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CHAPITRE III. L'INNOVATION : UN CONCEPT MALLEABLE ET ENIGMATIQUE EN

3. Comprendre l'innovation par les raisonnements de conception

3.1. Synthèse des deux paradigmes : création et savoir

Premièrement, nous venons de voir que l'innovation serait le fruit d'une production de connaissances scientifiques massives. Dans ce paradigme, découverte scientifique et innovation ne font qu'un. Une limite majeure est la maîtrise des ressources : l'innovation peut vite devenir très coûteuse si la connaissance est accumulée en permanence et que sa réutilisation n'est pas organisée. En tant que telle, la génération de connaissances ne pose pas véritablement de problème, la difficulté réside plutôt à pouvoir détecter les connaissances manquantes qui seront utiles. De plus, il faut aussi savoir comment organiser ces bases de connaissances. D'un point de vue plus théorique, nous pouvons nous demander s'il existe une logique particulière pour organiser convenablement cette masse de connaissances.

Ensuite, nous avons vu un second paradigme où l'innovation serait l'apanage de la créativité : il serait question de laisser une forte autonomie d'action aux acteurs et d'établir des organisations

suffisamment flexibles pour qu'elles soient capables de défricher seules de nouveaux terrains. Ici, l'accent est mis sur la production d'idées ou sur des mécanismes permettant de détecter les bonnes idées. A l'évidence, le point faible de ce type de modèle est que toute idée n'aboutit pas forcément sur des projets commerciaux réussis. D'un point de vue plus théorique, alors que des éléments précieux nous sont apportés pour comprendre comment s'organiser pour produire des idées, la littérature est bien moins prolifique pour expliquer formellement le phénomène de création. La créativité semble ne pas pouvoir se modéliser, et apparaîtrait plutôt comme quelque chose d'insaisissable pour les chercheurs.

L'innovation vue

comme … Quelques écueils et limites

…le résultat de la recherche

Comment identifier les connaissances pertinentes à développer afin de limiter les coûts massifs de production de connaissances ?

Sur quelle logique théorique doit-on organiser les bases de connaissances ? …

…le résultat de la créativité

Comment transformer des idées prometteuses en projets industriels réussis ? Quels sont les liens entre création et savoir ?

Comment évaluer une idée sans disposer de la connaissance pour en juger ? …

3.2. Etudier l'innovation par l'activité de conception : l'enjeu des raisonnements de conception

Malgré les efforts des chercheurs, il ne semble pas exister aujourd'hui de consensus fort sur les formes organisationnelles idéales permettant de mener à bien des innovations : celles-ci sont encore aujourd'hui fortement déstabilisées lorsqu'il s'agit de transformer l'identité des objets. Face à ce contexte particulier auquel est confrontée l'entreprise contemporaine, les cadres théoriques pour décrypter les mécanismes d'innovation doivent-être renouvelés afin, par la suite, de pouvoir façonner de nouveaux outils et configurations organisationnelles. Comme l'indique (Segrestin, 2008) : « l'étude des produits ou des structures organisationnelles est insuffisante pour comprendre les mécanismes d'innovation. » (p.7). Malgré le caractère limité de ces approches pour comprendre pleinement l'innovation, celles-ci nous renseignent cependant sur certaines facettes qu'il est nécessaire d'intégrer dans ces nouveaux cadres théoriques : nous devons percevoir clairement les liens entre les actes de création, la génération de connaissances ou les relations entre acteurs. Il ne s'agit pas de prendre ces facettes de manière indépendante mais bien au contraire, nous sommes à la recherche d'un cadre unificateur ! Au final, comprendre l'innovation revient à s'intéresser aux activités créatives et collectives durant lesquelles ces connaissances sont façonnées et partagées. Pour cela, nous nous intéresserons fondamentalement à une activité particulière : l'activité de conception. La conception est

ici perçue comme l'activité essentielle du processus d'innovation ; ce sont les capacités de conception qui permettront aux entreprises de générer rapidement des produits fortement innovants. S'inscrivant dans la lignée des travaux des sciences de conception, les chercheurs du Centre de Gestion Scientifique des Mines de Paris (CGS) ont proposé d'étudier les activités de conception par l'étude d'un objet particulier : les raisonnements de conception. Ces travaux, d'une

grande fécondité, font l'hypothèse que la compréhension des dynamiques des (nouveaux) produits, des relations et des connaissances n'est possible qu'en étudiant les raisonnements des concepteurs. Pour cela un théorie a été développée : la théorie C-K (Hatchuel, 2001, Hatchuel et Weil, 2002a, Hatchuel et Weil, 2003). Dans cette thèse, nous nous placerons dans cette perspective et le chapitre suivant visera à détailler la littérature sur les sciences de conception et de montrer comment la théorie C-K permet d'interpréter une grande partie des concepts développés dans cette section (créativité, production de connaissances, identité des produits, capacité d'absorption …).

CONCLUSION ET RESUME DU CHAPITRE III

Dans ce chapitre nous avons présenté la littérature sur le management de l'innovation en ciblant deux grands paradigmes : l'innovation serait le résultat d'un processus de créativité réussi ou d'une production importante de connaissances ou bien d'une rationalisation des projets de conception de nouveaux produits. Nous avons montré que ces deux paradigmes, pris séparément, semblaient insuffisants pour soutenir les enjeux fixés par l'innovation intensive. En effet, par exemple, pour le management de la créativité, nous remarquons que toute idée, aussi pertinente soit elle, n'aboutit pas systématiquement par un succès commercial. D'un point de vue plus théorique, la littérature sur la créativité montre aussi ses limites pour expliquer ce qu'est l'innovation et quelles sont ces mécanismes fondamentaux. Alors que les liens entre savoir et création semblent profonds, les cadres théoriques manquent pour comprendre comment fonctionnent ces deux composantes, l'acte de création semble échapper à toute tentative de modélisation.

Après avoir justifié le fait que l'innovation nécessite un cadre théorique général, nous avons précisé nos intentions. Selon nous, comprendre l'innovation nécessite de comprendre une activité essentielle : l'activité de conception. Parallèlement aux recherches sur l'organisation de l'innovation, un courant de recherche particulier se détache de ces préoccupations managériales pour étudier finement l'activité de conception et proposer une science de la conception. Cette science de conception esquissée par (Simon, 2004) permettra notamment de faire le lien entre les deux paradigmes précédents et de faire un pont entre les deux grandes disciplines mobilisées dans cette thèse, à savoir les sciences de l'ingénieur et les sciences de gestion.

Le chapitre suivant propose un état de l'art de la littérature sur les sciences de conception ; nous justifierons notamment l'intérêt que nous portons sur une théorie de conception récente qui permet de saisir aussi bien les aspects de création que de production d'idées : la théorie C-K (Hatchuel, 2001, Hatchuel et Weil, 2002a, Hatchuel et Weil, 2003).

CHAPITRE IV. DES RAISONNEMENTS DE CONCEPTION AUX CO-