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4. Discussion et conclusions

4.2 Comportement d’interactions avec les pucerons et de récolte de miellat

Nos résultats indiquent une augmentation du nombre d’antennations et du temps passé par les fourmis à contacter les pucerons lorsque la concentration en CO2 est plus élevée. La proportion de fourmis antennant n’augmentant pas de manière significative, l’impact positif du dioxyde de carbone sur le nombre et le temps d’antennations résulte donc plutôt de l’augmentation de la fréquence des interactions pucerons-fourmis. Lorsque la concentration en CO2 augmente, le nombre de gouttes récoltées par les fourmis mobilisées sur le plant croît également. Si l’on extrapole les résultats, on peut estimer qu’au total près de deux fois plus de gouttes de miellat seront ramenées au nid à 800ppm-20°C qu’à 400ppm-20°C. Le nombre de fourmis récoltant du miellat sur la plante ne variant pas significativement entre les conditions, l’augmentation du nombre de gouttes récoltées peut donc résulter d’une production accrue de miellat par les pucerons. Lorsque l’on combine l’effet du dioxyde de carbone à une température élevée de 23°C, on ne note pas d’impact, qu’il soit positif ou négatif, sur le nombre d’antennations ou le nombre moyen de gouttes récoltées par les fourmis. Cependant le flux étant plus important à 800ppm-23°C qu’à 800ppm-20°C, si l’on

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extrapole, on estime que près de deux fois plus de gouttes seront ramenées au nid lorsque la température est plus élevée.

Concernant l’impact du CO2, une augmentation de la fréquence des interactions avec les pucerons, telle qu’observée dans nos expériences peut résulter de deux phénomènes : d’une insatisfaction des fourmis à obtenir une quantité suffisante de miellat ou, au contraire d’une motivation accrue des ouvrières due à la présence d’un miellat de qualité supérieure. Selon la première hypothèse, on suppose qu’une atmosphère enrichie en CO2 induit une réduction de la taille des gouttes de miellat produites par chaque puceron. Cela oblige les ouvrières à interagir avec plus de pucerons et pendant plus longtemps pour obtenir des quantités satisfaisantes de miellat afin de remplir leurs gastres. Cette hypothèse est cependant contradictoire avec l’étude de Kremer montrant une tendance à l’augmentation de la taille des gouttes produites par A.craccivora sur Medicago sativa sous CO2 élevé (Kremer et al., 2018). Selon la deuxième hypothèse, on suppose que le miellat produit par les pucerons sous CO2 élevé est plus attractif pour les fourmis et renforce dès lors positivement leur investissement dans les interactions avec les pucerons. Cela suppose que le miellat est plus riche en éléments énergétiquement intéressants pour les fourmis tels que les carbohydrates et va donc stimuler leur effort de recherche. Les études concernant l’impact de l’augmentation du CO2 sur la composition du miellat restent limitées. On sait que la composition en acides aminés du miellat peut être modifiée (Kremer et al., 2018) ou ne pas être affectée (Sun et al., 2009) par une augmentation de la concentration en CO2 mais les effets sur la composition en glucides restent flous. Pourtant, sachant qu’une concentration élevée en CO2 va augmenter le taux photosynthétique et donc la production de glucides au sein de la plante (Barbehenn et al., 2004), il est possible que cela conduise à un enrichissement en sucres du miellat. Certains glucides comme le melezitose et le sucrose étant plus attractifs pour les fourmis (Detrain et al., 2010), une augmentation de leur concentration sous CO2 élevé pourrait avoir un effet de renforcement de la relation des trophobiontes avec les fourmis. Pour vérifier les hypothèses émises suite à nos observations comportementales, il serait intéressant d’effectuer des analyses qualitatives du miellat de manière à confirmer ou infirmer l’impact du CO2 sur la concentration en sucres particulièrement attractifs pour les fourmis.

Outre l’augmentation des fréquences d’interaction, nous avons observé une augmentation du nombre de gouttes de miellat récoltées par les fourmis laissant supposer l’augmentation de la fréquence d’émission des gouttes par les pucerons mis sous CO2 élevé. La littérature reste mitigée aussi sur cette question, certaines études réalisées sous CO2 élevé montrent une augmentation de la production de miellat par les pucerons (Kremer et al., 2018a) alors que d’autres observent l’inverse (Fu et al., 2010). L’augmentation de la production de miellat est expliquée par Sun et al comme étant le résultat d’une augmentation du taux d’ingestion de la sève permettant de compenser une diminution de la quantité d’acides aminés présents au sein de celle-ci (Sun et al., 2009). Cette explication n’est cependant pas valable pour toutes les plantes hôtes. En effet, les légumineuses comme Vicia faba ne sont pas affectées de la même façon par l’augmentation du CO2, leur rapport C :N restant inchangé dans ces conditions (Lam et al., 2012). Des analyses quantitatives, comprenant la mesure de la quantité de miellat mais également l’analyse de la taille des gouttes produites par chaque puceron, permettraient

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de voir si une teneur plus élevée en CO2 induit effectivement une augmentation de la quantité de miellat produite par les pucerons par l’émission d’un plus grand nombre de gouttes ou par une augmentation de leur taille.

Concernant l’impact combiné d’une élévation du CO2 et de la température, diverses études montrent que cette dernière a également un impact sur la quantité de miellat produite par les pucerons (Henneberry et al., 2000 ; Van Offelen, 2018). Il est en effet possible que les pucerons produisent plus de miellat lorsque la température est optimale à leur développement. La température optimale au développement dépend d’une espèce à l’autre, pouvant aller de 24 à 28°C (Asin and Pons, 2001). Il est donc possible que 23°C soit une température optimale pour le métabolisme d’Aphis fabae et donc potentiellement une température favorable à une alimentation plus importante et en conséquence, à la production de miellat en quantité supérieure. Nos résultats ne montrent pas d’effet cumulatif sur le nombre de gouttes de miellat récoltées par chaque fourmi lorsque l’on associe température élevée et CO2 élevé. Cependant le nombre de gouttes récoltées n’est pas forcément représentatif de la quantité de miellat produit. En effet, l’absence d’effet cumulatif peut être lié à la capacité de contenance limitée du jabot des fourmis (Mailleux et al., 2000). Des analyses quantitatives du miellat ou des suivis de la production de gouttes de miellat via la réalisation de films des pucerons présents sur la plante permettraient de voir si la température a un effet sur l’abondance de la production. Si ce type d’analyses quantitatives présente aussi une absence d’effet cumulatif alors il pourrait être lié à la présence d’un seuil de production maximal de miellat par les pucerons en raison d’un temps minimal nécessaire à la formation d’une nouvelle goutte. En se basant sur 8 espèces de pucerons, Büsgen estime que la fréquence d’excrétion varie de 1,7 à 20 gouttes/10h par puceron soit de 0,17 à 2 gouttes par heure (Auclair, 1963). Il serait dès lors possible que, dans nos conditions expérimentales, lorsque les fourmis ont récolté tout le miellat à disposition, les récoltes stagnent le temps que les réserves de miellat des pucerons se renouvellent.

En conclusion, nos résultats ne montrent pas d’influence d’une élévation du CO2 sur le niveau d’exploration par les fourmis de leur environnement ni sur l’intensité du recrutement des ouvrières vers une colonie de pucerons. Cependant, nos expériences laissent penser qu’une atmosphère enrichie en CO2 favorise les interactions entre les partenaires mutualistes. L’impact positif du CO2 sur la relation mutualiste se ferait via une augmentation du nombre et du temps d’antennations ainsi que par un accroissement du nombre de gouttes de miellat récoltées par les fourmis. L’augmentation des interactions entre les deux partenaires mutualistes va potentiellement bénéficier aux pucerons via une amélioration des soins sanitaires fournis par les fourmis comme le retrait des accumulations de miellat pouvant favoriser le développement de pathogènes (El-ziady and Kennedy,1956 ; Hölldobler and Wilson, 1990). Notons cependant que le renforcement de cette interaction n’est pas toujours bénéfique pour le puceron partenaire. En effet, une sollicitation trop importante des fourmis envers les pucerons peut également avoir un coût pour ces derniers qui sont contraints de se nourrir des vitesses non optimales à l’assimilation des nutriments (Stadler et al., 1998.). La relation mutualiste sera d’autant plus forte que les bénéfices retirés par chaque partenaire pèsent lourd dans la balance et sera maintenue aussi longtemps que le poids des coûts reste

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inférieur, ce qui semble plutôt être le cas lorsque la concentration en CO2 atmosphérique est accrue. Ceci nécessitera d’être confirmé à l’avenir par des études quantitatives et qualitatives du miellat et des travaux menés sous diverses concentrations en CO2 atmosphérique.

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