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Les composés secondaires soufrés constitutifs des Allium : un système de défense efficace contre les insectes généralistes…

Dans la première partie de ce manuscrit, il a été mis en évidence la très forte toxicité des substances secondaires soufrées volatiles produites par le poireau, à savoir, les thiosulfinates et leurs composés de dégradation, les disulfures. En accord avec la théorie coévolutive (Rausher, 2001), préalablement énoncée en introduction générale, il semble que la production de ces substances soufrées se soit développée dans les populations d’Allium sauvages et que celle-ci ait été conservée par la sélection naturelle du fait de la protection qu’elles confèrent aux plantes qui les émettent vis-à-vis d’un grand nombre d’herbivores ou de pathogènes.

Ainsi, les insectes phytophages, lors de la consommation de ces plantes, ont été confrontés aux précurseurs et aux thiosulfinates directement émis par la plante lors de la lésion des tissus, puis de nouveau aux thiosulfinates et aux disulfures émis dans leur tube digestif lors de la digestion des fragments végétaux. Ces composés soufrés, tel le DMDS qui agit sur le métabolisme respiratoire via l’inhibition de la cytochrome oxydase conduisant à une diminution brutale de la production d’ATP, ont des répercussions importantes sur le fonctionnement du système nerveux central des insectes (Dugravot et al., 2003), et peuvent provoquer la mort ou la fuite des organismes consommateurs. De ce fait, les plantes produisant de telles substances, auront été nettement moins attaquées par les insectes phytophages, et ont très certainement pu transmettre les gènes codant pour l’élaboration de ces composés aux générations futures.

Chez les insectes phytophages, pour survivre, des processus de reconnaissance et d’évitement de ces composés secondaires se sont donc probablement développés, et ces substances ont ainsi pu jouer par la suite un rôle de barrière chimique répulsive vis-à-vis de ces insectes (Auger et al., 1989), comme c’est le cas pour les composés soufrés produits par les crucifères (Chew, 1988). Le très faible nombre d’espèces d’herbivores capables de consommer des plantes du genre Allium (Arnault et al., 1986) tiendrait donc son explication dans ces phénomènes de toxicité/répulsion.

…mais pas contre les insectes spécialistes !!

Certaines espèces d’insectes sont cependant parvenues à se spécialiser pour ne plus consommer qu’une certaine famille, qu’un certain genre ou parfois même qu’une certaine espèce de végétaux caractérisés par la présence d’un type particulier de composés secondaires (Janzen, 1980). Ainsi la teigne du poireau, Acrolepiopsis assectella, est strictement inféodée au genre Allium et notamment au poireau. Il a été mis en évidence lors de la première partie de ce manuscrit, que les larves de ce lépidoptère sont nettement moins sensibles que les autres espèces testées à la toxicité des substances soufrées volatiles émises par le poireau. En mettant en place des processus adaptatifs spécifiques demeurant pour l’instant inconnus mais différents et plus efficaces que ceux pouvant être développés chez des insectes non adaptés (cf. chapitre 3), cette espèce a été amenée à se spécialiser sur les Allium. La mise en place de ces processus adaptatifs a permis à cet insecte de tolérer des concentrations de substances soufrées produites par sa plante hôte et de pouvoir ainsi consommer les feuilles de ce végétal sans subir de préjudice particulier majeur.

Les systèmes de défenses chimiques développés par les Allium, particulièrement efficaces vis-à-vis d’insectes non adaptés, ont semble-il été détournés par ce lépidoptère spécialiste. En effet, la spécialisation des teignes du poireau sur leur plante hôte a non seulement conduit les larves de cet insecte à tolérer la toxicité des substances soufrées mais a également amené ce lépidoptère à les utiliser à son profit. Ainsi, comme cela a déjà été évoqué en introduction générale, les odeurs des Allium stimulent l’ovogenèse et la ponte des femelles (Cadeilhan, 1965 a et b ; Rahn, 1971 ; Thibout, 1974), augmentent l’attractivité des mâles vis-à-vis de celles-ci dans la nature (Rahn, 1968), de même que l’activité locomotrice des deux sexes pendant la scotophase (Lecomte et Thibout, 1982). Par ailleurs, les substances non volatiles, les alk(en)ylcystéine sulfoxides, sont phagostimulantes pour les larves (Al-Rouz et Thibout, 1989) et déclenchent le comportement de ponte chez les femelles (Thibout et Auger, 1996). De même, les substances volatiles émises par la plante, et tout particulièrement les thiosulfinates, s’avèrent quant à eux, très attractifs vis-à-vis des adultes des deux sexes et permettent donc très certainement aux teignes du poireau de découvrir leur plante hôte dans l’écosystème (Lecomte et Thibout, 1981). Enfin, la séquestration de ces

substances soufrées permettrait la protection des larves vis-à-vis de prédateurs généralistes telles les fourmis, Formica fusca ou Myrmica rubra (Nowbahari et Thibout, 1992 ; Le Roux et al., 2002).

Si de façon réductrice, on ne considère que la relation poireau-teigne du poireau, les composés soufrés ne semblent pas profitables pour la plante émettrice lorsque sont observés les nombreux avantages dont bénéficie cet insecte spécialiste. Ces composés qui, comme suggéré chez de nombreux végétaux (Fraenkel, 1959), se sont certainement développés chez les Allium en raison de leur potentiel défensif, rendent donc apparemment la plante plus vulnérable à l’attaque de cet insecte. Ce phénomène de détournement des défenses chimiques par les insectes spécialistes à leur profit est rencontré chez de nombreux complexes plante-phytophage et est qualifié de paradoxe des défenses des plantes ou de paradoxe de l’herbivore spécialiste, (i.e, « the lethal plant defense paradox », Fordyce, 2001 ; « the specialist herbivore paradigm », Agrawal et Kurashige, 2003). Ainsi, les insectes spécialistes des crucifères utilisent les composés soufrés produits par leur plante hôte, pourtant fortement impliqués dans les processus de défense vis-à-vis des insectes généralistes (Chew, 1988), pour localiser le substrat trophique nécessaire à leur progéniture (Wallbank et Wheatley, 1979 ; Pivnick et al., 1990 ; Renwick et al., 1992 ; van Loon et al., 1992). De même, de nombreuses espèces d’insectes phytophages spécialistes sont capables de séquestrer des composés secondaires de leur plante hôte, composés toxiques pour des espèces non adaptées. Ils peuvent de ce fait se nourrir de leur plante hôte et bénéficier d’une certaine protection vis-à-vis d’espèces entomophages (Pasteels et al., 1988 ; Schaffner et al., 1994 ; Müller et al., 2001).

Les défenses chimiques des plantes peuvent donc apparaître désavantageuses pour celles-ci lorsque les relations plantes-insectes sont appréhendées dans un complexe à deux partenaires, plante-insecte spécialiste.

Cependant, un complexe trophique aussi étroit est peu probable et même peu réaliste. Il faut prendre en considération l’ensemble des menaces potentielles que représentent les herbivores et les pathogènes sur les plantes, de même qu’il faut tenir compte des plantes compétitrices et des entomophages. Les composés secondaires toxiques tels les thiosulfinates et les disulfures, en restreignant le nombre d’espèces capables de se développer aux dépens des végétaux qui les produisent, peuvent alors acquérir une place importante dans les processus de défenses de la plante et être nécessaires à sa survie.

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