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CHAPITRE I – ÉVOLUTION CONCEPTUELLE ET SOCIO-HISTORIQUE DES TROUBLES MENTAUX À L’ÉTUDE

1.1.2 Conceptualisations sociologiques

Contrairement aux médecins et aux psychologues, les sociologues n’ont pas contribué directement au développement de la conceptualisation du TDA/H et de sa mesure, mais leur rôle n’en est pas moins important. En plus de proposer des conceptualisations alternatives, ils suggèrent une étiologie sociale du trouble qui se distingue de l’étiologie médicale ou psychologique (Conrad, 2006), en portant un regard unique sur les conditions sociales et contextuelles qui ont permis l’émergence du concept d’hyperkinésie (Rafalovich, 2001; Singh, 2002).

Hyperkinésie : comportements déviants

La déviance est désignée par un groupe qui a une habileté à légitimer et à renforcer les définitions préconisées de la déviance (Conrad & Schneider, 1992). Dans le cas de l’hyperkinésie, les comportements d’hyperactivité, d’inattention et d’impulsivité des enfants, lorsqu’ils sont manifestés à une certaine intensité, sont désormais considérés déviants (Conrad, 2006), car ils dérogent des normes comportementales établies par un groupe influent ou un système donné (Conrad & Schneider, 1992), notamment l’école et la maison. Il est rapporté que ces comportements sont plus souvent identifiés et définis comme étant déviants par les enseignants, ou même par les parents (Conrad, 2006). L’entrée en vigueur de l’éducation massive, vers la fin du 19e, début du 20e siècle, a pu favoriser l’identification des problèmes d’indiscipline des enfants (Brancaccio, 2000). Cet événement a modifié la structure scolaire, ainsi que les techniques d’enseignement, ce qui a imposé le respect d’une routine, d’une discipline et d’un cheminement scolaire qui ne conviennent pas à tous. Afin de ne pas nuire à l’ordre et à la discipline de la classe, les enfants ont donc été fortement encouragés à manifester des comportements précis, ce qui a contribué à la mise en place de normes sociales précises à respecter dans le contexte scolaire. Conséquemment, toute transgression a pu être plus facilement identifiée comme une déviance.

Hyperkinésie : Médicalisation des comportements déviants

Alors que la déviance a longtemps été désignée comme péché ou criminelle, elle est, depuis le début du 20e siècle et de l’ascension du pouvoir du paradigme médical, perçue comme une maladie (Conrad & Schneider, 1992). Cette médicalisation a été facilitée par le contexte social et idéologique prévalant au début du 20e siècle, époque à laquelle certains chercheurs ont entrepris l’étude de la santé mentale des personnes ne présentant ni handicap mental, ni malformation cérébrale, bref des personnes dites « normales » (Rafalovich, 2001). Les comportements maladroits des individus, notamment un non-respect des lois et un manque de compétences sociales, étaient diagnostiqués sous l’appellation « imbécillité morale » (Rafalovich, 2001). Ainsi, le fait de déroger aux règles, d’ordre juridiques ou morales, ou aux normes établies par un système social précis mène désormais à la prise en charge des individus par les instances médicales. Dans ce contexte, les comportements d’hyperactivité, d’impulsivité et d’inattention des enfants ont pu être considérés déviants (Conrad, 2006) par rapport aux normes établies de la sphère familiale et plus particulièrement du système scolaire. Ces comportements sont désormais décrits et caractérisés par un diagnostic psychiatrique et sont traités à l’aide d’interventions médicales, principalement de nature pharmacologique (Conrad & Schneider, 1992). L’apparition de ce processus social a grandement influencé la conceptualisation médicale actuelle de l’hyperkinésie, ainsi que le choix du traitement pour atténuer les symptômes.

Hyperkinésie : Médicalisation de la sous-performance

L’expansion du diagnostic d’hyperkinésie aux adultes est souvent associée à un problème de sous-performance (Diller, 1998; Conrad & Potter, 2000). Traits caractéristiques des sociétés occidentales contemporaines, la « culture de la performance » met de l’avant la valorisation de l’individualisme et de l’autonomie, ce qui oblige les individus à être responsables de leur vie, mais surtout de leur réussite (Ehrenberg, 1991; Ehrenberg, 1998). Ainsi, le besoin, le désir et l’obligation de performance touche plusieurs domaines de la vie personnelle, les plus connus étant l’éducation, le travail, la sexualité, l’entreprise et le sport. Dans ce contexte de productivité, une diminution de la performance peut être perçue comme une dysfonction sociale qu’il faut à tout prix cacher ou régler. Les adultes ayant de la difficulté à se concentrer

ou à travailler de longues heures peuvent se percevoir comme moins productifs, moins performants et cherchent alors une explication et une solution à leur dysfonction. Plus souvent qu’autrement, ce sont les patients adultes eux-mêmes qui suggèrent le diagnostic d’hyperkinésie au médecin (Conrad & Potter, 2000). Le diagnostic leur permet alors de fournir une explication au problème de sous-performance et de diminuer leur part de responsabilité personnelle, alors que la prise de médicament leur permet de revenir au niveau de performance souhaité. Le diagnostic de TDA/H chez les adultes et son traitement pharmacologique propose donc une « excuse médicale » (Conrad & Potter, 2000 :573) aux comportements déviants.

Cette tendance à la performance ne semble malheureusement pas épargner les enfants et les jeunes (Diller, 1998). On attend beaucoup des enfants dans le contexte scolaire, principalement au niveau de la performance scolaire. Ce n’est pas tant le progrès de l’enfant qui compte, mais plutôt la présence de comportements facilitant l’apprentissage, ainsi qu’une réussite au-delà d’un certain niveau (Brancaccio, 2000; Singh, 2006). Lorsque les enfants ne répondent pas à ces exigences, ils sont souvent remarqués par leurs enseignants (ou par leurs parents), ce qui peut mener à l’identification d’un problème de sous-performance. À l’instar des adultes, le diagnostic d’hyperkinésie et le traitement pharmacologique visent à « corriger » le problème.

Hyperkinésie situationnelle

Une dernière conceptualisation sociologique de l’hyperkinésie a été suggérée par Peter Conrad et prend source dans le modèle d’étiologie sociale, supposant que le comportement d’hyperkinésie est tributaire d’une situation et non pas d’un individu (Conrad, 2006). Il nomme ainsi « Hyperactivité situationnelle », une hyperactivité présente, non pas dans tous les environnements, mais plutôt dans certains systèmes sociaux dans lesquels évolue l’enfant, notamment l’école, la maison ou les loisirs. L’hyperactivité situationnelle permet une théorie sociologique pure de l’hyperactivité et les arguments en faveur de cette conceptualisation, se basent sur le fait que : a) l’hyperactivité est un comportement déviant qui a été médicalisé et non pas une pathologie physiologique; b) il n’existe pas de forme absolue de déviance. Tout est relatif à un environnement donné, car ce qui constitue la déviance et la normalité est propre à

chaque culture et à chaque époque (Conrad & Schneider, 1992) et ; c) les comportements ont un sens dans le système social dans lequel ils se manifestent. Par ailleurs, d’autres chercheurs ont également rapportés des cas similaires, où les comportements se manifestaient seulement dans un environnement particulier (Timimi, 2002), ce qui pourrait indiquer que d’un point de vue clinique, l’hyperactivité situationnelle pourrait être un sous-type du diagnostic de TDA/H (Conrad, 2006).

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