• Aucun résultat trouvé

Nous avons vu au début de ce chapitre que la poussée 𝑇, et l’impulsion spécifique 𝐼𝑠𝑝, sont tous les deux des paramètres importants dans la caractérisation d’un propulseur. De plus, nous avons aussi pu constater que dans les propulseurs à courant de Hall, le champ électrique localisé au niveau de la barrière magnétique, est à la fois responsable de l’ionisation des neutres, mais aussi de l’accélération des ions. Ceci implique que l’impulsion spécifique (relative à vitesse d’extraction des ions) et la poussée (relative au degré d’ionisation du gaz) sont régies par le même paramètre. Ceci rend ces deux paramètres difficiles à découpler de par leur dépendance au même champ électrique.

On peut alors imaginer un autre type de propulseur à courant de Hall où l’ionisation ne dépende plus uniquement des électrons émis par la cathode et accélérés par la différence de potentiel anode-cathode. Une source plasma indépendante pourrait alors être placée en amont de la barrière magnétique et à proximité de la région d’accélération. La puissance déposée par la source dans le plasma pourrait ainsi être ajustée indépendamment de la différence de potentiel appliquée entre l’anode et la cathode, tel que sur la Figure 12.

Figure 12 : Principe de fonctionnement d’un propulseur à courant de Hall double étage. Cette configuration, aussi appelée DSHT pour Double Stage Hall Thruster, permettrait de découpler l’ionisation du gaz, de l’accélération des ions, avec un étage d’ionisation et un étage d’accélération :

- Dans l’étage d’ionisation d’un propulseur à courant de Hall double étage, le degré d’ionisation serait alors contrôlé par la puissance absorbée par le plasma.

- L’accélération des ions serait quant à elle contrôlée par la différence de potentiel appliquée entre la cathode et l’anode.

Cependant, une partie des électrons émis par la cathode sont accélérés par la différence de potentiel anode-cathode et peuvent contribuer, en partie, à l’ionisation des neutres en amont et dans la barrière magnétique accélératrice. Afin de minimiser l’ionisation des neutres par ce courant d’électron, il faudrait en principe optimiser le moteur pour qu’en fonctionnement double étage, le courant électronique entrant dans le canal soit le plus faible possible, mais soit cependant suffisant pour neutraliser le faisceau d’ion sortant. Le fonctionnement double étage idéal pourrait ainsi réduire le courant d’électrons émis par la cathode, mais aussi l’utilisation de tensions accélératrices plus faibles.

Un propulseur à courant de Hall double étage est alors très pertinent pour des opérations où l’on cherche une faible impulsion spécifique ou une forte poussée. On peut également utiliser des gaz plus légers (et moins chers) que le Xénon tel que l’Argon, puisque pour atteindre la même impulsion spécifique, la tension appliquée entre la cathode et l’anode sera plus faible.

Depuis les années 2000, plusieurs designs de propulseurs à courant de Hall double étage ont été proposés et testés. Les performances n’ont toutefois pas atteint les objectifs fixés, mais les différents concepts développés depuis ces deux décennies aident à comprendre les différentes contraintes et erreurs de conception.

Dans la plupart des cas, les propulseurs double étage correspondent à l’assemblage d’une source plasma en amont d’un propulseur à courant de Hall simple étage, dont les Figure 13 et Figure 14 présentent quelques exemples.

a ) b )

Figure 13 : Différents concepts de DSHT. a) Propulseur NASA 173-GT b) Propulseur HALL ECR. (Crédits : Loïc Dubois [3])

Concernant le premier type de propulseur sur la Figure 13 a), l’étage d’ionisation se compose d’une cathode creuse émettrice d’électrons. Étudié par Peterson, ce design et cette configuration magnétique proche de celle présentée dans la Figure 3, permet de limiter les pertes d’ions au niveau des parois [34]. Cependant, les résultats rapportés en fonctionnement double étage sont assez décevants car les fonctionnements simple étage et double étage ne montrent pas de différence significative. On peut ainsi penser que les ions créés dans le premier étage ne sont pas efficacement guidés vers le canal d’accélération.

Le propulseur de la Figure 13 b) combine une chambre d’ionisation, utilisant une source micro-onde et un étage d’accélération dérivé d’un propulseur à courant de Hall classique. L’onde micro-onde RCE (Résonance Cyclotron Electronique [4]) est injectée à l’arrière de la chambre d’ionisation, région dans laquelle elle résonne entre deux couronnes d’aimants qui sont localisées en amont du canal d’accélération. Cependant, pour augmenter la densité plasma en amont du canal par résonnance de l’onde microonde, le champ magnétique doit être un ordre de grandeur supérieur à celui nécessaire au bon fonctionnement des propulseurs à courant de Hall. De plus, ces ondes centrées autour de 4,25 GHz ne se propagent pas au-delà d’une certaine

densité critique. Du fait que ce seuil en densité soit inférieur à la densité classiquement rencontrée dans les propulseurs simple étage, ce concept de DSHT a rapidement été écarté.

a ) b )

Figure 14 : Différents concepts de DSHT. a) SPT-MAG b) DSHT avec cathode intermédiaire. (Crédits : Loïc Dubois [3])

La Figure 14 a) présente un nouveau concept proposé par MIREA et Snecma, appelé SPT-MAG [35]. L'étage d'accélération est toujours basé sur un propulseur à courant de Hall classique, mais l’étage d’ionisation comprend une électrode intermédiaire. L'originalité de ce prototype provient aussi du type de confinement magnétique utilisé dans le premier étage. La configuration du champ magnétique et le design de la chambre d'ionisation sont spécialement conçus pour confiner les électrons et créer un puits de potentiel électrique qui piège les ions et les guide vers l'entrée du canal, pour ensuite être accélérés. À travers différentes campagnes, les résultats expérimentaux ont montré que le SPT-MAG peut fonctionner selon un mode à forte poussée ou un mode à forte impulsion spécifique [36]. Cependant, l’efficacité d’ionisation ne s’est pas avérée sensible à la différence de potentiel appliquée dans la chambre [37]. Ceci implique que la majorité de l’ionisation dans la chambre est causée par des électrons de l’étage d’accélération.

Enfin, la Figure 14 b) présente une géométrie très proche de celle rencontrée dans un propulseur classique, simple étage. Toutefois et comme pour le SPT-MAG, une cathode intermédiaire est située au milieu et sur les parois internes et externes du canal. Des résultats expérimentaux montrent une augmentation de l’efficacité du propulseur, ainsi qu’une augmentation de l’𝐼𝑠𝑝 en fonctionnement double étage [38]. Cependant, il a aussi été observé que l’ionisation des neutres reste dépendante du courant d’électrons émis depuis la cathode. Il n’y a donc pas de séparation complète entre l’ionisation et l’accélération.

Les différents concepts de propulseur de Hall double étage précédemment présentés, ont des performances mitigées et ne démontrent pas clairement qu’un fonctionnement en double étage soit possible. Cependant, ces études mettent en évidence certains points qui permettront de proposer un nouveau concept de propulseur à courant de Hall double étage et d’en connaître les limites :

- La source d’ionisation du premier étage, doit être efficace et capable de générer des densités plasma supérieures à 1012 𝑐𝑚−3.

- Les pertes d’ions par recombinaison sur les parois entre l’étage d’ionisation et d’accélération, doivent être minimisées au risque de perdre le bénéfice de l’ionisation dans le premier étage.

- Les ions doivent être extraits et guidés efficacement depuis la région d’ionisation vers la zone d’accélération.

- L’ionisation doit être située dans la région immédiatement en amont de la zone d’accélération (ou dans le meilleur des cas, superposée avec celle-ci).

À noter que quel que soit le type de propulseur, l’ajout d’un premier étage d’ionisation à un propulseur classique implique une puissance électrique supplémentaire, nécessaire à l’alimentation de la source d’ionisation. Étant donné que le rendement du propulseur 𝜂𝑝𝑟𝑜𝑝 est le rapport entre la puissance mécanique et la puissance électrique, ce rendement diminuera si la puissance mécanique reste inchangée et que la puissance injectée augmente dans le premier étage.