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Les composantes de la moralité

Les règles morales précédemment décrites, bien qu’elles ne constituent qu’un des éléments du système de moralité, sont essentielles et représentent l’un des objets d’étude sur lequel un philosophe s’intéressant à l’éthique doit se pencher. Gert, Clouser et Culver décrivent d’ailleurs le rôle du philosophe comme se devant « d’expliquer, de clarifier et d’organiser ces règles ».151 Le rôle principal du philosophe est de mettre en avant la manière dont les règles s’affilent dans un système, permettant ainsi de solutionner les potentiels conflits entre les règles. Le philosophe doit également s’assurer de la pertinence des règles dans le temps. En ce sens, certaines règles peuvent devenir obsolètes et être supprimées du système. C’est par la constante analyse des phénomènes moraux que le philosophe détermine les règles morales à conserver et celle à exclure.

Nous l’avons évoqué, selon les auteurs les règles morales ne sont pas les uniques composantes du système public. À celles-ci s’ajoutent trois éléments supplémentaires qui sont « les idéaux moraux, les caractéristiques moralement pertinentes des situations et une procédure détaillée pour traiter les conflits. »152 Chacune de ces entités ne peut être comprise, uniquement si elles sont considérées au sein de ce système. Il se produit ainsi, un éclaircissement mutuel.

150 Id., p. 4

151 Id., p. 5 152 Id., p. 5

Une fois le moment important de la démarcation des sujets moraux réalisés, les auteurs considèrent qu’un instant crucial pour « l’éthique de l’action » a été accompli. Par cette entreprise, il semble que nous reconnaissions que la moralité est une activité humaine qui n’a pas attendu les travaux philosophiques afin de se développer. Cela implique que toute analyse systématique de la moralité par la profession philosophique se doit d’être ancrée sur la pratique traditionnelle de la moralité. C’est pourquoi un système moral ne peut pas se construire autour d’idées contre-intuitives vis-à-vis de la manière commune de penser la moralité. De cette manière, le philosophe ne peut que découvrir ce qu’est la moralité, mais en aucun cas il ne doit la concevoir.153 Une telle rigueur permet de se tenir à un aspect important pour les auteurs, à savoir que la moralité demeure fidèle à l’expérience humaine. Gert, Clouser et Culver ne cessent d’insister sur le fait que le « système de moralité doit être un système public », car selon eux cela découle de la signification du terme moralité. Le système est « public », car il est connu par l’ensemble des êtres humains qui doivent l’appliquer dans leur quotidien. Ce système permet de guider les individus en palliant notamment leur connaissance incomplète et leur faillibilité.

Le constat des limites humaines motive d’autant plus la mise en place d’un système accessible qui définisse clairement des règles morales, qui lorsqu’elles sont suivies permettent de « minimiser la quantité de mal » présent sur terre.154 Gert, Clouser et Culver remarquent que les êtres rationnels trouvent un consensus autour d’une liste définissant les maux qu’ils souhaitent éviter. De ce fait, l’accord que l’ensemble des individus embrassent concernant les maux à éviter constitue la base de la moralité. Ne souhaitant pas subir certaines souffrances, les êtres humains se dissuadent d’attenter des actions les impliquant et cela devient le noyau accepté de la moralité. Il semble donc que nous ayons tous un intérêt à mener une vie en suivant les règles morales définies par le système public. De plus, ces règles se développent sous la forme d’interdiction qui les rend accessibles à l’ensemble des individus de façon égalitaire. Le fait que nous ne respectons pas toujours ces règles morales ne vient pas d’une trop grande complexité de réalisation, mais bien d’une tendance à entreprendre des actions immorales. Rappelons-le, les règles morales ne sont pas les uniques composantes de la morale, les individus semblent associer la morale aux idéaux moraux. Cela revient à ne pas causer de tore de manière directe ou indirecte, mais également à agir afin de prévenir la réalisation d’un préjudice. Les auteurs conçoivent ces actions comme des entités capitales de la moralité. La différence conceptuelle fondamentale entre les règles morales qui doivent être respectées constamment et pas tous, et les idéaux moraux qui apparaissent comme des perspectives qu’il est digne de suivre.155 « Promouvoir le bien » est un précepte moral qui peut présenter une fragilité importante, c’est qu’il nous conduit souvent à imposer notre vision de ce que nous estimons le mieux pour autrui. Gert, Clouser et Culver préfèrent donc miser sur les règles morales qui aident à prévenir la réalisation des maux, plutôt que de suivre ses idéaux moraux qui sont le plus souvent une justification pour motiver la violation d’une règle morale.

Mise en lumière de l’éthique professionnelle

153 Id., p. 6 154 Id., p. 7 155 Id., p. 8

Les règles morales que nous avons évoquées et qui dissuadent toute action qui conduirait à l’un ou plusieurs des maux énumérés sont appelées par les auteurs les « règles morales générales ».156 Elles portent cette dénomination, car elles sont s’appliquent à toutes les personnes rationnelles, à tous les lieux et à toutes les époques. En ce qui concerne l’éthique professionnelle, Gert, Clouser et Culver ont une vision qui se rapproche de leur conception des règles morales particulières. Celles-ci ne sont pas universelles au même titre que les règles morales générales, mais elles s’appliquent dans des conditions spécifiques comme par exemple au sein d’une certaine culture. En ce qui concerne l’éthique professionnelle, la situation est analogue. Reprenons l’exemple des auteurs qui est celui de la médecine. En médecine, nous retrouvons un savant mélange entre le système moral général, mais également avec des dispositifs particuliers comme certaines institutions, pratiques propres à la discipline. En ce sens, il n’est pas pertinent de concevoir l’éthique professionnelle comme étant strictement séparée des autres genres d’éthiques qu’il peut exister. Selon Gert, Clouser et Culver, l’éthique professionnelle, toute comme les autres formes d’éthiques appliquées, enrichir par l’importation d’un aspect supplémentaire de la moralité.

En résumé, il semble que l’intention des auteurs Gert, Clouser et Culver, est de fournir un cadre à la morale ainsi que des outils conceptuels pertinents. Dans le but de permettre à l’ensemble des individus possédant les connaissances nécessaires à la pratique biomédicale de décider les options moralement acceptables qu’ils peuvent envisager.

Du point de vue des auteurs, l’opération morale a besoin de s’appuyer nécessairement sur la théorie. Afin d’éclairer le domaine de la moralité, Gert, Clouser et Culver fournissent une description qui comprend la clarification des concepts clés, mais également l’examen de certains problèmes inhérents à la pratique de la médecine et tentent de proposer des réponses à certaines de ces questions. Ils souhaitent à travers cet ouvrage, fournir un socle guidant la prise de décisions au sein de la bioéthique. En ce sens, ils tentent de s’appuyer sur ce qu’ils nomment les « réalités universelles de l’humanité ».157 Leur entreprise ne consiste pas à analyser l’ensemble des problèmes liés à l’éthique médicale, mais plutôt de promouvoir des bases conceptuelles pertinentes qui permettront les individus de traiter de tels problèmes.

Jusqu’à présent nous avons avant tout rendu compte du développement et de l’évolution de la pensée anglo-saxonne en ce qui concerne les questions de biomédecine et de bioéthique. D’une manière générale, le courant anglo-saxon s’est beaucoup intéressé à ces sujets prenant ainsi une part importante dans la rédaction d’ouvrage et d’article.

Néanmoins, dans une volonté de rendre compte de l’apparition et du développement de ces débats au sein de la pensée française nous allons nous intéresser plus particulièrement aux auteurs français.

156 Id., p. 9