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qui ne comportent pas la mention des marchandises dont elles peuvent représenter

PRÉALABLES 4.3

2. MESURES E T V A L E U R S

A. LA DIVERSITÉ DES MESURES

Les marchandises étaient rarement évaluées en mesures de compte, qu'il s'agisse de la livre poids de Lyon qui valait 418,757 grammes, inférieure à la livre de Paris o u livre poids de marc qui valait 489 grammes, du quintal de cent livres appelé plus souvent le cent dans les lettres de voiture, du millier ou mille livres (35).

Les mesures usuelles sont des mesures concrètes, des unités de charge : la charge, la balle, le fonds, le fardeau, le ballon, le tonneau... Ce sont elles qui figurent sur les tarifs des péages et des douanes. C'est qu'elles sont des unités d e chargement.

Les péagers le savaient bien : aucune de ces mesures n'avait « de contenance certaine » et les incidents surgissaient, nombreux, entre leurs commis et les marchands (36). D u coup, ne prétendons pas à la rigoureuse exactitude que seules pourraient donner peut-être des unités de compte.

La mesure la plus répandue était la charge, aussi bien pour les draps, les toiles, les cuirs, la laine que pour les tapisseries et la mercerie : la charge, ce que peut porter u n mulet ou un cheval. Les commis à la Rêve et Foraine l'estimaient à 350 livres poids de Lyon, et les péages de Suse fixaient son maximum à 4 0 0 livres pour

« un puissant mulet » (37). Elle variait selon les marchandises : oscillant de trois quintaux anciens pour les épices à quatre quintaux anciens poids de marc, pour les draps de Rouen et les draps d'Angleterre (38).

Pour la plupart des étoffes, draps de soie, draps de laine, toiles, et pour les épices, la charge se divisait en deux balles (39). La balle pesait en moyenne de 180 à 200 livres, poids de Lyon. Les balles de soie variaient dans leur poids. Le tarif de 1570 fixait un poids moyen de 185 livres poids de Lyon. Simple moyenne, car nous avons relevé des balles de 212 et 213 livres (40) et des balles de 185 livres, les plus légères (41). La balle de « librairie » pèse 400 livres (42).

Pour les tissus, que pouvait représenter une balle ? L'aune de Lyon vaut 1,187 mètre, peu différente de l'aune de Paris, 1,188 mètre. Environ 300 aunes pour les toiles. Tel était le cas des toiles de Bretagne (43). Pour les draps intervenaient des différences considérables, selon la matière première et la texture : de 20 à 100 aunes (44).

35. Jean TRENCHANT, dans son Arithmétique, donne les équivalences pour les principales villes du Royaume et de l'étranger en relations avec Lyon, table in finem, Lyon, Bibliothèque municipale, n" 342469. Voir aussi l'article « Livre » in Encyclopédie ou dictionnaire... de d'ALEMBERT, ou le Dictionnaire du Commerce de SAVARY DES BRUSLONS, Paris, 1743. Nous ne traiterons pas ici des mesures de grains, ni des mesures agraires que nous présenterons en temps opportun dans les pages consacrées à la politique frumentaire du Consulat et aux biens ruraux des marchands lyonnais.

36. Mazarine, ms. 27731, douane de Lyon et de Valence.

37. CC 4005, pièce 1, taux de la Rêve, 1556 ; CC 4069, pièce 28, ordonnance du duc de Savoie, le 19 avril 1566.

38. Tarif du six deniers, 1570, A.D., série B, Livre du Roi, fo s 267 v° et 270 v°.

39. BB 81, 1558, f° 116.

40. 3 E 566, 25 avril 1562, soie de Messine ; 3 E 182, f° 182, f° 77 v°, soie de Messine.

41. 3 E 566, 25 avril 1562, soie de Lucques. Une balle de soie venue de Milan pesait 196 livres 2/3 : 3 E 4173, f° 191. Sur le poids des balles de soie à l'époque contemporaine, voir Enciclopedia italiana, 1938, article « Balla ».

42. CC 3723.

43. 3 E 4175, 9 août 1570, moyenne sur 13 balles de toile de Bretagne : 317 aunes ; CC 4183', f° 116 : une balle de dix pièces, chacune de trente aunes, soit 300 aunes.

44. Résultats de calculs faits à partir des taxes de la Rêve, in CC 3845, spécialement 4 et 26 septembre 1532.

PRÉALABLES 4 5

Les velours de Gênes — l'un des principaux articles d'importation — arrivaient à Lyon en caisses de 16 à 20 pièces. Chaque pièce mesurait de 20 à 22 aunes (45).

Il existait des mesures supérieures à la balle et à la charge, mais qui n'en étaient pas nécessairement des multiples exacts. Ainsi le fardeau, qui concernait surtout les marchandises des Pays-Bas et d'Angleterre, variait de 6 à 9 quintaux anciens, et le tarif de 1570 lui fixait u n maximum de 8 quintaux (46).

Les métaux étaient évalués en saulmons pour l'étain d'un poids moyen de 150 livres ( 4 7 ) ; en ballons d'environ 100 livres pour l'acier (48); en tonneaux pour le cuivre, d'un poids de quelque 132 livres ( 4 9 ) ; en barils pour les faulx d'Allemagne, chaque baril pesant environ 400 livres (50).

Au total, assez rares sont les marchandises évaluées au poids, en quintaux ou en milliers. C'est le cas de la batterie, de la ferraterie et de la quincaillerie, du sucre et de la cassonade.

Et ce tableau n'est que sommaire ; tel quel, il suffit à montrer la difficulté d'établir des comparaisons et des tableaux statistiques avec leurs équivalences métriques.

La diversité, l'incertitude des mesures exigent une attention minutieuse, de longs calculs, une critique toujours en éveil (51).

B. VALEURS D'ESTIMATION ET VALEURS RÉELLES

Le problème des prix ou de la valeur des marchandises n'est pas moins difficile que celui des quantités. Valeur non moins nécessaire à connaître que les poids et les volumes. Elle serait facile à saisir si la taxe était, pour chaque marchandise, propor-tionnelle à sa valeur commerciale. Mais il n'en était rien, malgré le nom de l'impôt :'•

deux deniers ou six deniers par Livre. Après de longues et difficiles discussions avec les marchands, le Consulat s'était arrêté à un tarif, pour chaque marchandise. Le rapport entre la taxe et le prix réel de chaque marchandise aurait dû être de 1/120 pour le deux deniers par livre et de 1/40 pour le six deniers. En fait, on s'en éloignait beaucoup, parce que les tarifs n'étaient pas ajustés à tout moment à la hausse des prix, et que celle-ci fut considérable, et parce que des raisons fiscales et protectionnistes ne manquaient pas de jouer, dans un sens ou dans l'autre, pour u n certain nombre de marchandises. Le tarif établi en 1522 pour le deux deniers par Livre fut reconduit purement et simplement en 1533, 1544 ; repris et triplé pour ie six deniers par Livre en 1552. Tel quel il subsista jusqu'en 1570 pour céder la place à un tarif plus élevé et nettement protectionniste.

Cependant, un certain nombre de marchandises sont frappées selon leur valeur réelle : le safran (52), l'acier (53), les toiles châtillonnaises (54). A côté des articles

45. CC 3743, 1522-1523, passim ; 3 E 4157, inventaire d'André Blic, 1560, t» 26-28.

46. Tarif de 1570 et CC 3991, pièces 16 et 17 ; dix-huit fardeaux de marchandises pèsent dix milliers.

47. BB 81, 20 décembre 1558, Mdt, douze saulmons venus de Rouen pèsent 1 775 livres.

48. 3 E 565, 7 décembre 1560, lettre de voiture. Une charge d'acier comprenait six ballons, in CC 3725, pièce 1.

49. 3 E 4177, f° 123 : dix tonneaux de rozette pèsent 1 320 livres poids de Lyon ; le tonneau pèse dix quintaux poids de Vienne en Autriche.

50. 3 E 566, 2 avril 1562 : huit barils pèsent 3 110 livres p. de marc.

51. Pour les mesures de capacité des blés, du vin ; pour les mesures de surface, nous renvoyons à un excellent petit volume : F. Lauradoux, Comptes faits..., 1812.

52. La charge qui vaut 1 000 Livres est taxée à 6 Livres en 1522, soit 1/166 : BB 19.

f° 44, et CC 3740, f° 138 v°.

53. Taxé, en 1522, 10 deniers le ballon, et 2 s. 6 d. en 1569, et qui vaut 13 L 15 s.

15 d. : 3 E 4177, f° 405, 1571.

54. La balle vaut 21 L : 3 E 4182, f° 199 v°, 1574. La taxe en 1569 est de 10 s.

par balle : CC 169.

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exactement estimés, d'autres jouissent d'un traitement de faveur. Tels sont les draps de soie, et les anciens seigneurs de Lyon — les chanoines de Saint-Jean -— ne se font pas faute d'en tirer argument contre les grands marchands de la commune, qu'ils accusent de favoriser les marchands de draps de soie au détriment du petit peuple (55).

Le Consulat s'en défendait, mais, aux marchands italiens qui se plaignaient de la lourdeur du six deniers par Livre, il répondit que selon « le taux ci-devant faict » un subside de trois deniers par Livre ne reviendrait pas à un denier, ce qui veut dire que, sur le tarif, les marchandises de soie ont été estimées au tiers seulement de leur prix réel (56). Il est vrai qu'en 1544 le Consulat a accepté de réduire la taxe sur les draps manufacturés à Gênes parce que ceux-ci étaient déjà chargés des 5 % de la gabelle des draps de soie et de la nouvelle taxe de deux écus par pièce de velours (57). Les draps de soie n'étaient pas les seuls à être sous-estimés sur le tarif.

Aux marchands de Carcassonne qui avaient engagé un procès contre eux, devant la Sénéchaussée, les conseillers faisaient valoir qu' « au taux desdites marchandises ledit aide ne leur revient pas à un liard pour livre » (58). Dans ce cas la valeur selon le tarif n'est que la moitié de la valeur réelle. De toute évidence, les conseillers tenaient à ménager les marchands italiens dont dépendaient les finances de la ville autant que leurs propres activités, et ils désiraient aussi épargner les draps de laine dont plusieurs d'entre eux faisaient un grand trafic.

Le tableau suivant fait ressortir les énormes écarts entre les prix d'estimation du tarif du six deniers par Livre de 1552-1569 et les prix réels, constatés soit dans les inventaires des marchands, soit dans les attestations.

Taxe Prix { Rapport

prix/taxe

Balle de soie (59) 4 L 10 s. 1 200 à 1 500 L 266,6 à 333,3 Pièce de velours de Gênes (60). 25 s. 151 L 120

Toiles de Hollande 241 L 21 300 L 87

Serges de Hondschoote 279 L 20 232 L j 72

Camelots de Lille 208 L 11421 L 106

Toiles de Cambrai et batistes . . 174 L 9 626 L 55

Quand on établit des pourcentages pour la valeur des marchandises négociées aux foires de Lyon, il est prudent de se souvenir de tels écarts. Compte tenu des rapports que nous venons de constater avec certitude, il paraît sage de retenir un rapport moyen pondéré de 1 à 100 entre la taxe du six deniers par Livre et la valeur commerciale des marchandises, et non, comme inviterait à le faire le nom même du subside, le rapport de 1 à 40 ou 2,5 %.

55. BB 439, pièce non numérotée, 1558.

56. B B 72, délibération du 29 mai 1551, f° 32 v°.

57. B B 63, déclaration du 6 août, f° 4.

58. Il s'agit principalement des draps de laine. CC 4278, pièce 3, 27 août 1554.

59. En 1569 une balle de soie crue vaut de 1 200 à 1 500 Livres, la balle de soie de Vicence s'élève jusqu'à 1 5 0 4 Livres : 3 E 496, 19 mai 1575. Certes, la cherté a fortement touché les soies, mais elle ne suffit pas à expliquer une telle disproportion.

60. En 1566, une pièce de velours vaut 151 L : 3 E 568, 24 décembre ; la taxe offi-cielle est de 25 sous, elle devait s'élever à 75 sous.

INTRODUCTION

UNE NAISSANCE

L'avènement de Lyon au rang de grand centre du commerce lointain et de la banque s'est accompli en moins d'un demi-siècle. Celui qui serait né au début du règne de Louis X I n'aurait pas reconnu, dans les premières années du règne de François I " , la ville de sa jeunesse. Vers 1470 une ville aux horizons étroits, disons régionaux ; une population d'artisans, de petits marchands, de gens de loi, d'ecclésiastiques — une ville parmi d'autres dans le Royaume, fière de son passé et des services rendus au roi, mais, pour lors, sans éclat — vingt mille habitants peut-être. Vers 1510-1520, l'une des capitales commerciales et bancaires et une grande ville parmi les plus peuplées de l'Occident, digne, avec soixante à soixante-dix mille habitants, de prendre place à côté de Florence, d'Anvers, de Londres, de Séville. A coup sûr, en France, l'un des lieux où l'essor du grand commerce et l'urbanisation — ces deux phénomènes majeurs de la Renaissance — se sont le plus brillamment manifestés (1).

Cette mutation est le résultat d'une conjoncture heureuse à laquelle tout l'Occident a concouru. Lyon offrait son incomparable situation natu-relle sur l'un des isthmes européens, entre les deux grands foyers écono-miques des cités italiennes et des Pays-Bas, au débouché des grands passages alpestres, au confluent de deux fleuves — la Saône et le Rhône — et à proximité d'un troisième — la Loire — en un temps où la voie d'eau comportait d'immenses avantages. Elle offrait encore l'accueil de ses marchands, leur intelligence des conditions d'un essor, leur sens des libertés nécessaires au développement économique, en bref,

1. Sur Lyon au xvc siècle : J . DÉNIAU, 1934 ; R. FÉDOU, 1964. Sur le développement économique : M. BRÉSARD, 1914 ; J.-F. BERGIER, 1963 ; R. GASCON, 1958

un état d'esprit qui n'était guère répandu dans le Royaume. L'État, c'est-à-dire le roi, avait souci de favoriser ses bonnes villes pour le secours qu'il en avait reçu dans les années difficiles et pour celui qu'il en atten-dait. En 1420 Charles, dauphin et régent, avait créé deux foires annuelles ; devenu Charles V, il en accordait une troisième en 1444. En 1464 Louis XI octroyait quatre foires. Celles-ci furent abolies en 1484 pendant la réaction qui suivit la mort du roi. Rétablies en 1494 par Charles VIII, elles ne devaient plus être interrompues, d'une manière prolongée, jusqu'à leur disparition à la fin du x v me siècle. Les privilèges des foires, précieux, nécessaires, n'étaient pourtant que des commodités, des cadres à qui seuls les courants d'affaires pouvaient donner vie. Bourges et Troyes venaient d'en fournir la preuve dans les années 1484-1494.

Elles ne réussirent pas à exploiter l'héritage de Lyon ni les privilèges des foires qui restèrent pour elles un don inutile.

Le Royaume s'enrichissait et se peuplait. La paix revenue après la guerre de Cent ans, aidait au développement des manufactures. Certes, les marchands de France ne pouvaient encore tenter de grandes entreprises comme « la navigation du Levant », mais le commerce intérieur et exté-rieur se ranimait : le Royaume pouvait exporter ses blés, son sel, ses vins, ses draps et ses toiles ; l'aristocratie plus aisée, plus ouverte aux goûts nouveaux recherchait les belles étoffes et particulièrement les draps fins et les soieries d'Italie. Ainsi se constituaient les éléments d'un grand commerce. Au-delà du Royaume, l'Occident. Les cités italiennes, Gênes, Florence, Venise, en tête, restent les maîtresses du grand commerce et particulièrement de celui du Levant. Mais elles regardent de plus en plus vers l'Occident. C'est qu'elles cherchent à fonder leur fortune, non plus principalement sur les produits du Levant, mais sur les productions de leurs manufactures. A leurs marchands, l'Occident apparaît comme un marché en expansion qu'il faut conquérir et, en outre, un marché d'argent à cause de la formation des États nationaux et des immenses besoins financiers des souverains. Prêter aux princes est le moyen d'obtenir de grands profits par des intérêts élevés ; c'est, autant et plus, un instrument de puissance économique, par les énormes privilèges que les prêteurs peuvent obtenir de leurs obligés. Ainsi, marché d'argent et marché de marchandises — banco e mercanzia — s'unissent l'un à l'autre par un nouveau lien. L'Occident — ce sont, enfin, les promesses de l'Atlantique, et, en dépit des monopoles lusitanien et castillan, la participation aux bénéfices des nouvelles routes du commerce mondial. Ainsi, forts de leurs capitaux, de leurs techniques, de leur expérience d'un grand réseau commercial et bancaire, les Italiens sont prompts à saisir, à prévenir même cette conjoncture exaltante. Ils sont à Anvers, ils sont à Lisbonne, ils sont à Séville... à l'affût des entreprises et des enrichissements possibles.

Lyon, précisément, s'inscrit au premier rang de leur stratégie conqué-rante. Souples, avisés — « subtils » disent leurs contemporains —

Fio-INTRODUCTION 49 rentins, Génois et autres ont compris l'admirable parti qu'elle représente.

Quelle place serait mieux choisie pour la redistribution des épices et des soieries en France, pour les contacts avec les rois de France que l'ambition entraîne vers les champs d'Italie et pour qui elle est une base militaire de premier ordre ? Quelle ville lui est préférable pour le commerce de transit entre les grandes régions économiques de l'Europe du Nord-Ouest

— Pays-Bas, Angleterre — celles de l'Allemagne du Sud et les villes marchandes d'Italie ? Genève avait justifié son rôle d'héritière des foires de Champagne tant que la guerre et les désordres avaient rejeté les cou-rants du grand commerce vers l'Est ; la paix rétablie allait ramener dans le Royaume les courants qu'elle en avait éloignés. L'heure de Lyon avait sonné (2).

Le véritable point de départ de l'essor de Lyon peut être fixé entre 1461 et 1466. C'est alors que les Médicis y transférèrent leur succursale de Genève (3). L'une des plus puissantes maisons manifestait ainsi, par ce choix, la valeur de Lyon et ses chances de devenir un grand centre d'affaires. C'est alors, que Lyon recevait ses quatre foires annuelles : les Rois, Pâques, Août et la Toussaint, mais ceci appelait cela.

DEUX HORIZONS

L'activité des foires, l'irruption du grand commerce et de la banque bouleversent les conditions de la vie urbaine. Us sont des ferments.

Désormais la ville s'ouvre sur d'immenses horizons. Son espace écono-mique, celui où circulent les marchandises des foires et les capitaux de la place du Change, en fait un centre lié au Royaume, aux pays septen-trionaux et, surtout, aux pays méditerranéens : « une ville triple ». Dans ses rues, sur la place du Change, dans ses auberges, retentissent les bruits et les rumeurs du vaste monde. Que de choses à apprendre dans cette animation mercantile et bavarde ! Mais la ville de naguère subsiste, avec sa société et ses activités traditionnelles. Toute la dynamique de l'histoire urbaine, ses tensions, ses conflits — non seulement économiques et sociaux mais moraux, spirituels et religieux — est faite de la dualité de la ville traditionnelle et de la ville nouvelle, de l'inertie et du mouvement, des forces de repli sur l'étroit horizon urbain et régional et des forces d'ou-verture sur les larges horizons de l'Occident et du Monde.

UN THÈME

Cette dynamique est le caractère majeur du destin de Lyon au temps de la Renaissance. Sur elle nous avons voulu fonder l'unité de ce livre

2. Sur la situation économique de l'Occident dans la 2° moitié du x v i siècle : J. HEERS, 1963 ; remarquable mise au point et excellente bibliographie.

3. R. de ROOVER, 1963, p. 289-311.

en choisissant pour thème le grand commerce et les marchands ; thème qui s'ouvre sur deux directions. D'un côté celle des régions et des centres essentiels de l'Europe des affaires, de cette Europe que les marchands-banquiers italiens dominent encore pour un temps et qui impose à Lyon les rythmes des grandes places de la marchandise et de la banque — Florence, Venise, Milan, Gênes, Anvers, Augsbourg, Nuremberg, Séville, Medina del Campo... De l'autre, la vie urbaine elle-même à laquelle les marchands participent sous des formes et à des degrés divers mais qui ne leur est jamais tout à fait étrangère. Pareille dualité se retrouve, en effet, au sein de Y aristocratie d'affaires ; elle s'incarne dans l'existence de deux groupes : les marchands-banquiers étrangers — Italiens surtout, mais aussi Allemands, Flamands et autres — et les marchands proprement lyonnais. Avec les premiers nous entrons dans le monde des affaires — en gros l'Europe de la lettre de change, pour qui Lyon n'est souvent qu'une pièce sur ce large échiquier, une colonie où l'on passe, à la limite : un hôtel. Avec les seconds, au contraire, nous sommes mêlés profondément à la vie urbaine où ils sont enracinés, à ses problèmes, ses tensions, ses conflits.

UNE C H R O N O L O G I E

Le choix d'une chronologie appelle une explication. Pourquoi les années 1520-1580 ? L'idéal eût été — nous le savons — de partir du milieu du xve siècle pour présenter successivement les trois phases de cette histoire : la naissance, des environs de 1460 au début du xvie siècle ; l'épanouissement aux deux premiers tiers du siècle ; la retombée à la fin du siècle. La médiocrité des sources ne permettait pas d'ajouter beaucoup, aux travaux déjà consacrés à la première période, celle de la croissance.

Aller au-delà de 1580, jusqu'au point extrême de la chute du commerce et de la banque, nous apprendrait peu de choses car, en 1580, la crise est là, bien définie dans ses aspects et ses causes. Le cadre des années 1520-1580 contient les deux versants de cette histoire de part et d'autre des années soixante : le versant de la prospérité dont les caractères et les structures apparaissent clairement durant les merveilleuses décennies ; le versant de la crise dont les signes se multiplient à partir de 1560 et dont on peut voir, en 1580, l'éclatement.

Cette chronologie a un autre mérite : elle introduit un nouvel élément dynamique dans l'histoire économique et sociale. En effet, le retournement de la conjoncture, le passage de la prospérité à la crise fut pour les marchands un étonnant réactif. La crise fut l'heure de la vérité qui les révéla à eux-mêmes et qui nous les révèle. Le dur contact avec les problèmes anciens renouvelés et les problèmes nouveaux souvent pres-sants et impérieux éclaire les idées, les attitudes, les intérêts, les relations des groupes d'une lumière vive, parfois cruelle.

INTRODUCTION 51 De là notre plan. La première partie est consacrée au grand commerce dans ses structures et dans ses répercussions sur la vie urbaine au temps de la prospérité. La seconde partie est celle des mouvements de l'économie, de ses conjonctures, particulièrement dans les années 1560-1580. La troisième est celle des adaptations et des transformations, pro-voquées chez les marchands par le renversement de la conjoncture.

Nous connaissons les risques de ces ambitions. Définir parfaitement Lyon dans ses fonctions de capitale du grand commerce et de la banque revient à définir parfaitement l'Europe des affaires dont elle n'est qu'une pièce. Une vie entière passée dans les archives des grands centres n'y suffirait pas. Mon travail vise à éclairer quelques points de l'économie du grand commerce de l'Europe à partir d'une meilleure intelligence de l'économie de Lyon et de ses foires. Sur l'autre axe, celui de la vie urbaine, nous nous sommes borné aux traits économiques et sociaux en relation avec l'essor du grand commerce. Ainsi avons-nous négligé des trafics qui ne touchaient pas au grand commerce, tel le sel ; l'approvision-nement de Lyon ne nous a retenu que dans la mesure où il concernait les grands marchands et déterminait leurs relations avec le menu peuple.

Nous avons négligé de grands aspects de la vie urbaine, ce qui ne signifie nullement que nous les ayons sous-estimés : qu'il s'agisse de la vie morale, des institutions politiques ou de la vie intellectuelle. Comment oublier que ce Lyon du XVIe siècle fut aussi celui de Marot, de Louise Labé, de Maurice Scève, de Philibert de l'Orme et de Corneille de La Haye ?

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J'évoque avec reconnaissance la mémoire de Roger Doucet et de Gaston Zeller, qui, chacun à sa manière, ont été à l'origine de ce travail.

Mme Roger Doucet a bien voulu me confier les précieux dossiers si nourris, des recherches préparatoires à un ouvrage sur la Banque en France au xvie siècle dont Roger Doucet avait fait le projet et dont il m'avait souvent entretenu. Mes remerciements vont à ceux qui ont gran-dement facilité ma tâche : Maître Jean Tricou dont l'érudition et l'obli-geance me furent maintes fois irremplaçables ; René Lacour, conservateur des Archives du Rhône ; M. et Mme Joly, leurs successeurs J.-H. Martin, conservateur de la bibliothèque de Lyon, et Henri Hours, conservateur des Archives de la Ville, dont la compétence comme l'amitié furent sans limites ; Marie-Jeanne Dureau et Jacqueline Augerd, mes collaboratrices techniques ; Françoise Bayard qui participa avec succès à nos travaux ; Jean Bertin, son équipe du Laboratoire de Cartographie de la VIe section des Hautes Études, Marie-Henriette de Morangiès, qui ont élaboré la partie graphique de ce livre.

Comment évoquer ce que la discrétion voudrait taire et que l'amitié doit dire ? Cette aide indéfinissable et pourtant efficace qu'ont été pour