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De la musique de Darius Milhaud, nous avons relevé l’usage de la polyrythmie. Bien qu’apparentée aux techniques des musiques africaines, cette inspiration est, chez lui, le fruit direct de ses références au jazz et aux musiques brésiliennes, dont certaines ont conservé un caractère africain originel, surtout rythmique et même rituel. Il en est presque ainsi chez André Jolivet qui, outre les techniques du jazz, a également recherché les timbres, les matières sonores modales, les techniques de déphasage des cellules et de répétition d’inspiration extra-occidentale – notamment africaine – pour marquer la puissance incantatoire de sa musique. Dans ce but, il a aussi eu recours aux percussions africaines dont il a adapté le mode de jeu à son discours musical.

Quant à Maurice Ohana, l’Afrique subsaharienne lui a inspiré un grand nombre de procédés techniques qui ont notamment contribué au dynamisme de sa musique et à la force évocatrice de ses métaphores. Parmi ces procédés, nous citerons l’agencement des rythmes symétriques et asymétriques, la polyrythmie, les richesses spectrales des percussions et la modalité.

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A cela, nous ajoutons l’homophonie, l’hétérophonie, la polyphonie, la répétitivité vigoureuse et le statisme de l’harmonie modale. Transposé dans sa musique, le traitement de ce type d’harmonie consiste en un enchevêtrement, dans un ambitus étroit, des éléments sonores aux couleurs harmoniques non tempérées micro-tonales avoisinant le tonal ou l’atonal.

György Ligeti s’est beaucoup inspiré des procédés techniques africains sous- tendant aussi bien les musiques monodiques que polyphoniques, vocales qu’instrumentales, en particulier de l’Afrique centrale et de l’Est (Ouganda et Kenya surtout)49.

« Chasseur » des potentialités musicales techniques issues d’autres traditions, György Ligeti a adopté, du continent africain, divers moyens musicaux qu’il a traités soit en citation, soit en collage, soit encore en transformation ou transposition. Ils ont été intégrés dans un langage musical où les flux harmoniques sont agités et serrés, et où des rythmes frémissants et des distorsions de la matière sonore reviennent toujours au motif-pivot. Il s’agit de la polyrythmie, de la polyphonie, des métriques asymétriques et symétriques, du hoquet, des hémioles, ainsi que des techniques polyphoniques des xylophones et de l’organisation interne du matériau sonore en unités élémentaires déphasées avec déplacement d’accents. Il en résulte des déformations de schémas ou de modèles illusoires. Ce compositeur s’est également référé aux richesses timbrales et à la structuration africaine de pulsation rythmique régulière, associée aux accents irréguliers de ces unités élémentaires. Rythmiquement, un lien étroit a été établi entre ces différents procédés et les accents syncopés du jazz.

Charles Chaynes a été un grand passionné de jazz qu’il a du reste pratiqué. Pour le traitement des emprunts africains, il a, comme G. Ligeti, recouru à la technique de la citation et même à la récupération.

49 « Je n’utilise jamais les musiques extra-européennes pour leur folklore, mais pour leur pensée, la

formidable intelligence de leurs structures », déclarait le compositeur lors d’un entretien avec Bernard

Mérigaud, « György Ligeti, “Je compose… et je réfléchis après” », Télérama, n° 2448, 11 décembre 1996, p. 68.

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Au sud du Sahara, les différents procédés qui l’ont particulièrement intéressé sont : le yodel des polyphonies pygmées, le chant chuchoté burundais, l’usage musical des onomatopées, la répétitivité et la recherche du timbre enrichi des percussions (sanza, hochets, trompes et bracelet notamment). Du matériau musical africain qu’il a exploité, une partie a été transcrite et l’autre partie ne porte que sur l’inspiration structurelle des techniques musicales relevant particulièrement de la polyphonie et de la polyrythmie.

Luciano Berio a été inspiré par les structurations africaines, pour reprendre son expression, des « hétérophonies » (il s’agit en fait d’hétérophonies et de polyphonies). Son intérêt s’est également porté sur l’imitation d’un instrument par la voix, le hoquet, l’irrégularité et la mobilité des pulsations rythmiques, la permutation d’une note en plusieurs timbres (grâce à la structuration et à l’addition de hauteurs symétriques autour de cette note initiale), et la répétitivité dynamique due à la périodicité des motifs qui, entre eux, peuvent être décalés. Les techniques musicales africaines auxquelles il s’est référé ont été souvent transformées ou métamorphosées dans son discours musical, dans lequel, entre autres, les mélodies se développent – comme en Afrique – à partir d’un pivot et aboutissent à une hiérarchisation des éléments gestuels et expressifs. A cette liste des influences africaines, on ajoutera encore les techniques du jazz.

Antonio Braga s’est particulièrement référé aux polyrythmies et aux combinaisons métriques des musiques d’Afrique noire.

Grâce aux principes de collage, d’imitation, d’adaptation et de transformation des matières musicales d’inspiration, notamment, africaine, Mauricio Kagel a su profiter des structurations polyphoniques avec leurs différents modes de jeu (tel que le yodel des Pygmées, la voix de fausset seule, le chanté-parlé et le chuchotement), des timbres enrichis des instruments africains et des déphasages rythmiques, pour ne citer que ces éléments. Il les a savamment traités en équilibre avec le matériau de son imagination.

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Hormis les sons concrets ou réels d’extraits de langues, de chants d’oiseaux, de cris animaliers ou insectivores, ainsi que d’instruments, François-Bernard Mâche s’est également inspiré d’autres principes techniques des musiques d’Afrique noire. Il s’agit, entre autres, du yodel, utilisé chez lui également comme un jeu musical à valeur rituelle ; de la structuration polyphonique à plusieurs champs ; des accents mélodiques avec cliquetis issus des chants en langue xhosa ; des ostinatos rythmiques et polyphoniques ainsi que du récitatif (éthiopien singulièrement) et du matériau sonore imitatif et répétitif. A cela, il faut ajouter l’usage du pentaphone égal ou de l’échelle équipentaphonique ; des pulsations continues et très élémentaires annihilant pratiquement les temps forts ; de la polyrythmie et de la polymétrie produites par la combinaison de courtes cellules mélodiques et rythmiques (répétitives et décalées, dans une structure périodique de même longueur), et enfin, du jazz.

Les techniques des musiques africaines dont s’inspire Steve Reich sont nombreuses. Il s’agit notamment du hoquet, qu’il traduit par procédés de phase et de déphasage50. Ils ont pour fondement la répétitivité des cycles périodiques de motifs

rythmiques et mélodiques, le tuilage, le changement graduel du timbre tout en maintenant le rythme ou la combinaison de timbres différents évoluant simultanément, l’usage de la voix humaine comme partie de l’ensemble musical par imitation de la sonorité exacte des instruments, ainsi que l’emploi de deux thèmes pivots avec lesquels entrent en relations les autres motifs relativement variables.

Parmi les procédés des musiques africaines qui ont inspiré Jean-Louis Florentz, nous citerons la structuration des événements polyphoniques dans le style des grands orchestres bantu51, les techniques d’expressions liées à l’oralité (mimiques,

chuchotements, rires, cris, onomatopées, parodies gestuelles et vocales), les thèmes des chants rituels, poétiques, liturgiques et profanes (ex. le chant togolais de danse

pour faire venir la pluie, les chants poétiques liturgiques éthiopiens, la complainte

malienne et la berceuse nigérienne), les principes régissant les polyphonies (en

50 Se référant notamment aux techniques des musiques africaines, György Ligeti a, comme S. Reich,

reproduit ces deux procédés dans les constructions polyrythmiques de quelques-unes de ses œuvres.

51 Cf. supra chapitre

III, point A3 : Organisation sonore au sein des groupes instrumentaux, pp. 479-481 ; livre deuxième, p. 325.

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particulier le edho dorze éthiopien), l’assonance des chants kenyans, les désinences des musiques dogon et les modes pentatoniques, surtout ceux hémitoniques et anhémitoniques éthiopiens.

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CHAP. IV

Les compositeurs face aux instruments musicaux

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