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Chapitre III Les politiques publiques de maîtrise de la demande

3.1. La « boîte noire » du comportement des ménages, pierre d’achoppement

3.1.2. Des comportements de consommation marqués par une forte inertie

Depuis les années 1980, divers travaux ont mis en lumière l’existence d’un hiatus entre

sensibilité des ménages et comportements effectifs. Des études montraient déjà à cette date que les programmes d’information et d’éducation des consommateurs portent peu de fruits77, ou que les enquêtes d’opinions ne permettent pas de prédire les comportements78. Une étude de Bruce Hackett et Loren Lutzenhiser du début des années 1990 allait plus loin encore en

77

T. A. Heberlein [1975] « Conservation Information, the Energy Crisis and Electricity Consumption in an Apartment Complex », Energy Systems and Policy, vol. 1, n°2.

78

M.E. Olsen [1981], « Consumer’s Attitude Toward Energy Conservation », Journal of Social Issues, vol. 37, n° 4, pp. 108- 131.

s’intéressant au lien entre structures sociales et comportements de consommation79. Cette équipe de recherche a, dans ce but, suivi l’évolution de la consommation d’énergie sur un campus universitaire californien, composé d’appartements standards, de même taille et équipés des mêmes appareils, mais dans lesquels vivent des étudiants d’origines et de cultures différentes. L’étude de l’évolution des modes de consommation sur un an permet aux auteurs de conclure que, en dépit de sensibilités différentes à l’égard de la consommation d’énergie, les étudiants nivellent peu ou prou leurs comportements de consommation. Ils s’inscrivent, en réalité, dans un mode de fonctionnement donné, caractérisé par des normes de confort prédéfinies, sur lesquels les individus ont peu de prise et qui s’imposent comme un cadre structurant. La demande est en quelque sorte orientée par l’offre, elle-même issue de schémas de consommation induits par des standards sociaux.

La solidité de ce résultat a été récemment confirmée par les travaux d’une équipe de chercheurs belges80 qui a montré que les actions qui favorisent la prise de conscience de la population (campagnes des médias, réglementation, écologistes…), ainsi que les progrès techniques qui favorisent l'efficacité énergétique de certains équipements, ne permettent pas de transformer les comportements de consommation, en particulier dans l’habitat. L’étude met ainsi en lumière la faiblesse du lien entre connaissance de la problématique de l'énergie d’une part, et pratiques effectives (chauffage, veille des appareils, usages de l'électroménager…) d’autre part. Elle s’appuie sur des expériences visant à vérifier la capacité d'une information sur l'environnement et de conseils personnalisés aux ménages à modifier les comportements. Il s’agissait donc de tester l’hypothèse selon laquelle une information personnalisée est un bon levier dans le cadre d'une politique d'économie d'énergie, comme les résultats d’enquête d’opinions tendraient à le laisser penser. La mise à disposition d'informations auprès des usagers s'est déroulée selon quatre modalités :

• Avec "Quick Scan", des ménages se sont vus communiquer une comparaison de leur

consommation annuelle d'énergie avec celle de ménages de même taille et occupant le même type de logement.

• Le journal de bord énergétique, permettait d'inciter les ménages à cocher sur un

formulaire chacune de leur activité liée à une consommation d'énergie par heure et par

79

B. Hackett, L. Lutzenhiser [1991], « Social Structures and Economic Conduct : Interpreting Variation in Household Energy Consumption, Sociological Forum, vol. 6, n°3, pp. 449-470.

80

Françoise Bartiaux, Institut de démographie, Université catholique de Louvain. Séminaire du GRETS (Groupe de Recherche Energie Technologie et Société) du 23 octobre 2007.

semaine. Parallèlement un questionnaire d'opinion leur était adressé avant et après la tenue de ce journal, avec des conseils à la clé concernant le chauffage, l'eau chaude et l'électricité. L'expérience a montré que cela n'avait pas de grands effets sur les comportements.

• Avec un audit électrique : des compteurs ont été installés sur chaque appareil électrique

d'un échantillon de ménages. Un testeur a fait des relevés mensuels pendant un an. La connaissance des consommations n'a entraîné que quelques changements mineurs dans le comportement des ménages.

• Avec un audit énergétique : des techniciens ont évalué les caractéristiques des logements

d'un échantillon de ménages (isolation, système de chauffage, eau chaude…) et ont conclu que 32% de la consommation d'énergie de l'ensemble des logements pouvaient être économisés. Un rapport a été remis à chaque ménage après audit, avec des recommandations et un temps estimé de retour sur investissements réalisés. Après un délai d'un an, les techniciens ont constaté que seulement 11% des recommandations avaient été appliquées et ne concernaient que quelques changements mineurs.

Ces expériences montrent que l'information environnementale – en particulier celle sur le changement climatique – aussi bien que les conseils personnalisés pour économiser l'énergie à la maison, ne sont pas assimilés au point d’être traduits en pratiques correspondantes. Les auteurs concluent que les normes sociales en matière de confort (aspect pratique, propreté) déterminent largement les comportements. Deux registres cohabitent sans interagir l’un sur l’autre : celui de l’affirmation citoyenne d’une sensibilité à la problématique environnementale d’une part, celui des comportements de consommation d’énergie d’autre part. Ces derniers semblent obéir à une dynamique propre, indépendante de l’opinion ou de la sensibilité à l’égard de l’environnement.

La théorie économique du consommateur offre à cet égard un certain nombre d’éclairages. Les hypothèses néo-classiques du choix rationnel ne permettant pas de rendre compte du décalage entre sensibilité écologique et comportements de consommation (la réponse traditionnelle de l’information imparfaite des consommateurs n’est en effet pas satisfaisante), des analyses ont été développées qui cherchent à intégrer le cadre éthique ou moral de formation des préférences et de prise de décision. Dans le cas de la consommation d’énergie, il s’agit alors de comprendre sous quelles conditions des individus sont prêts à renoncer à la

maximisation de leur niveau de confort dans le cadre d’un effort en faveur de la préservation de l’environnement. Cette approche permet également de comprendre pourquoi les politiques publiques ont fait le choix d’investir l’axe de la sensibilisation et de l’information des consommateurs.

3.2. Sensibilité écologique et choix de consommation : quelle formalisation