). D’autres études se sont intéressées aux conséquences cliniques des effets du tabac dans les MICI. Russel et al. ont évalué la qualité de vie de femmes souffrant de MC à l’aide du questionnaire Inflammatory Bowel Disease Questionnaire (IBDQ), cette étude rapporte que les femmes continuant à fumer ont une moins bonne qualité de vie avec des symptômes intestinaux et généraux plus importants ( surtout chez la femme jeune) ainsi que des troubles émotionnels(102).

b. Au niveau topographique

Concernant la topographie et les formes cliniques de la MC impactées par le tabagisme, certaines études divergent. Fumer a été associé à un risque élevé de localisation iléale et une atteinte colique moins importante (102). Cependant Cosnes et al, ne trouvent pas cette corrélation entre tabagisme et localisation de la maladie, ainsi que Tobin et al et Zabana et al.(103). En 1995, Politi et al, a montré que dans la population juive on retrouvait un lien entre

82 tabagisme et formes fistulisantes .La présence de fistules et d’abcès est plus importante chez les fumeurs que chez les non-fumeurs d’après une étude de Lindberg et al.(79) Deux autres études de 2003, montrent que le tabagisme est associé à une augmentation de la prévalence de formes fistulisantes ou sténosantes et à une moindre prévalence des formes purement inflammatoires. Cependant, dans l’étude de Loftus et al. en 2002, les fumeurs ont plus souvent des formes inflammatoires pures que des formes sténosantes ou fistulisantes.(61)

c. Au niveau de l’évolution de la pathologie

Chez les fumeurs, l’évolution de la MC est aggravée par rapport aux non-fumeurs. On retrouve un risque augmenté de poussées (RR : 1.35) et une activité accrue de la maladie. Karczewski et al en 2014 mettent en évidence que la proportion de patients asymptomatiques (score Crohn disease Activity Index <150) est d’autant plus importante que la consommation tabagique du patient est moindre : on retrouve 44% de patients asymptomatiques chez les ex-fumeurs, 30,8% chez les sujets n’ayant jamais fumé et 9.1% chez les fumeurs. Cette étude montre que les patients fumeurs ont tendance à avoir une maladie plus grave que les anciens fumeurs ou non- fumeurs et un taux d’hospitalisation plus important ( à partir de la deuxième hospitalisation : 39.4%) (59) . Cosnes et al. en 1999, montrent que 46% des fumeurs ont présenté une poussée de leur maladie contre 30% chez les non-fumeurs et 23% chez les anciens fumeurs. Ce risque de poussée serait soumis à un effet dose dépendant et retrouvé à partir d’une consommation de 15 cigarettes par jour (61). Dans l’étude de Seksik et al. les « petits » fumeurs (1 à 10 cigarettes /jour) ont une évolution plus sévère de leur maladie par rapport aux non-fumeurs. Le taux d’hospitalisations que l’on soit « petit » ou « gros » fumeur est augmenté par rapport aux non- fumeurs et montre donc que le tabagisme est néfaste quel que soit la dose. Concernant l’impact du tabagisme sur le risque de récidive, on constate une augmentation du taux de récidive de la maladie ainsi qu’un risque plus élevé de résection intestinale, ou du besoin d’une nouvelle intervention chez le patient déjà opéré. Sur l’ensemble des études portant sur l’effet du tabac et le risque de récidive de MC, deux études n’ont pas montré de liens : Medina et al. ne retrouvent pas de corrélation significative entre tabagisme et taux de récidives après chirurgie, et Cosnes et al. ne retrouvent pas de différence significative concernant le besoin en exérèse chirurgicale que ce soit la première ou seconde interventions (61)(103).

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d. Au niveau des traitements médicamenteux

Les études portant sur l’impact du tabagisme et les besoins en traitement médicamenteux sont relativement nombreuses. Les besoins en corticoïdes sont augmentés chez les patients fumeurs. Cosnes et al montrent que les fumeurs ont un besoin plus important en corticoïdes et immunosuppresseurs par rapport aux non-fumeurs. Le besoin en immunosuppresseurs se retrouve tout de même significativement plus important chez les femmes que chez les hommes (RR = 2.61, RR= 0.77 respectivement) (103). Concernant les anti-TNF, Nunes et al. démontrent dans leur étude que les patients fumeurs atteints de MC ont, en dépit de l’utilisation d’immunosuppresseurs et anti-TNF, une maladie aggravée et une exigence thérapeutique plus importante que les non-fumeurs.(104) Une autre étude prospective réalisé avec 74 patients atteints de la MC traités par infliximab rapporte que les fumeurs sont significativement moins réceptif au traitement que les non-fumeurs (OR=0.22)(77). Cependant quelques études ne sont pas en accord avec tabagisme et augmentation des besoins en anti-TNF. L’étude espagnole Tabacrohn, montre que le tabagisme est un facteur prédictif indépendant de la nécessité d’utilisation des anti-TNF et de leur poursuite. Pour finir, un des effets délétères du tabagisme souvent retrouvé est le risque d’ostéoporose chez la femme atteinte de MC.

2. Les effets de l’arrêt du tabac

De nombreuses études ont montré que l’arrêt du tabac améliore l’histoire naturelle de la maladie de Crohn. Une étude prospective de Cosnes et al, sur 59 patients atteints de MC ayant arrêté de fumer après une intervention de sevrage a été publiée en 2001. Elle montre que les bénéfices de l’arrêt du tabac sont visibles un an après l’arrêt. En considérant le taux d’épisodes aigus et les besoins thérapeutiques, la sévérité de la maladie était identique entre les patients n’ayant jamais fumé et chez ceux qui avaient arrêté de fumer. Le risque de poussée de la maladie est diminué de 65% pour les patients ayant arrêté de fumer comparé à ceux qui ont continué. Figure 6. Les patients sevrés ont moins recours aux corticoïdes, et semblent ne plus avoir besoin d’augmenter les doses d’immunosuppresseurs ou de commencer ce type de traitement (67). Une autre étude de Cosnes et al. met en évidence que, parmi les patients qui ont arrêté de fumer au moins 1 an avant l’inclusion, le sevrage tabagique réduit de façon significative le recours à la chirurgie (103). Cottone et al montraient en 1994, que le risque de récidives post chirurgicales

84 aux niveaux endoscopique et clinique chez les anciens fumeurs rejoignait celui des non-fumeurs après un an de sevrage (60).

Des études récentes démontrent l’impact positif de l’arrêt du tabac dans la MC : Nunes et al, dans une étude de cohorte prospective incluant 573 patients atteints de MC, montre que les patients qui continuent à fumer ont un risque de rechute de la maladie plus important, mais que les patients qui arrêtent de fumer ont une incidence de rechute équivalente aux personnes n’ayant jamais fumé (105). La méta-analyse de Mahid et al. en 2006 ne retrouve pas d’association positive entre tabagisme et MC chez les anciens fumeurs (OR = 1.30) (58) et Higuchi et al. en 2012 trouvent une association positive entre tabagisme et MC chez les anciennes fumeuses mais moins importante que chez les fumeuses actuelles (Hazard ratio HR= 1.35, HR= 1.90 respectivement) (61).

Ces études sont des preuves robustes d’un effet bénéfique de l’arrêt du tabac dans la MC. L’effet de l’arrêt du tabac a la même efficacité que l’introduction d’un traitement immunosuppresseur. De plus, une étude de 2003, montrant un lien entre statut tabagique et efficacité de l’infliximab dans le traitement de la MC, met en évidence que les fumeurs sont moins répondeurs à un traitement par l’infliximab et sont susceptibles d’avoir plus de rechutes que les non-fumeurs (106).

Figure 11. Courbes de Kaplan-Meier du risque de poussées chez les patients ayant arrêté de fumer, ceux qui ont continué à fumer et les non-fumeurs. Les chiffres sur les courbes indiquent le nombre de patients à risque dans chaque groupe à 18 et 36 mois après l’inclusion, respectivement. La valeur P se réfère à la comparaison entre les patients sevrés et ceux qui ont continué à fumer. Figure de Cosnes et al. 2001 (107)

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Résumé des effets délétères du tabac au cours de la maladie de Crohn (61)(63) - Qualité de vie altérée, douleurs abdominales plus importantes

- Augmentation du risque de poussées, complications et récidives - Augmentation des hospitalisations et interventions chirurgicales - Prises plus importantes de corticoïdes et immunosuppresseurs

Une récente méta-analyse corrobore l’ensemble de ces effets et conclue que les fumeurs actifs atteints de MC ont plus de complications que les non-fumeurs : plus de poussées de la maladie (OR= 1.56 95 % IC 1.21-2.01) et notamment après chirurgie (OR=1.97 95% IC 1.36-2.85), ainsi que plus d’interventions chirurgicales (OR=1.68 95% IC 1.33-2.12).

L’arrêt du tabac améliore les symptômes et l’évolution de la maladie : les odd ratios retrouvés sont comparables à ceux des non-fumeurs. Dans le cas du risque de poussées de la maladie après une seconde intervention, l’OR est significativement diminué par rapport aux fumeurs (108).