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Concepts clefs de l’idéologie bouddhique

Chapitre 3 – Le Bouddhisme villageois

1) Concepts clefs de l’idéologie bouddhique

Le bouddhisme, comme tout système religieux, est porteur d’une certaine vision du monde, de la mort, de la nature humaine, etc. Il transmet un ensemble de concepts qui ne se contentent pas de n’être que des pensées, mais sont au contraire des façons de comprendre le monde et qui, de ce fait, guident chaque action humaine. Je propose de résumer dans cette section quelques concepts clefs du bouddhisme villageois.

Le premier élément clef du bouddhisme est la croyance en la réincarnation des âmes. Cette réincarnation ne concerne pas uniquement les Hommes mais tous les êtres vivants naturels et surnaturels. Il y a une hiérarchie des êtres et l’âme de chaque personne peut se réincarner en un être de nature différente selon ses actions. Néanmoins, l’idéal théorique de tout bouddhiste est d’atteindre le Nirvana, à savoir la libération du cycle infini des réincarnations12. Pour les

bouddhistes, la vie est souffrance et misère, et c’est en nous détachant de nos désirs, de nos espoirs, de nos émotions, qu’on peut atteindre cet état de paix qu’est le nirvana et qui saura

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nous combler (Tambiah 1975). Seuls les Bouddhas sont parvenus à atteindre cet idéal, le dernier étant Gothama, le Bouddha que l’on connaît le plus. Si dans la hiérarchie des êtres, les êtres humains ne sont pas au sommet, dépassés par les divinités, ils, et plus précisément les hommes, ont le privilège d’être dans la forme adéquate pour atteindre le nirvana. En effet, les Bouddhas sont des hommes. Cet idéal étant assez abstrait pour la plupart de la population, les gens aspirent plus modestement à obtenir une bonne renaissance c’est-à-dire une vie future plus prospère. En effet, le statut, la plus ou moins grande prospérité d’un être peuvent s’expliquer par son karma - kam. Le karma est une notion centrale du bouddhisme et elle oriente et guide les actions des Thaïlandais (Ingersoll 1975). Le karma correspond à une sorte de balance entre, d’une part, les bonnes actions ou mérites - bun - et, d’autre part, les mauvaises actions ou démérites - bap. Le karma d’un homme ne prend pas seulement en compte les actions qu’il a entreprises durant sa vie présente, mais englobe toutes celles de ses vies antérieures. Il en résulte qu’aucun individu ne peut être conscient de l’état actuel de sa balance karmique. Dans une certaine mesure, l’idéologie karmique prête au fatalisme étant donné que les évènements affectant un individu, sont déterminés par des actions qui lui sont inconscientes. Cependant, l’ignorance même de son karma peut pousser un homme à agir pour améliorer l’état de cette balance karmique, en commettant des actions méritoires et en s’abstenant d’en commettre des mauvaises. Les personnes s’efforcent donc d’accumuler le plus possible des mérites et évitent les démérites. Ces concepts de mérite/démérite constituent probablement les éléments incontournables de la pratique du bouddhisme, ou du moins ce sont présents quotidiennement : « These concepts of merit and demerit may be mentioned at various times during the daily routine, and all behavior is thought of in these terms (Kaufman 1960 : 184) ». Les principaux actes méritoires ont tous un lien avec la communauté monastique, soit qu’on aide et soutienne les moines (offrandes, réparations du monastère, construction d’un monastère), soit qu’on devienne un moine ou qu’un proche le devienne. Ces actions ayant trait à la communauté monastique et à ses relations avec les laïques, elles seront décrites plus longuement dans la prochaine section (note de bas de page). Plus généralement, les actes méritoires sont caractérisés par un témoignage de respect envers au moins l’un des trois joyaux du bouddhisme que sont le Bouddha, le corpus d’enseignements bouddhiques (Dhamma) et la communauté monastique (Sangha). Les principaux actes déméritoires sont indiqués dans les cinq préceptes qui s’appliquent à tous les bouddhistes : s’abstenir de tuer, de voler, de mentir, de commettre l’adultère, de consommer des substances altérant l’esprit.

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Le concept de l’âme – winyan - revêt une importance particulière dans la mesure où c’est le seul élément de l’être qui reste inchangé à travers les réincarnations. C’est donc, en quelque sorte, la nature profonde de chaque être. Mais ce concept n’est mobilisé que pour les défunts et est donc rattaché à la mort. Il s’oppose de ce fait à un autre concept qui s’apparente à l’âme mais qui correspond plus précisément à des essences vitales – Khwan (Formoso 2016b ; Tambiah 1975). Chaque être humain est composé de ces essences vitales présentes dans différents membres du corps. Ce concept de khwan n’est pas à proprement parler originaire du bouddhisme. Il provient d’un fonds croyances animistes, présentes sur le territoire thaïlandais avant l’implantation du bouddhisme. Cependant, aujourd’hui, ce concept est intégré dans le bouddhisme de Thaïlande et ne saurait être considéré comme étranger à celui-ci. Le bouddhisme en Thaïlande est en effet remarquable pour son syncrétisme, mais nous aurons l’occasion de l’observer lorsque nous évoquerons les cultes des esprits dans la troisième section du présent chapitre. L’essence vitale fait l’objet de rites qui seront décrits dans la troisième section.