• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3: L’étude de la mobilisation à l’échelle des comtés

3. La composition sociale des comités

Pour illustrer la composition sociale des comités, nous avons exposé les différentes professions des membres que nous avons pu distinguer dans le tableau III. Nous constatons d’abord la prédominance des notables villageois dans le comité de Richelieu. Ensemble, ils représentent onze des treize individus dont nous avons identifié la profession. Le comté de Richelieu possède d’ailleurs l'unique comité parmi les quatre qui compte un seigneur : le conseiller législatif Pierre-Dominique Debartzch. Les deux seuls membres recrutés à l’extérieur de la bourgeoisie villageoise sont un aubergiste et un instituteur. L’absence d’agriculteurs dans ce comté fortement rural nous ramène à la question de la nature même de ce comité.

Richelieu est en effet le seul comté, parmi les quatre retenus, où le comité est

spécifiquement mentionné comme étant de « correspondance ». Dans le comté de Terrebonne, nous avons déjà relevé qu’il s’agissait d’une organisation axée sur la lutte politique à long terme, visant entre autres la victoire à l’élection de l’automne 1834 et utilisant l’appellation de comité permanent. La création d’un comité permanent explique le nombre plus imposant de membres, soit 75 personnes, où ici les agriculteurs accaparent la majorité des sièges. La situation est comparable dans Saint-Hyacinthe qui constitue aussi un comité permanent où au moins 60 % des membres sont des cultivateurs. Dans l’Assomption, la publication de La

Minerve nous indique qu’il s’agit d’un comité de comté sans autre précision. Nous avons

relevé la signification vague de ce terme au cours de notre analyse qui renvoie davantage à des limites propres à chaque organisation, plutôt qu’à la fonction du comité. Toutefois, l’auteur de l’article spécifie que ce comité du comté de l’Assomption aura pour but de « correspondre et

107

communiqué (sic) avec tous autres comités des trois principaux districts de cette province»29. Il s’agit donc d’une mission semblable à celle d’un comité de correspondance, comme dans Richelieu. Ainsi, le fait que le comité de Richelieu soit un comité de correspondance

n’explique pas nécessairement la différence de taille et de composition sociale puisque, dans l’Assomption, les membres sont presque quatre fois plus nombreux et comptent une forte proportion de cultivateurs.

Tableau III

Ventilation socioprofessionnelle des comités de quatre comtés ruraux du district de Montréal, 1834 Statuts socioprofessionnels Richelieu * nombre % Saint-Hyacinthe Nombre % L’Assomption Nombre % Terrebonne Nombre % Seigneur 1 6,7 - - - - - - Marchand 3 20,0 9 14,1 4 6,7 9 12,0 Prof. libérales 7 46,6 8 12,5 4 6,7 4 5,3 Bourgeois - - - - 2 3,3 1 1,3 Instituteur 1 6,7 - - 1 1,7 1 1,3 Aubergiste 1 6,7 - 2 3,3 - - Artisan - - 2 3,1 1 1,7 3 4,0 Cultivateur - - 38 59,4 31 51,6 43 57,4 Journalier - - - - - - 1 1,3 Indéfini 2 13,3 7 10,9 15 25,0 13 17,4 Total 15 100,0 64 100,0 60 100,0 75 100,0

* Le comité du comté de Richelieu est expressément désigné comme un comité de correspondance

Sources : BAC, recensement du Bas-Canada (1831), bobines C-722 et C-723; La Minerve, L’Écho du Pays, 1834.

29 La Min. 27-03-1834

108

Il serait possible de déduire bien des choses sur cette sélectivité sociale au sein du comité de Richelieu. Peut-être les notables de cette région ont-ils fait de leur rassemblement une chasse gardée, laissant les cultivateurs volontairement à l’écart. Il est impossible de connaître précisément leurs motivations. Toutefois, nous pouvons souligner que la variété de formes entre les comités se vérifie aussi dans leur composition sociale. Ainsi, il ne semble y avoir aucune règle ni norme pour la nomination des comités, leur taille et le statut social de leurs membres.

La taille réduite et le caractère socio-sélectif du comité du comté de Richelieu ne signifient en rien que la mobilisation populaire soit moindre ou différente dans ce secteur de la rive sud de Montréal. Notons que le comté est fortement lié à des têtes d’affiche du mouvement patriote comme Wolfred Nelson. Il s’agit également d’un centre de diffusion de l’information patriote dans la vallée du Richelieu, le village Debartzch (Saint-Charles) étant le lieu de publication de L’Écho du Pays. Ainsi, rien n’indique que le comté de Richelieu est en marge de la mobilisation patriote, bien au contraire, surtout lorsque nous connaissons la suite des événements en 1837. En fait, la composition socioprofessionnelle est peut-être plutôt liée à la forme adoptée par chacun des comités. Cela n’empêche pas une mobilisation politique accrue et montre bien qu’il n’existe pas de modèle de comité exemplaire encouragé par les élites urbaines du Parti, dans ce cas le comité central de Montréal.

Les cultivateurs sont majoritaires dans les comités des trois autres comtés retenus : Saint- Hyacinthe, Terrebonne et l’Assomption. Leur poids est sans doute encore plus élevé que ne l’indiquent les sources (pourcentages obtenus à partir des individus dont la profession a été

109

formellement identifiée) étant donné que les personnes non identifiées sont rarement des seigneurs, des marchands, des médecins ou des notaires. Dans Saint-Hyacinthe, les

cultivateurs représentent de 60 % jusqu’à 70 % des membres en incluant dans ce groupe les indéfinis. Dans Terrebonne, ce pourcentage pourrait ainsi varier de 57 % à 75 % et dans l’Assomption d’environ 52% à 75%. Par ailleurs, les fermiers30 ou les journaliers sont systématiquement absents à l’exception d’un membre au sein du comité de Terrebonne, que nous avons identifié comme journalier à partir du recensement de 1831. Pour leur part, les artisans sont nettement sous-représentés. Quoique proportionnellement moins présents que dans Richelieu, la bourgeoisie villageoise est tout de même active dans ces trois autres comités et détient souvent le contrôle des exécutifs. Elle occupe plus de 26 % des sièges du comité dans le comté de Saint-Hyacinthe, 17,3 % dans le comté de Terrebonne et moins de 13,5% dans le comté de l’Assomption où elle demeure inférieure à 17% même en incluant la

catégorie des bourgeois dont le statut social reste difficile à définir. Cette notabilité villageoise reste néanmoins surreprésentée par rapport à sa place relative dans la structure

socioprofessionnelle de ces régions rurales puisqu’elle y représente souvent moins de 3 % des chefs de ménage d’une localité ou d’une région.31

Enfin, le nombre élevé d’indéfinis, fluctuant selon les comtés, s’explique par le fait qu’il est souvent difficile de repérer les membres des comités dans les recensements compte tenu des variations nominatives et orthographiques des noms, de l’utilisation fréquente de surnoms

30 Par fermier, nous entendons un paysan exploitant la terre appartenant à un autre individu ou à une institution et

non la traduction de « farmer » qui s’est progressivement imposé comme l’équivalent de cultivateur ou d’agriculteur jusqu’à dans la littérature scientifique contemporaine sur le monde rural.

31 Dans la seigneurie de Saint-Hyacinthe, le seigneur, les marchands et les professionnels représentent seulement

1,5 % des chefs de ménage en 1831. C. Dessureault, « Crise ou modernisation. La société rurale maskoutaine durant le premier tiers du XIXe siècle », RHAF, vol. 42, no 3, 1989, p. 366

110

et de la présence, dans certains cas, de plusieurs homonymes dans une même localité. Dans l’Assomption, certains membres dont le statut socioprofessionnel est demeuré indéfini semblent pourtant détenir un certain prestige social dans leur localité puisque six d’entre eux sont capitaines de milice et un autre, lieutenant de milice.32 Comme l’indique Jean-René Thuot, même si leur occupation nous est inconnue, le fait qu’ils détiennent une charge publique intermédiaire, surtout au sein de la milice, leur confère un statut élitaire dans leur milieu. Ce statut élitaire a sans doute favorisé leur sélection sur ce type de comité politique.33 Dans cette perspective, nous avons effectué un relevé de la présence des officiers de milice dans les comités des comtés de Saint-Hyacinthe, de Terrebonne et de l’Assomption.34 Dans le premier cas, c’est plus de 36% des membres du comité qui détiennent un grade d’officier dans cette institution et, dans les deux autres, c’est environ le tiers. Dans la catégorie des

cultivateurs, ce pourcentage est de 44,7% à Saint-Hyacinthe, de 35,5 % à l’Assomption et de seulement 27,9 % à Terrebonne.