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CHAPITRE 3 : Voyageurs migrants face à la prévention du risque palustre : connaissances,

3.3. Conceptions de la prévention du risque de paludisme

Les recommandations sur la prévention du paludisme en France ne sont pas trop incitatives. Une marge de manœuvre est accordée au voyageur pour procéder à une évaluation du risque palustre avant de recourir ou pas à la prévention avant le départ. Cette situation n’induirait-elle pas une tendance à la négligence de la chimioprophylaxie chez les voyageurs migrants qui ont une faible perception de la gravité du risque de paludisme ?

24 L’OMS a annoncé le 24 avril 2017 le lancement d’un programme d’expérimentation d’un vaccin

antipaludique, le « Mosquirix », dans trois pays d’Afrique (Kenya, Ghana et Malawi) à partir de 2018. L’OMS prévoit de vacciner au moins 360000 enfants entre 2018 et 2020. Quatre doses du vaccin doivent être inoculées à l’enfant lorsqu’il est âgé de 5 mois, 6 mois, 7 mois et 2 ans. Mise au point par le laboratoire GlaxoSmithKline (GSK) en partenariat avec l’ONG Path Malaria Vaccine Initiative, le « Mosquirix », qui est le plus avancé contre le paludisme, reste d’une efficacité limitée. Avant la mise en place effective de ce vaccin, les stratégies préventives sont considérées comme inefficaces et ne peuvent rien contre la survenue d’un accès palustre. IRL : IRL : https://www.lequotidiendumedecin.fr/actualites/article/2017/04/24/paludisme-le-vaccin-de-gsk-va-etre- teste-en-afrique-dans-3-pays-des-2018_846884

L’enquête de terrain révèle que beaucoup de personnes qui ont participé à cette étude, en plus d’avoir une faible perception de la gravité du risque palustre, considèrent la prévention du paludisme comme facultative. Dans les guides de voyage, les recommandations élaborées par l’OMS25

pour la prévention du paludisme chez les voyageurs y sont présentées comme une option.

Il existe de multiples canaux d’information en dehors des professionnels de la santé et qui sont accessibles au plus grand nombre. En premier lieu figure internet. L’information de santé sur internet n’est pas nouvelle. Les premiers sites ayant trait à la santé sont apparus au milieu des années 1990 et, depuis, leur nombre n’a cessé d’augmenter. Aujourd’hui, il en existe plusieurs en France. Ils sont extrêmement hétérogènes (Romeyer, 2012). Pour Hélène Romeyer (2012), cette hétérogénéité bouscule les modalités de production des savoirs de l’information ayant trait à la santé. Elle permet aussi un décloisonnement ou un débordement de l’unique catégorie d’information spécialisée ou professionnelle, pour devenir une information grand public. Désormais, l’information qui a trait à la santé dépasse le seul cadre du médical et s’étend au grand public. Le colloque singulier n’oppose plus un professionnel seul détenteur de l’information à un patient supposé ignorant (Romeyer, 2012).

De plus en plus de voyageurs recourent à internet pour se procurer de l’information. Une situation qui s’accentue lorsque le lieu de destination a été choisi sur internet via les sites internet des agences de voyages. En plus de ces derniers, beaucoup d’autres consultent les sites institutionnels comme ceux de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Institut de Veille Sanitaire (InVS), la Haute Autorité de Santé (HAS), l’Institut Nationale de Prévention et d’Éducation à la Santé (Inpes), les ministères de la Santé et de l’Intérieur. Ces sites donnent des informations de santé publique et de prévention. D’autres encore, en plus de ces sites institutionnels, consultent des sites d’entreprises spécialisées qui donnent des informations grand public souvent hybrides (médicale, santé publique, marchande et de conseil) comme Doctissimo26. La démultiplication des sites qui produisent des informations sur la santé des

25 Il s’agit des recommandations internationales proposées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour prévenir le paludisme chez les voyageurs en partance des zones à risque palustre. La France, via le Comité des Maladies liées aux Voyages et des maladies d’Importations (CMVI) du Haut Conseil de Santé Publique a repris les recommandations et conseille à tout voyageur en zone d’endémicité palustre d’aller consulter un médecin pour une chimioprophylaxie antipaludique, de se protéger contre les piqûres de moustique et en cas de fièvre pendant le séjour ou les mois qui suivent le séjour, de consulter en urgence un médecin.

26Ce site Internet est fondé en 2000. Il est développé par un spécialiste de l’édition de contenu médical

(Medcoste). Devenu le site phare à propos de la santé en France, il attise les convoitises avant d’être racheté en 2008 par le groupe Lagardère Active. Doctissimo est, aujourd’hui, le site Internet de santé le plus fréquenté en

voyageurs internationaux a un atout : faciliter l’accès à l’information et libérer les informations.

En tant que démarche individuelle, volontaire et « responsable », la recherche d’information sur internet n’est pas sans inconvénient du point de vue interprétatif. Chaque voyageur aura sa propre lecture et interprétation des recommandations. Ce que chacun comprend du contenu informatif des sites internet n’est pas forcément de la même nature que celle des producteurs de ce contenu. C’est le cas de Jérôme qui avait une compréhension autre que celle du contenu du message à propos de la prévention du paludisme. Il a 32 ans, est originaire du Gabon et est en France depuis 7 ans. Il enseigne l’informatique dans le secondaire. Il passe beaucoup de temps sur internet, ce qui n’est pas étonnant compte tenu de sa profession. Il en profite souvent pour s’informer sur les actualités de santé et notamment sur la prévention du paludisme. Lorsqu’il est retourné en 2014 au Gabon, il n’avait pas pris de chimioprophylaxie antipaludique car, pour lui, et dans sa compréhension du contenu informatif, la prévention du paludisme était facultative et ne concernait que les voyageurs occidentaux. Il poursuit :

« D’après ce que j’ai compris, les recommandations, on ne parle que de

voyageurs. Pour moi quand on dit voyageurs ce sont les autres qui visitent les pays africains et ce n’est pas obligatoire. » (Jérôme, 32 ans, Gabonais, enseignant

en informatique, Talence, en France depuis 7 ans)

Pour d’autres, la chimioprophylaxie ne se discute que chez les voyageurs qui n’ont jamais vécu en Afrique, qui n’effectuent pas des séjours réguliers, mais plutôt des séjours courts.

« (…) la chimioprophylaxie s’adresse aux voyageurs qui n’ont jamais habité en

Afrique. Les blancs qui voyagent rapidement pour le tourisme, mais qui ne restent pas longtemps. Pour moi, c’est les gens qui ne vivent pas habituellement là-bas alors que nous, on a grandi là-bas et on rentre souvent. » (Sokhna, 52 ans,

Sénégalaise, mère au foyer, 4 enfants, Santé-Voyage en France depuis 21 ans)

France, d’après le classement de Médiamétrie qui le situe au 25e rang des 30 sites les plus visités en France, avec un taux de fréquentation de près de 8 millions de visiteurs uniques par mois. Autrement dit, plus de 10 % des Français qui se connectent vont sur Doctissimo pour obtenir de l’information de santé. (cf. Romeyer, 2012).

L’interprétation personnelle ou individuelle que l’on accorde à l’information de prévention du paludisme joue aussi un rôle dans le processus décisionnel. Les discours de Jérôme et de Sokhna à propos des recommandations sanitaires pour éviter le risque palustre permettent de maintenant de comprendre pourquoi les messages actuels de la santé publique ne suscitent pas les comportements attendus. La prévention du risque palustre est envisagée comme ne concernant que les autres, ceux qui ne sont pas nés en Afrique et qui n’ont jamais expérimenté le paludisme. Les voyageurs migrants se sentent de moins en moins concernés par les préconisations internationales visant à réduire le risque d’impaludation. Ainsi, l’absence de recours à la chimioprophylaxie antipaludique par les voyageurs qui viennent des pays d’Afrique de l’Ouest où le paludisme est endémique résulterait du fait que les directives sur la prévention du paludisme concernent les voyageurs non-migrants, c’est-à-dire les touristes. De ce fait, et de manière implicite, la prévention du risque de paludisme est alors appréhendée comme une préoccupation exclusive de ces derniers.

3.4. Les barrières à l’utilisation de la chimioprophylaxie : le frein économique et le

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